De Bologhine à Aïn Naâdja, les maires sont débordés par les demandes de relogement. D'autant que le dernier séisme a fini d'exacerber le ras-le-bol des habitants, obligés de vivre dans des conditions précaires. «L'Algérie est un grand hôpital où seul le service d'urgence fonctionne. Il n'y a aucune étude, ni aucune stratégie dans la politique de relogement engagée par l'Etat. L'opération reste du bricolage. Quant à leurs promesses, elles ne sont que poudre aux yeux.» Le dernier séisme qui a frappé la côte de Bologhine le 1er août a fini par accentuer la crise du relogement. Les habitants de plusieurs communes occupent la rue et assiègent les différentes APC. Les responsables locaux, notamment ceux de Bab El Oued et La Casbah, avouent qu'ils sont dépassés. Le problème n'est pas nouveau, mais le dernier tremblement de terre de magnitude 5,6 qui a coûté la vie à six personnes et blessé plus de 400 autres, rappelle à tous la crise du logement des années 90'. S'étant rendus dans les localités touchées le jour-même du tremblement, le ministre de l'Intérieur, Tayeb Belaïz, et le wali d'Alger, Abdelkader Zoukh, ont rassuré depuis l'avenue Mira à Bab El Oued : «Tous les sinistrés seront relogés à partir de ce soir.» Pour mener l'opération, la wilaya a installé une commission mixte composée des walis délégués, des présidents d'APC des zones concernées et du directeur du relogement de la wilaya. Le président de l'APC de Bab El Oued et celui de La Casbah affirment que les familles concernées par cette mesure d'urgence ne représentent qu'une partie des sinistrés du séisme de Boumerdès de 2003 et des inondations qui ont touché Bab El Oued en 2001. Zone rouge L'opération de relogement annoncée par M. Zoukh fin 2013 a pourtant commencé depuis juin passé. «La crise du logement à Bab El Oued n'a pas pu être réglée à temps. Les demandes se sont accumulées. Depuis le séisme, tout le monde saute sur l'occasion pour faire valoir son droit. Il faut du temps pour régler ce problème qui perdure depuis des années», explique, de bonne foi, Atmane Sahbane, P/APC de Bab El Oued, rencontré dans son bureau. Ici, dans ce quartier populaire surpeuplé d'Alger, le problème de logement est connu grâce à la coordination des Immeubles menaçant ruine (IMR), créée en 2011. Les IMR ? Des bâtisses délabrées dont les murs ne sont plus blancs, aux cages d'escalier souvent rongées, et qui, pour la plupart, ne comptent qu'un seul WC par étage. «425 familles habitent 37 bâtiments classés zone rouge par les services du CTC», avance Kamel Aoufi, président de l'association, relogé à Birtouta. D'après le président de l'APC, la mesure de relogement urgente n'a touché que 30 familles. Mais d'autres cas restent encore à traiter. «Nous avons pu reloger, depuis juin dernier, 360 familles des IMR. Il nous faut encore l'accord de la wilaya pour les 29 foyers dont les recours sont en instance», rassure Atmane Sahbane. Ces familles en colère, habitant des IMR, organisent des sit-in quotidiens et mènent, en vain, des virées désespérées au siège de la wilaya. Mardi dernier, un rassemblement s'est tenu devant la wilaya déléguée, où aucun responsable n'est venu les rencontrer. Les manifestants dénoncent le comportement du wali délégué de Bab El Oued. Ils le désignent comme «responsable direct du blocage des dossiers au niveau de la wilaya». «Le wali délégué refuse de signer nos décisions, alors que nous avons tous ici le droit au relogement», déplorent ces habitants. Femmes et hommes, munis de leur acte de propriété, jurent de ne pas quitter leur habitation. Et s'ils s'inquiètent, c'est aussi parce que le wali d'Alger a ordonné la démolition des bâtiments libérés. Fatma Mokhtari, 95 