Pour un spécialiste de l'aéronautique et ancien instructeur de la compagnie Air Algérie, les conditions météorologiques étaient telles qu'il fallait être inconscient pour voler à 27000 pieds, comme le faisait le vol de Ouagadougou qui s'est crashé au nord du Mali. Selon notre expert, si le pilote a utilisé les dégivrages moteurs et ailes, il y a automatiquement perte de poussée (puissance) et par conséquent, il lui était impossible de monter plus haut pour échapper au mauvais temps. Deux semaines après le crash du DC9 affrété par Air Algérie, les réactions des professionnels continuent. Ainsi, un ancien commandant de bord de la compagnie nationale, ayant déjà enquêté sur le crash de Tamanrasset, est revenu cette fois-ci avec plus de détails sur les circonstances de cet accident au nord du Mali. Il analyse les propos des uns et des autres et décortique les avis aussi bien d'officiels que de représentants de syndicats de la compagnie Air Algérie. D'emblée il explique : «A ma connaissance, un technicien aéronautique est formé dans une spécialité bien précise : cellule avion (airframe), avioniques, propulsion, etc. Le pilote, lui, subit une formation plus diversifiée et plus complète dans les domaines de l'aérodynamique,la mécanique du vol, les opérations aériennes, la navigation aérienne, la météorologie, la réglementation aérienne, le droit aérien, les instruments de bord, la formation turbopropulseur et réacteur. En outre,il doit acquérir une connaissance et une maîtrise parfaites de tous les circuits de l'avion sur lequel il vole (circuits hydraulique, électrique, carburant, pneumatique, système de pressurisation conditionnement d'air, les automatismes AFDS avioniques...). Ainsi que des connaissances parfaites théoriques et pratiques des manœuvres de secours qu'il restitue et pratique (tous les six mois) sur simulateur de vol du type d'avion, avec un instructeur compagnie, expérimenté et agréé par l'Autorité.» Paramètres à respecter Pour l'ancien instructeur d'Air Algérie, selon l'annexe 6 de l'Organisation internationale de l'aviation civile (OIAC), qui fixe les modalités de délivrance dudit certificat, le certificat de navigabilité est délivré par l'Autorité de l'aviation civile, précisant qu'il existe 19 annexes, dont la dernière a été promulguée il y a deux ans. «Mais cela ne suffit pas, il faut aussi un certificat d'exploitation (AOC : Air Operating Certificat) délivré lui aussi par l'Autorité de l'aviation civile. Celui-ci mentionne, en fonction des équipements de navigation, les restrictions (N/A : non available) et les espaces dans lesquels l'aéronef peut naviguer (exemple : espace MNPS, espace RVSM, BRNAV, PRNAV, CATII, CATIII, voire le DOC 9613 de l'OACI)». «Ces notations sur l'AOC déterminent la capacité de l'avion à naviguer dans ces espaces, en fonction de son équipement, quant aux pilotes, cela nécessite un entraînement spécifique», note le commandant de bord. Selon lui, quand on parle de performances, il faut distinguer celle liée aux équipements de navigation, comme on vient de l'expliquer, et celle liée à la poussée des réacteurs (propulsion). A titre d'exemple, le Boeing 737 est équipé d'un réacteur de nouvelle génération, le CFM56-7 mis en place par Snecma (France), en collaboration avec General Electric (américain), et développe une poussée de 27300 lb, soit 12.226 kg. Quant au MD83, il est équipé d'un Pratt&Whitney (américain), ancienne génération leJT8D-217-219 (même moteurs équipant l'ancienne flotte Air Algérie, les Boeing 737-200 et 727-200, réformée après le crash du 7T-VEZ à Tamanrasset). Il développe une poussée de 21000 lb, soit 9525 kg pour une masse équivalente, maximale au décollage de 160 000 lb, soit 72 575 kg. D'après les informations recueillies, l'avion volait au niveau 270 (27 000ft) dans l'orage et le Boeing 737 d'Air Algérie, 10 minutes derrière lui, était au niveau 370 (37 000 ft) au-dessus des perturbations atmosphériques. L'ancien instructeur d'Air Algérie revient sur les capacités du DC9, en déclarant : «Peut-être que cet avion a effectué cinq fois Ouagadougou mais avec un autre équipage (peut-être plus expérimenté) et qui est parti au repos. Celui-ci a effectué pour la première fois ce vol et malheureusement ce fut la dernière.» Il revient sur la préparation des vols et