De notre envoyée spéciale à Djanet Mekioussa Chekir «Terik machi meliha». Telle une rengaine, nous ne cessons d'entendre répéter cette sentence, de la bouche aussi bien des habitants que des responsables locaux de Djanet. Dès qu'on les interroge sur les contraintes qu'ils vivent, ils citent en priorité la route reliant Djanet au chef-lieu de wilaya, Illizi. D'une longueur de plus de 400 km, l'état de cette route a atteint un tel seuil de dégradation que sa praticabilité est tout simplement devenue dangereuse. On ne s'y aventure que par nécessité impérieuse, encore faut-il être un bon conducteur et au volant d'un véhicule résistant. C'est que les retombées d'une telle situation sont considérables à plusieurs niveaux. Le recours à l'avion est trop coûteux pour la majorité des habitants. La décision prise, il y a quelques jours, par le gouvernement de soutenir les frais de transport en avion pour les malades résidant au Sud devrait soulager plus d'un. Environ 144 universitaires bénéficient déjà d'un soutien à raison d'un billet gratuit par an. Une disposition qui concerne tous les étudiants issus du Grand Sud et qui sont inscrits dans les établissements du Nord. Les habitants de Djanet sont convaincus que le mauvais état de cette route est en grande partie responsable du retard accusé dans le développement local de la région. Une conviction pas si erronée que cela lorsqu'on sait que près d'une centaine de projets est retardée, entre autres en raison de cette contrainte. Interrogé à ce propos, le nouveau chef de daïra, désigné il y a tout juste quelques semaines, nous informe que ce dossier est actuellement au niveau de la commission nationale des marchés et que trois soumissionnaires, des entreprises nationales, se sont manifestés pour la réalisation du projet. «Il y a le problème de l'éloignement qui se pose pour ces entreprises, c'est pourquoi elles rechignent à venir ici. La réalisation de 20 km de cette route devait débuter il y a de cela deux mois», précise M. Abdelkrim Benkouider. Notre interlocuteur soulève une autre contrainte de taille : tout ce qui est inclus dans l'espace délimité du parc du Tassili est censé être protégé, le site étant classé patrimoine universel par l'Unesco. «Ce qui n'est pas évident aussi bien pour les responsables locaux que pour les citoyens. D'où la délicate mission de l'Office du parc national du Tassili [OPNT].» En dépit de la dégradation de cette route, enchaîne notre interlocuteur, les transporteurs arrivent à acheminer leur marchandise. La malédiction de l'éloignement L'éloignement et les frais du transport se répercutant forcément sur les prix, les habitants de Djanet se plaignent ainsi d'une cherté de la vie encore plus accentuée qu'ailleurs. Le kilo de laitue est, par exemple, vendu à pas moins de 100 DA. Même si certains habitants cultivent leur champ, ce qui est produit localement est loin de suffire aux besoins de toute la population. Certains d'entre eux se plaignent de n'être pas encouragés par les autorités locales en vue d'investir dans l'agriculture. Le premier responsable de la daïra évoque, à ce propos, le projet d'une exploitation agricole de 200 hectares avec le concours de la concession de Ouargla qui mettra à la disposition de la daïra les équipements nécessaires. A Illizi, qui compte parmi les plus faibles taux de réussite au baccalauréat, le problème de la disponibilité des enseignants se pose avec acuité. Les matières de mathématiques et de français sont ainsi orphelines d'enseignants. «Il faut créer un environnement adéquat en vue d'inciter ces derniers à s'installer plus longtemps ici. C'est un problème qui interpelle d'autres secteurs, comme celui de l'habitat. Les candidats intéressés veulent bien venir mais à condition de ne pas devoir louer leur appartement par exemple», explique le chef de daïra. Deux classes sont en cours d'achèvement à Tinerkoum (146 km de la frontière libyenne), de même qu'une salle de soins. C'est le cas pour le secteur de la santé qui enregistre aussi un déficit important de 22 spécialistes, en raison précisément de l'absence d'un cadre incitatif à la sédentarisation des médecins en provenance des autres régions du pays. «Il faut déclencher une révolution contre le chômage» «Il n'y a pas de travail, pas de lieux de loisirs, pas de journaux, pas d'activités sportives, pas de possibilités d'occupation. Même l'unique salle de cinéma de la ville a été fermée depuis une année.» Celui qui se plaint ainsi est un jeune homme de 41 ans. En dépit de son âge avancé, il n'a jamais réussi à trouver du travail. Il vit chez sa sœur mariée et avec plusieurs enfants. Il égrène son quotidien comme la majorité de ses semblables, dans l'ennui et le désespoir de voir évoluer les choses. «Il faut déclencher une révolution contre le chômage.» Seuls ceux qui ont pu trouver un emploi dans les secteurs du tourisme ou des hydrocarbures s'en sortent et peuvent envisager des projets d'avenir, comme c'est le cas avec Moussa, 26 ans. Employé depuis quatre ans à Sonatrach à In Aménas, il envisage de se marier dans deux ans. Une fois qu'il aura achevé la construction de