Pour les pays membres de l'OPEP, le coût élevé de production des pétroles non conventionnels est seul capable d'endiguer une éventuelle chute des prix. L'inquiétude montait depuis quelques mois au sein de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Cette organisation, qui pompe environ un tiers du pétrole mondial, craignait, sans l'afficher, l'augmentation de la production non-OPEP, provenant notamment des Etats-Unis. Le levier du contrôle des prix pourrait leur échapper à l'avenir. Sauvegarder les cours à des niveaux rentables serait également une équation à plusieurs inconnues. Tel est l'enjeu principal auquel font face les pays de l'OPEP avec l'arrivée des pétroles non conventionnels sur les marchés. Face à cette appréhension, les pays de l'Organisation soulèvent le bouclier du coût élevé de production des pétroles non conventionnels, seul capable d'endiguer une éventuelle chute des prix. En termes plus simples, les producteurs de pétroles non conventionnels protégeraient les prix afin de pouvoir amortir les coûts élevés de leur production. L'OPEP estime officieusement que l'offre en pétroles non conventionnels est complémentaire, à même de satisfaire la demande. Les craintes sont là Sauf que, pour Petrostrategies, «ce raisonnement très séduisant ne résiste cependant ni à la logique économique ni aux enseignements des expériences passées». Ce magazine d'information et d'analyse, spécialisé dans l'énergie, oppose ce bouclier de l'OPEP à ses semblables du passé, qui se sont révélés inefficaces face à la logique économique. En 1986, «lorsque les Saoudiens ont déclenché la ‘guerre des prix' pour récupérer leurs parts de marché, ils pensaient que si les cours du brut tombaient en dessous des coûts de production, l'extraction des pétroles les plus coûteux commencerait à s'arrêter jusqu'à ce qu'un nouvel équilibre offre/demande s'instaure». Cependant, bien que les prix se soient effondrés à 10 dollars le baril, la production ne s'est pas arrêtée en mer du Nord, une zone de production visée par la guerre des Saoudiens. Second exemple : le consortium chargé de développer le gisement de Kashagan, dans les eaux du Kazakhstan, s'est retrouvé face à un dilemme ; le coût d'un b/j de capacité installée de production sur Kashagan a déjà dépassé 130 000 dollars à la tête de puits, alors que les investissements consentis dépassent 50 milliards de dollars, dont une partie serait irrécupérable. Le même scénario est en train de se produire un peu plus au sud, en mer Caspienne, sur le gisement de Shah Deniz, fait constater Petrostrategies dans l'une de ses précédentes éditions. «En effet, pour produire 16 Gm3/an de gaz à partir de 2019, le consortium de ce champ doit consentir 50,6 milliards de dollars d'investissements selon les estimations officielles, soit l'équivalent de 140 000 dollars par bep/j de capacité installée», lit-on sur Petrostrategies. Le raisonnement simpliste qui prédomine au sein de l'OPEP, selon lesquels les non conventionnels défendraient des cours élevés à même de pouvoir amortir les investissements, n'est donc qu'un piège. «Des producteurs peuvent être piégés par une baisse durable des prix et se voir obligés de produire du pétrole (ou du gaz) sur de longues périodes en espérant limiter les dégâts, plutôt que de perdre toute leur mise (Kashagan) en attendant une hausse éventuelle des prix.» Autrement dit, l'industrie du schiste, bien qu'elle soit coûteuse, continuera à vrombir même à prix bas, en attendant une remontée des cours susceptible de rentabiliser les investissements. «La théorie du coût marginal sur lequel le marché s'alignerait ne tient plus debout dans ces cas, car l'offre de pétrole (et de ressources naturelles en général) est peu élastique», estiment les experts de Petrostrategies. Cela dit, les pétroliers de l'OPEP bottent en touche en attendant de voir plus menaçant le préjudice des pétroles non conventionnels. Mais les craintes sont déjà là.