ans, et son fils handicapé mental d'une quarantaine d'années, et d'autres voisines des IMR n'espèrent qu'une chose : être relogés. De son côté, Rachid Ibadioune, P/APC de La Casbah, rencontré dans son bureau à Port Saïd, alerte l'opinion publique sur la situation des bâtisses du plus vieux quartier de la capitale, inscrit par l'Unesco comme patrimoine mondial de l'humanité en 2012. Balayage «Toute La Casbah est en danger. Il faut la rénover ou reloger tous ses habitants», s'inquiète-t-il, visiblement fatigué. Selon le quotidien El Khabar, les services des Contrôles techniques de construction (CTC) ont classé zone rouge 561 douirate de La Casbah, et un tiers du même chiffre en orange au 3e et 4e degrés. Rachid Ibadioune ne parle que de 30 familles bénéficiaires de la mesure d'urgence. «104 douirate ont été recensées par nos services techniques depuis 2013. Leurs dossiers sont en instance. Concernant les dégâts causés par le séisme, le wali a demandé un balayage, ce que nous avons fait. Les rapports se trouvent actuellement à la wilaya, assure le P/APC de La Casbah. Nous avons relogé, jusque-là, 332 familles depuis 2013 et nous avons plus de 200 logements à distribuer dans l'avenir.» Mais depuis deux semaines, des citoyens ont bloqué pour quelques dizaines de minutes la route principale. «Les citoyens doivent savoir que les prérogatives du P/APC sont limitées. Nous nous ne procédons qu'aux opérations de sauvetage malheureusement, en attendant une solution à long terme», ajoute le P/APC. Boulons Sept familles composées de 27 membres habitent la même douira au 3, rue Abdelali Boukadour, soutenue par une autre à base de planches en bois serrés par des boulons. Tout bouge dans cette vieille maison. «Nous sommes nés ici et nous n'avons pas où aller. Nous sommes tous mariés. Chacun de nous occupe une chambre avec sa petite famille», témoigne Khirredine Slimani, 48 ans, père de Zinnedine, 8 ans. Abderrahmane, le cousin de Khirredine, 26 ans, marié, raconte son calvaire. «Mon père est cancéreux et ma femme, enceinte, a été contrainte d'aller chez sa famille par peur du séisme», soupire-t-il. Ici, le grand frère de Abderrahmane habite dans une maisonnette d'1 mètre de hauteur, 2 m de largeur et 1,5 m de longueur. «Il est fiancé, mais il ne peut pas se marier !» se désole Abderrahmane. Mais il n'y a pas qu'à Alger-centre qu'on revendique le droit au logement : à Aïn Malha B (Aïn Naâdja), un bidonville construit depuis 1985 au sud d'Alger. Ici, des centaines de familles habitent dans quelque 800 baraques de fortune entre deux quartiers de l'OPGI. Aucune route, mais une décharge. Depuis samedi, l'ambiance est à la contestation avec sit-in et blocage des voies. Bagarres «Cherif Rahmani a promis de nous reloger en 1996, mais il n'a pas tenu sa promesse. Les autorités ont promis récemment de nous reloger après ceux d'El Hamiz de Dar El Beida, mais rien n'a été fait jusque-là», s'emporte Hafaïfa Lahouam, 32 ans et père d'un enfant. «Le wali délégué de Bir Mourad Raïs a refusé de recevoir notre délégation envoyée après le mouvement de protestation», réplique Khelif, 32 ans et père d'un bébé de 6 mois. Les habitants de Aïn Malha B vivent dans des conditions inhumaines. «Nous sommes nés dans ces baraques et nous ne voulons pas de cet avenir pour nos enfants», aspire Khelif. Le mécontentement a gagné même les nouveaux relogés de Birtouta qui n'ont pas encore l'eau et le gaz. Sous la pression, les P/APC des communes concernées sont contraints parfois de fermer leur siège et d'évacuer les citoyens. A cause des bagarres, les policiers sont omniprésents depuis le séisme. Nous avons tenté de joindre la wilaya d'Alger qui n'a pas répondu à notre requête.