Un des pionniers de la bd algérienne a tiré sa révérence. Mohamed Bouslah (alias Méméd ou Mim) est décédé le 20 août dernier. Son enterrement s'est déroulé dans la discrétion en présence de ses amis et proches. Il fut le créateur de personnages d'anthologie et l'auteur d'albums qui ont marqué l'histoire de la bd algérienne. «Il est parti sur la pointe des pieds», résume Dalila Nadjem, éditrice de BD et commissaire du Fibda. En effet, Bouslah est mort comme il a vécu : loin des feux des projecteurs. L'auteur de Quand résonnent les tam-tam était sourd aux trompettes de la renommée et déclinait les honneurs officiels. Retraité des Postes et télécommunications, il refusait toute concession concernant son travail de bédéiste. «Rassou yabes !» (Il avait la tête dure) s'exclame le bédéiste Mahfoudh Aïder, très affecté par sa disparition. «C'était plus qu'un ami, c'était un grand frère», ajoute-t-il la voix tremblante d'émotion. Et pour cause, les deux hommes ont fait du chemin ensemble depuis la création de M'qidech, premier illustré algérien, en 1968, où Bouslah avait joué un rôle important. Cette publication regroupait les pionniers de la bd algérienne avec Maz, Slim, Haroun… Auparavant, Bouslah publiait déjà sa série humoristique Krikech dans l'hebdomadaire Algérie Actualité. Avec M'quidech, il donnera naissance à des personnages hauts en couleur, à l'image de Hbibou ou du professeur Skolli. Ce dernier est «le type de l'intellectuel fel houma (dans le quartier)», explique Améziane Ferhani, auteur de 50 ans de bande dessinée algérienne. Et l'aventure continue. Bouslah portait également un grand intérêt à l'histoire algérienne. Cela l'amènera à contribuer activement à la rubrique «De nos montagnes» dans M'qidech et au lancement, en 1979, de la revue de BD historique, Tarik, soutenue par le musée du Moudjahid. Il participe également à la fresque collective du même musée. «Il avait l'aisance d'aller du dessin réaliste au dessin humoristique», analyse Mahfoudh Aïder. Ce dernier avait d'ailleurs été subjugué, en tant que directeur du comité de lecture des éditions ENAL, par l'album Quand résonnent les tam-tam, publié en 1982 : «C'était une bd d'aventure qui changeait des thèmes habituels. J'avais tout de suite donné mon accord !» La même année, Bouslah participe à l'exposition des bédéistes algériens au Salon international de Lucca (Italie) et revient avec le prix collectif Premio Caran d'Arche. Il enchaînera avec deux autres bd à portée historique : La ballade du proscrit (1984) et Pour que vive l'Algérie (1989). Les trois albums seront réédités par l'ANEP en 2004 à l'occasion du Cinquantenaire de la révolution algérienne. Durant les années 90', il se retire un temps du neuvième art pour revenir à sa première passion, la peinture. Il collabore du reste au quotidien Liberté en tant qu'illustrateur et participe surtout à l'aventure de l'hebdomadaire satirique El Manchar. «Je peux dire qu'il fut un des membres fondateurs, affirme Aïder. J'écoutais toujours ses conseils. La seule fois où je ne l'ai pas écouté, cela m'a coûté la disparition d'El Manchar». «C'était un maniaque de travail», témoigne Aïder. Il préférait le dessin «artisanal» aux béquilles technologiques. Elève de la Société des Beaux-arts, Mohamed Bouslah était un farouche autodidacte qui n'a jamais arrêté de se remettre en question. S'il revient à la BD en 2008, c'est pour se lancer dans l'aventure inédite de l'adaptation littéraire. Il créé l'événement en publiant Le dingue au bistouri tiré du roman de Yasmina Khadra. L'album publié aux éditions Lazhari Labter reçoit un très bon accueil du public et des médias. En 2014, il poursuit l'expérience avec Terre interdite (éditions Sédia) adapté d'une nouvelle de Mohamed Dib. Le bédéiste pensait également à adapter La grande maison du même auteur, chef-d'œuvre incontournable de la littérature algérienne. A soixante-quinze ans, l'artiste avait encore beaucoup à donner à la bande dessinée. «Il est parti avant d'achever une magnifique BD historique sur Salah Bey», nous apprend-on aux éditions Sédia. Le mercredi 20 août, Mohamed Bouslah rentrait chez-lui avec des fleurs pour fêter ses 45 ans de mariage. Maintenant que l'homme a disparu «son œuvre parle pour lui», conclut Mahfoudh Aïder.