Alors que beaucoup d'habitants de Biskra et de ses environs où règne une canicule sans précédent ont quitté cette région du sud pour aller passer quelques jours sur le littoral national ou en Tunisie, des dizaines voire plus de gens du Nord y affluent depuis le début du mois d'août, peut-on constater. C'est que ces touristes d'un nouveau genre non comptabilisés sur aucune tablette, en villégiature dans une totale discrétion et suivant un parcours confidentiel sont justement à la recherche de la fournaise qui caractérise les journées estivales de Biskra et du sable doré des dunes que l'on peut trouver à certains endroits précis de la wilaya. Ce sont des adeptes de la sablothérapie, pratique paramédicale consistant à s'enfouir dans le sable chaud au moment où le soleil est au plus fort et la température à son acmé. Atteints de courbatures, de lombalgies, de dermatoses, de varices, de douleurs rhumatismales et d'autres maux des articulations et des muscles, ces curistes, pour la plupart sexagénaire et plus, viennent d'Alger, Oran, Constantine, Tizi Ouzou, Bordj Bou Arréridj et même de France pour s'adonner à cette activité, a-t-on constaté de visu. Certains viennent même en famille. Ils s'adonnent à cette pratique à leurs risques et périls, car cette dernière est interdite en application d'un arrêté de la wilaya émis il y a des années, quand plusieurs personnes âgées souffrant de maladies chroniques ont perdu la vie en se faisant sciemment enterrer sous le sable brûlant ; ces malades tentent de supporter les rigueurs de l'été saharien, persuadés du bien-fondé de l'action curative de la sablothérapie. Mythes et réalites A un endroit de la commune d'El Hadjeb, à 7 km au sud-ouest de Biskra, ils sont un groupe de curistes venus de différents horizons pour se faire enterrer sous le sable chaud. Il est midi. Pas un oiseau ne met une plume dehors. Le camp est rudimentaire. Autour d'une hutte précaire bâtie de bric et de broc, de jeunes auxiliaires, âgés de quinze ou seize ans, ont creusé une vingtaine de kbor (tombes) dans lesquels les malades se couchent avant d'être recouverts de sable sous un soleil de plomb. Chaque séance d'enterrement dure de 10 à 15 minutes et selon la résistance et le choix de chacun, on peut en effectuer une, deux ou trois successives pour 200 DA. Un jeune veille près du curiste dont la tête est protégée des dards solaires par un chapeau de paille ou par un parasol. Cet infirmier improvisé est attentif à la moindre remarque, aux sollicitations ou signes de gêne ou de malaise de l'homme enseveli. Dix minutes sont passées. Le curiste a le visage rubescent. De grosses gouttes de sueur perlent sur son visage. Il fait un signe vers le jeune qui le déterre précautionneusement avant de l'accompagner, emmitouflé dans une serviette, vers la hutte où il peut se reposer, boire un peu d'eau et raconter à ses congénères ce qu'il a ressenti. Mais comment ces personnes souffrant de différents maux sont-elles arrivées ici et qui leur a indiqué le lieu ? Selon eux, c'est le bouche à oreille et parfois même sur les conseils de médecins assermentés qu'ils ont décidé de venir soulager leurs douleurs. «Cette pratique est connue depuis des millénaires. Je peux certifier que ses effets sont réels sur la santé même si elle est interdite. Je viens chaque année pour une cure d'une semaine. Je suis sûr de passer un hiver sans douleurs dorsales», témoigne un vieil homme venu de Kabylie, tandis qu'un autre de Tipasa abondant dans le même sens raconte : «En 1970, mon père a ramené son propre père qui était paralysé des deux jambes à la suite d'une mauvaise chute, et mon grand-père est reparti d'El Hadjeb en marchant. Depuis ce jour, tous les membres âgés de la famille viennent chaque année pour des cures d'enfouissement sous ce sable miraculeux.» Un 3e curiste ayant trimé des années en France et qui souffre du «froid habitant son corps», est-il persuadé, confie qu'il vit un véritable calvaire hivernal avec des douleurs rhumatismales intenables les années où il ne vient pas s'enterrer sous le sable. Ainsi, comme on le voit, la sablothérapie jouit d'un indéniable capital de sympathie et de ferveur au sein des couches sociales. Ses effets sont-ils réellement thérapeutiques ? N'est-ce qu'un placebo, un succédané à la médecine moderne auxquels ces curistes ne peuvent pas accéder ? Des projets à vau-l'eau En tout cas, les conditions d'accueil et de pratique de cette thérapie alternative laissent à désirer, signalent-ils et ne comprennent pas pourquoi les pouvoirs publics ne prennent pas les bonnes décisions pour lui conférer une dimension légale et ainsi leur offrir des solutions d'hébergement et un encadrement médical spécialisé. Pour répondre à cette doléance, la daïra de Biskra a bien lancé une étude il y a quelques années afin de doter la commune d'El Hadjeb d'un centre de sablothérapie réunissant toutes les conditions de prise en charge et de sécurité des amateurs d'enterrements thérapeutiques. Le projet semble s'être perdu dans les méandres administratifs puisque rien n'est fait dans ce sens. Fallait-il le confier à la direction de la santé ou à celle du tourisme et de l'artisanat ? Un flou total règne sur le dossier. Les curistes continuent de squatter les alentours des mosquées et les hammams, ou de louer des chambres chez les locaux qui se frottent les mains pour cette aubaine estivale inespérée. Un opérateur privé activant dans le secteur de l'hôtellerie et du tourisme avait annoncé pour sa part sa volonté d'investir dans ce créneau, mais de ce côté là aussi, c'est le silence radio pour des raisons non divulguées. Pour pallier ces projets partis à vau-l'eau, des voix s'élèvent pour proposer que Hammam Salihine, centre de soins thermaux à la réputation bien faite inclut la sablothérapie dans ses services et offres aux curistes. Au moins ceux-ci pourront bénéficier d'un hébergement décent et d'une couverture médicale convenable. En outre, cela constituerait une source financière non négligeable, dont profitent pour le moment des réseaux clandestins.