sa maison car il projette de vivre séparé de sa famille. «Ici, la plupart des jeunes mariés vivent avec leurs parents, ce qui n'est pas très pratique mais peu se permettrent de vivre seuls», nous dit-il. La crise du chômage dans la région aura, certainement, été la goutte qui a fait déborder le vase de la contestation juvénile au point d'en arriver à la naissance, il y a 2 ou 3 ans, du «Mouvement des jeunes du Sud pour la justice». Une véritable émeute avait alors été déclenchée et dont les auteurs étaient prêts à aller loin, n'étaient-ce les promesses qui leur ont été faites par les autorités locales de trouver une solution à ce problème. «A ce jour, on n'a rien vu venir. Vous vous rendez compte, une région pétrolière qui n'offre pas de travail à ses jeunes ! Où est notre part du pétrole ?» s'indigne l'un des meneurs à l'époque. Cette interrogation fera d'ailleurs l'objet d'un rapport, parmi d'autres, qui sont parvenus aux plus hautes autorités du pays. «Djanet, wilaya déléguée !» En raison de toutes ces contraintes et bien d'autres, les habitants de cette daïra d'Illizi aspirent avec beaucoup d'espoir à voir évoluer le statut de leur localité et devenir une wilaya déléguée. D'autant plus, arguent-ils, qu'elle est limitrophe aussi bien de Tamanrasset que de la Libye. Ce nouveau statut, est-on convaincus, serait de nature à booster le désenclavement de Djanet et à la propulser davantage vers le développement local. Répartie sur une superficie de 84 000 km2, dont 80 000 attribués au parc du Tassili, la daïra de Djanet compte une population de 15 000 habitants, selon le dernier recensement général de la population réalisé en avril dernier. Cette population est partagée entre les deux communes de la daïra, Djanet et Bordj El Houes. Les contraintes de la région ont découragé plus d'un. Si bien que la population n'a pas évolué en nombre de manière significative. Pour encourager la sédentarisation de la population locale, des programmes de logements sont initiés, mais ce qui a été distribué jusque-là reste très insuffisant. L'aide octroyée par l'Etat prévoit de faire bénéficier, dans le cadre de la réhabilitation du logement précaire, 181 personnes inscrites dans le futur programme. 341 autres devront profiter du soutien de l'Etat dans le cadre du logement social participatif (LSP). L'aspect architectural de la région a été respecté lors de la réalisation de ces logements, l'enjeu étant de préserver le cachet typique de la ville, assure le premier responsable de la daïra. «C'est une région spécifique qui mérite un traitement spécifique!» explique ce dernier. Si le problème de l'eau a été résolu, en ce sens que les citoyens sont approvisionnés soit quotidiennement soit à raison d'un jour sur deux, celui du gaz de ville devrait l'être avant la fin 2009, nous apprend-on. Notre arrivée au siège local de la Gendarmerie nationale de Djanet a coïncidé avec l'arrestation de 22 immigrés clandestins maliens. Jeunes et moins jeunes, ils sont entrés de Tamanrasset avant d'être arrêtés par une brigade spéciale de la gendarmerie. Leurs papiers, portables et argent sont confisqués, conformément à la procédure courante. Ils seront ensuite transférés vers le centre de transit où ils seront matériellement assistés en literie et nourriture avant d'être déférés devant le procureur de la République. La procédure nécessite généralement au moins trois jours avant qu'il ne soit décidé de leur refoulement vers leur pays d'origine. Ce «mouvement» de clandestins est quasi quotidien ici et il n'est pas rare de voir revenir les mêmes personnes qui ont été refoulées quelques semaines plus tôt. Fuyant la misère et parfois la violence dans leur pays d'origine, les candidats à l'émigration vers l'Algérie affichent le même acharnement à tenter le tout pour le tout que les jeunes Algériens qui se jettent à l'eau pour rejoindre l'éden européen. Une fois nos frontières terrestres franchies, ils tentent généralement d'atteindre ce même but. Lorsque leur transit par notre pays n'est pas interrompu par leur arrestation, il l'est parfois de manière tragique puisqu'il n'est pas rare aussi que certains d'entre eux perdent la vie, de faim et de soif, au milieu du désert aride et impitoyable. Ceux qui viennent du Niger, par exemple, parcourent 900 km pour atteindre Djanet dans des conditions inhumaines. La prise en charge de ce phénomène, qui ne cesse de s'accentuer, nécessite d'importants moyens humains et matériels. En plus de cet aspect, une enquête policière sur les filières des passeurs est diligentée par les services concernés. Certains cherchent à atteindre la proche Libye où les possibilités de trouver du travail sont plus nombreuses. Les passeurs sont généralement des Algériens mais également des Noirs africains. Ils soutirent environ 7 000 DA à chacun des candidats à l'émigration. Certains d'entre eux sont impliqués dans des réseaux de contrebande, de trafic de papiers… Le phénomène a pris de telles proportions que, aujourd'hui, la population d'immigrés clandestins établie depuis plusieurs années à Djanet est plus nombreuse que les autochtones, nous assure-t-on.