rappelle que pour Air Algérie, «l'étude de toutes les routes est faite par la sous-direction études opérations pour chaque type d'avion. Pour l'avion affrété, ce trajet Alger-Ouagadougou-Alger nécessite une préparation minutieuse : une étude de faisabilité, a-t-elle été faite pour ce type d'avion ?» Préparation du vol En spécialiste chevronné, il cite les principaux paramètres à considérer sur une route, comme «les terrains de dégagement sur la route ouverts à la circulation aérienne de nuit, le cas de la panne moteur, l'altitude de rétablissement, le déroutement vers un terrain adéquat, la panne de pressurisation (altitude de sécurité sur la route, altitude de rétablissement niveau 120 (12000ft) consommation carburant à considérer (très élevée au niveau 120)», mais aussi d'autres cas comme «la panne moteur et pressurisation (altitude de sécurité, accessibilité du terrain le plus proche, du point de vue météo et équipements du terrain (ils vor NDB Balisage, etc.), la plus critique», dit-il. Il révèle : «On sait que le commandant de bord devant faire le vol sur Nouakchott a été très contrarié par le changement de programme (facteur de stress), parce que probablement son vol initial a été préparé par les opérateurs de sa compagnie, quant à celui de Ouagadougou, il ne disposait pas du temps nécessaire pour une bonne préparation.» Visites techniques Sur la question des visites techniques subies par l'appareil, l'ancien commandant de bord note que le contrôle SAFA (Safety Audit for foreign Aircraft) «ne reflète pas l'état réel de l'avion». Il s'effectue, souligne t-il, entre le débarquement et l'embarquement des passagers. «Les inspecteurs contrôlent les documents de bord, les licences des équipages, le matériel de sécurité en cabine, les amarres des bagages en soute et les pneumatiques. Je comparerais cela, au motard qui vous arrête sur la route, vous demande les papiers du véhicule, votre permis, vous demande d'actionner le lave-vitres, les feux de stop et les clignotants. Rien de plus», affirme notre interlocuteur. Pour ce qui est de l'âge des avions, les constructeurs, dit-il, le donnent en nombre de cycles calculés en fonction de la durée moyenne de l'étape. Dans le détail, il explique : «Par exemple 1h30 pour un moyen courrier plus de 10h pour un long courrier. Un cycle comprend un décollage, un atterrissage, une pressurisation, une dépressurisation et puis une bonne dose de facteurs de charges. Ce qui conditionne la durée de vie d'un appareil, c'est la capacité de ses éléments à résister au cours du temps aux éléments extérieurs (corrosion), aux charges importantes (atterrissage dur, grosses turbulences...) et à la répétition des charges normales (fatigue de la cellule). Les constructeurs doivent pour la certification démontrer que les diverses pièces de l'avion dans sa globalité sont capable de résister à ces divers facteurs. A la conception, le but est d'avoir une durée de vie de 100 000 cycles. Un moyen courrier faisant beaucoup de vols fera 70 000 cycles, un long courrier 50 000 cycles (il vole plus longtemps sur de longues étapes supérieures à 10 heures, mais subit moins souvent les charges d'atterrissage et de décollage, de pressurisation et de dépressurisation).» L'expert n'est pas d'accord avec ceux qui défendent les performances du DC9 qui s'est écrasé au nord du Mali. A ses détracteurs il répond : «Pourquoi, après le crash de Tamanrasset, Air Algérie a mis fin à l'exploitation des Boeing 737-2000 et 727-2000, une flotte de 18 à 25 ans d'âge ? Fallait-il les garder encore 10 ans ? A ce sujet, les deux Airbus 310 (7T-VJC et 7T-VJD) acquis en 1985 par Air Algérie auprès d'Airbus, ont été mis définitivement au sol en mai 2003, après une grande révision fort coûteuse. Paradoxalement, pour l'été de la même année 2003, Air Algérie a loué un Airbus 310 aux Turcs, plus vieux, que les nôtres qui avait à cette époque 18 ans. Autant que je me souvienne, les syndicats étaient toujours partie prenante dans les affrètements et dans les négociations des contrats. Les grandes compagnies ont une moyenne d'âge de 7 à 8 ans, c'est le cas de Singapore Airlines, Air France, Emirates Qatar Airways, Lufthansa…. C'est à cet âge qu'interviennent les longues immobilisations, fort coûteuses, que sont les grandes révisions (GV).»