En ces jours caniculaires, Djanet accueille comme elle le peut ses visiteurs. Les camions militaires stoppés au niveau de l'entrée de l'aéroport donnent un aperçu d'une situation particulière nécessitant un déploiement important des forces de sécurité dans cette zone voisine de l'oasis libyenne de Ghat. Il est 14h, le soleil déploie généreusement ses rayons si forts que même un chameau pourrait saigner du nez. On nous rassure : «Ce sont les seuls jours caniculaires à Djanet, on va certainement avoir des températures plus clémentes.» Peu de personnes se risquent à sortir à cette heure-ci, la sieste est le seul rempart contre ces heures de canicule. La fin de l'après-midi fait petit à petit ses adieux aux dards brûlants du soleil, les températures suivent une courbe descendante, un petit vent adoucit le fond de l'air, le temps de sortir est venu. La petite ville se ranime après la pause-sieste. Les marchands de fruits et légumes exposent ce qui reste de leur marchandise non encore abîmée par la chaleur. Les cafés et restaurants connaissent un début de mouvement. Nordistes et Sudistes se côtoient autour d'un thé ou un café, évoquant ce qui leur parvient de l'actualité et ce qui reste de la participation algérienne à la Coupe du monde dans le lointain Brésil. Les femmes, gracieuses, droites comme un i, emmitouflées dans des tassaghness aux couleurs printanières font leurs dernières courses de la journée. La douceur s'empare du climat, le ciel se pare des ornements de la nuit, Lune et étoiles se dressent en parure donnant aux belles nuits de Djanet toute leur splendeur. La ville nous fait siennes et nous livre par petits bouts ses secrets et, dans la foulée, nous parle de ses douleurs et surtout de ses attentes. Chaleur, couleurs et ambitions Que se passerait-il si un habitant d'Alger était tenu de se rendre, à chaque fois qu'une urgence administrative se présentait, jusqu'à Oran ? Ou qu'un habitant de Constantine dépendait administrativement du chef-lieu de la wilaya d'Alger ? Une belle gymnastique qui rendrait, à n'en point douter, la vie des citoyens bien complexe. Pourtant, des Algériens parcourent ces distances dans une seule et même wilaya. Ce sont pas moins de 412 km de découragement qui séparent Djanet du chef-lieu de wilaya, Illizi. 412 km de distance paralysante pour une population de 19 000 habitants qui peinent à traverser le désert et subir toutes les contraintes qui en découlent pour avoir un papier ou pour régler une affaire administrative au bout de plusieurs voyages. Ces villes-pays comme Djanet, qui font la grandeur du territoire algérien sont mal desservies en tout du fait de ces distances qui ralentissent la marche du développement. Les Djanetis, fiers de l'immensité de leur daïra avec ses 80 000 km2, espèrent ne plus dépendre d'Illizi et trouver dans Djanet le havre de toutes leurs demandes. Devenue daïra en 1965, bien longtemps avant qu'Illizi ne devienne commune ou même wilaya, Djanet se sent aujourd'hui à l'étroit dans ce costume de daïra qui ne répond plus à toutes ses capacités et potentialités de développement. Située dans une zone frontalière avec à l'est la Libye subissant aujourd'hui une situation sécuritaire des plus sensibles, et au sud le Niger avec son flux d'immigrants fuyant la misère et l'absence de conditions de vie acceptables, Djanet aspire à avoir plus de moyens mais surtout un meilleur cadre administratif qui lui permette de mieux affronter les défis et garantir de ce fait à l'Algérie plus de ressources et de sécurité. Lors du premier découpage administratif opéré en 1984, les notables de Djanet ne voyaient pas d'un bon œil une expansion de leur ville la transformant en wilaya. Craignant pour leurs traditions, jaloux de leur héritage culturel ancestral, les Djanetis n'ont pas acquiescé à la proposition de certains hauts responsables de promouvoir leur daïra en wilaya. Leur refus a fait tourner les regards vers la très peu connue commune d'Illizi, qui devint alors wilaya. Aujourd'hui, les temps ont changé et les ambitions aussi. Les anciens n'avaient pas bien mesuré les incidences de la nature jacobine du système politique algérien, adossé à une gestion administrative centralisée. L'intérêt des hautes autorités s'arrêtant aux seuls chefs-lieux de wilaya, symboles de la présence du pouvoir. Aujourd'hui, l'espoir des Djanetis est accroché à la dernière déclaration du Premier ministre de hisser la daïra au rang de wilaya. Ils espèrent rattraper le temps perdu et créer une dynamique de développement à même de faire de leur région un pôle d'attraction pour les investisseurs. Des voix, peu nombreuses, se sont toutefois élevées pour marquer leur refus de voir leur daïra «discrète» attirer les foules. Ils estiment que le Tassili n'Ajjer ne doit pas être divisé. Leurs contradicteurs jugent, pour leur part, que le Tassili est immense et peut profiter à tous ; ils considèrent aussi que le meilleur moyen de préserver ce patrimoine est dans le renforcement des moyens de vie et de présence dans la région et que plus la décision se localise, plus les régions se développent. «Vous pensez qu'ils iront au bout de leur promesse», s'interrogent les habitants de Djanet au sujet de la déclaration de Sellal. L'espoir étant là, ils redoutent toutefois les habituelles volte-face des décideurs et l'effet des vaines promesses. «Djanet est prête à accueillir le titre de wilaya, nous attendons la