L'Allemagne, et avant elle d'autres pays européens qui ont, comme elle, la particularité d'être riches, est face à elle-même : que ne faut-il pas faire pour accroître le mécontentement et ne pas contribuer par conséquent à la montée des extrémismes ? Difficile d'y répondre à l'heure où en certains points de cette vieille Europe, certains acquis sont remis en cause par le patronat, et même les gouvernants qui revoient à la baisse la couverture sociale des couches les plus vulnérables de la société, comme les chômeurs qui voient leurs indemnités baisser. C'est carrément le chantage à l'emploi du genre à prendre ou à laisser, devenu désormais la règle chez les grands groupes industriels qui ferment et se redéploient malgré une bonne santé évidente et qui finit par exacerber. C'est le retour de flamme et une attaque en règle contre les trente-cinq heures, notamment, avec au bout, cette règle bien simple, un revenu contre un emploi. La formule est bien rodée. Des milliers de salariés ont dû accepter des baisses de leur salaire pour ne pas perdre leurs emplois. Et ce sont les sociaux-démocrates de Gerhard Schroeder qui en prennent le risque, et acceptent ce qu'on considère désormais comme le diktat des patrons lesquels brandissent à chaque fois la menace de délocalisation, synonyme de chômage. Dans quelques jours, l'Allemagne célébrera le quinzième anniversaire de sa réunification ou son unification c'est selon avec un bilan apprécié différemment, et le résultat de la récente élection régionale avait valeur de test. Ce pays ressent effectivement depuis ce fameux dimanche soir, stupeur et colère face à la poussée des néonazis en Saxe et en Brandebourg (Est), qui témoigne d'un malaise social inquiétant, particulièrement parce qu'il touche l'électorat le plus jeune, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas de passé politique ou encore n'ont pas connu dans cette partie de l'Allemagne la domination du parti communiste qui a quant à lui les faveurs des personnes plus âgées présentées plus simplement comme les déçus du capitalisme. Il reste que les jeunes se montrent sensibles au discours de l'extrême droite, et ce choix est devenu bien clair. Aux élections régionales de Saxe de dimanche en effet, le Parti national-démocrate (NPD) a réalisé une percée avec 9,2 % (+ 7,8 points par rapport aux élections de 1999), c'est-à-dire presque le même score que le Parti social-démocrate (SPD) de Gerhard Schroeder (9,8%). Au Brandebourg, l'Union du peuple allemand (DVU), progresse à 6,1 % (contre 5,3%). Les deux partis xénophobes seront représentés dans les parlements régionaux. Pour le NPD, ce sera la première fois depuis 36 ans. Leur seule recette est d'encourager et d'accompagner le mouvement de protestation contre les réformes sociales du gouvernement Schroeder. Un vote encore une fois qui consacre la faillite de la classe politique traditionnelle, mais les journaux allemands ne tombent pas dans la dramatisation. Pour Die Welt (conservateur) « ni la république ni la réunification ne sont en danger ». Mais « les symptômes de la crise à l'Est sont simplement une version aggravée de ceux de l'Ouest ». D'aucuns y verraient là l'expression d'un malaise, mais la classe politique et les analystes allemands considèrent que « la démocratie est suffisamment forte pour supporter ce phénomène », et qu'« il y a peu d'extrémistes de droite convaincus » parmi leurs électeurs. Sauf à traiter de quantité négligeable cet électorat et s'en détourner, il y a là comme une incapacité à apporter les réponses adéquates, car on ne règle pas un problème par le simple fait de nier son existence qui s'étend pratiquement à travers toute l'Europe, même là où la social-démocratie est historiquement dominante comme la Suède. Des analystes relèvent à ce sujet que le NPD a su mobiliser des abstentionnistes, souvent travailleurs sans formation et chômeurs. Le NPD reste, par ailleurs, lié à des organisations interdites comme le mouvement de skinheads, Skinhead Saechsische Schweiz (SSS). Comme pour prendre le contre-pied de ces analyses, un historien au centre Marc-Bloch s'inquiète lui d'un vote « dans la longue durée », car le NPD est le deuxième parti après le PDS (ex-communiste) pour lequel ont voté les 18-25 ans. Selon lui, « l'extrême droite organise une société de perdants », en recrutant dans un milieu où règne « un désespoir matériel, psychologique, social », généré par l'intégration de l'ancienne Allemagne de l'Est, marquée par la destruction d'un tissu de production jugé obsolète, et par conséquent, la suppression de millions d'emplois. La reprise pourtant réelle dans ces régions est cette fois contrariée par la crise. Visiblement, il n'y aura pas de prochain test. Ce sera un vote sanction, mais pas au profit des extrêmes.