confirmation pour enfin nous libérer du poids des distances», nous disent les Djanetis, qui croisent les doigts en attendant la grande annonce. Un témoin du passé rivé sur l'avenir Si le parc du Tassili s'étale sur une superficie de 135 000 km2, Djanet recèle la partie la plus importante de ce patrimoine plusieurs fois millénaire, reconnu mondialement comme un musée à ciel ouvert. Mais la reine cherche sa couronne et aspire à une autonomie de gestion. «Djanet est un berceau de l'humanité avec ses 2 500 000 ans d'histoire humaine, c'est aussi et de tout temps un passage de vie et de culture entre les contrées sahéliennes et le nord de l'Afrique. Elle mérite un statut administratif meilleur que celui de daïra», nous dit un citoyen désireux de voir ce carrefour de commerce et d'échanges culturels devenir wilaya. L'histoire riche et fabuleuse de la reine du désert n'est pas le seul motif justifiant son ambition administrative. Le développement et son lot d'exigences, l'éloignement des centres de décision font que les citoyens aspirent, légitimement d'ailleurs, à une meilleure prise en charge de leurs doléances de différentes natures. «Si Djanet devient wilaya, cela permettra de rapprocher les citoyens de l'administration, notamment ceux des zones éparses qui souffrent réellement de l'éloignement des structures administratives», estime Kassou Amghar, président de l'APC de Djanet. La seule commune de Djanet dispose de deux antennes administratives, dont l'une est située à 350 km, dans la localité de Tadant, voisine de la wilaya de Tamanrasset et frontalière avec le Niger. «En tant que commune, nous souffrons de la gestion de cette antenne que ce soit en termes d'approvisionnement, de gestion ou de suivi des affaires courantes. Ces zones de Tadant ou Tinelkom (à 220 km de Djanet et proches de la frontière libyenne) sont difficiles d'accès du fait des routes impraticables mais aussi du manque de moyens de communication. Les informations venant de ces zones ne nous parviennent que s'il arrive qu'un véhicule y passe», indique Kassou Amghar. L'élu espère qu'avec le changement de son caractère administratif, Djanet pourra faire face aux nombreuses attentes de la population. «Imaginez une personne handicapée habitant Tadant, obligée de se déplacer jusqu'à Djanet en traversant 350 km et chercher un autre moyen de transport pour aller jusqu'à Illizi à plus de 400 km juste pour bénéficier d'une pension dont le montant ne dépassera pas le prix de ce parcours du combattant en transport et en hébergement !» s'indigne le président d'APC en notant que nombreux sont ceux qui abandonnent toute procédure administrative en milieu de parcours. Outre les rocambolesques parcours administratifs, Djanet est aussi boudée par les entreprises de réalisation, qu'elles soient publiques ou privées. Ville linéaire s'étirant sur 20 km, l'électrification, l'assainissement et le nettoiement doivent se faire sur cette distance qui, dans une ville du Nord, est servie par plusieurs daïras. «Nous avons un énorme déficit en entreprises réalisatrices. Nous peinons à les attirer pour réaliser des projets infrastructurels. Les entrepreneurs refusent de se déplacer jusqu'à Djanet pour y trouver des marchés aux mêmes prix appliqués dans le nord du pays. Cela nous pénalise énormément puisque nous avons du mal à voir nos projets de viabilisation, d'assainissement et de construction trouver matière à réalisation», déclare Kassou Amghar. Les entreprises de réalisation boudent Djanet Une vraie plaie, nous disent nos interlocuteurs habitant Djanet. «Les matériaux de construction atteignent des prix ahurissants, de même que leur transport. On se retrouve avec des projets sur les bras et peu de réalisations», regrette un membre de l'APC. Des citoyens rencontrés aux abords de la commune relèvent l'absence de bureau du cadastre à Djanet, bloquant ainsi l'assainissement du fichier du foncier. «Il existe des projets d'aide à l'habitat rural, de nombreuses demandes sont déposées auprès de la commune mais on se retrouve face à l'absence de certificats de possession. Illizi est trop éloignée pour pouvoir régulariser tout le monde», indique un employé de l'APC. A notre arrivée à la mairie, les élus sortaient d'une réunion. Principale préoccupation du jour : comment faire pour distribuer 35 décisions d'affectation sur un total de 1900 demandes de logement… «C'est un dilemme, comment choisir les bénéficiaires et répondre à 1900 demandeurs en leur disant que seuls 35 bénéficieront d'un logement ? Figurez-vous que seuls deux logements ont été achevés sur les 35 à distribuer.» Encore une fois, le manque d'entreprises réalisatrices est pointé du doigt. «Nous n'arrivons pas à accélérer la cadence des travaux», nous dit-on. «Que l'on nous ramène des Chinois et autres étrangers, comme cela se fait dans le nord du pays», fulmine un élu. En dix ans, seuls 120 logements ont été livrés à Djanet. Une odeur nauséabonde s'échappe d'une décharge publique située au niveau de l'extension de la ville. Un emplacement gâchant le caractère accueillant de la reine du désert. Les appels pour déplacer ces immondices restent vains. Les entreprises réalisatrices sont, pour Djanet, comme Godot qui n'arrive pas. Loin de la seule image touristique qui jette sur Djanet son lustre et sa renommée mondiale, la reine du désert attend sa couronne, réclame du concret et ne se suffit plus des seuls compliments.