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Oran Double peine pour les avocats du barreau
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Publié dans El Watan le 05 - 09 - 2014

Après l'enquête publiée par El Watan Week-end en juin dernier sur le barreau d'Oran, trois avocats ont été à nouveau frappés de suspension et deux d'entre eux radiés. Ils revendiquent aujourd'hui leur droit à la défense.
«Le bâtonnat d'Oran compte 5000 avocats. Allez-y et renseignez-vous auprès des 4997 autres confrères au lieu de vous focaliser sur ces trois que la justice a, préalablement, sanctionnés !», s'emporte Houari Ouahrani, bâtonnier d'Oran depuis quatre mandats, furieux d'être, encore une fois, interrogé sur le conflit qui l'oppose à ses propres avocats.
Les avocats concernés, Belkacem Naït Salah, agréé à la Cour suprême, Mohamed El Mir, ancien membre du conseil de l'Ordre des avocats d'Oran et ex-député du Conseil national de transition (CNT, 1994-1998), et Abdelkader Bendaoued, avocat agréé à la Cour suprême, expert national à long terme et enseignant à l'université de droit d'Oran, poursuivis par leur bâtonnier pour «diffamation calomnieuse», ont été une deuxième fois suspendus.
Me Naït Salah et Me El Mir ont été pour leur part radiés. Les avocats accusent Me Ouahrani d'«autoritarisme, de mauvaise gestion financière et de détournement des fonds de la caisse du bâtonnat». L'enquête publiée par El Watan Week-end sous le titre «Au bâtonnat d'Oran, la guerre est déclarée», parue le 13 juin 2014 a provoqué la colère du bâtonnier. Et les sanctions ont été durcies contre les plaignants. Les décisions de radiation que nous nous sommes procurées ne laissent aucun doute sur l'origine de la punition : une interview, le 13 juin 2014, au journal El Watan Week-end dans laquelle il est reproché, entre autres, aux avocats, d'atteinte à l'image du bâtonnier et du conseil de l'Ordre.
Alors qu'aucune mise au point n'a été notifiée, la foudre du conseil de discipline du bâtonnat a préféré «s'abattre» sur les avocats, selon leurs propres termes. En effet, le conseil de discipline s'est réuni le 6 août dernier pour trancher quant au sort de Maîtres Belkacem Naït Salah et Mohamed El Mir. Il leur reproche d'avoir émis des déclarations «diffamatoires». Ils sont aujourd'hui radiés du corps des avocats.
Injustice
Quant à Me Bendaoued, toujours suspendu, il affirme ne pas avoir été convoqué. «Ce qui se passe dans notre bâtonnat est grave. Nous sommes vraiment scandalisés», alerte Me Belkacem Naït Salah. «Il est regrettable que cette histoire prenne de l'ampleur, alors que le barreau d'Oran pouvait trouver une solution sage pour apaiser les esprits», déplore Me Salah Dabouz, avocat de Mohamed El Mir et président de la Laddh. Les deux avocats radiés ont été reconnus coupables sur la base de ce qui a été rapporté dans l'enquête.
«Pourquoi le conseil de discipline, qui a reconnu ce qui a été rapporté comme informations, ne reconnaît-il pas ce qui a été reproché au bâtonnier ?» se demandent les deux avocats. Le bâtonnier d'Oran se défend : «Les accusations des avocats n'ont aucun fondement. Pour qu'une plainte soit retenue, il faut qu'elle soit d'abord fondée. C'est le parquet de la République qui a jugé leurs propos infondés ! L'affaire du présumé détournement est passée devant le juge d'instruction qui a jugé l'accusation infondée. Dans ce cas, vous devez donc poser votre question aux membres du conseil et non pas à moi.» Les avocats ne désespèrent pas.
Ils déclarent avoir saisi, il y a plusieurs mois, l'Inspection générale des finances, l'Union nationale du bâtonnat, l'Association de lutte contre la corruption et la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (Laddh) sur cette question de «malversation». Ils soulignent aussi le «mutisme» de l'Union du bâtonnat qui ne répond toujours pas à leur requête. Contacté par El Watan Week-end, Me Yahia Bouamama, bâtonnier de Blida et président par intérim (le président a démissionné, ndlr) de l'Union des bâtonnats reconnaît «avoir reçu la plainte».
Détournement
«Le malaise n'est pas propre à Oran, il est général. Nous attendons la rentrée judiciaire, le 15 septembre, pour régler ces problèmes. Nous allons commencer par l'élection du bâtonnat de Batna pour rebondir sur l'élection d'un nouveau président de l'Union et les membres de la commission des recours, explique Me Bouamama. Je n'ai pas beaucoup de prérogatives, mais l'Union s'occupera sûrement du cas d'Oran.» Me El Mir ne l'entend pas de cette oreille.
«Au moment où les avocats poursuivis peinent à trouver des collègues pour les défendre, les bâtonniers, quant à eux, se serrent les coudes et s'entraident.» En effet, Me Salah Dabouz s'est vu «interdire» le droit de plaider en faveur de son client contre le bâtonnier d'Oran par le bâtonnier d'Alger, Me Abdelmadjid Sellini. Contacté par téléphone, Me Dabouz n'a pas souhaité s'exprimer sur la question, prétextant «un problème interne au corps des avocats», mais a précisé : «J'appelle à ce que tous les problèmes entre avocats soient réglés à l'intérieur de nos structures dans la transparence, l'esprit d'équité et la justice.
Que personne n'échappe à la règle et que personne ne se mette au-dessus de la loi. C'est la condition sine qua non pour que la profession reste indépendante dans l'intérêt des justiciables et de la justice.» Interrogé sur ce sujet, Me Sellini affirme qu'il défend lui-même le droit à la défense : «Effectivement, nous avons été contactés par le bâtonnat d'Oran qui nous a informés que Me Dabouz avait plaidé précédemment contre le bâtonnat en violation de la déontologie de la profession. Me Dabouz n'a pas fait sa visite de courtoisie, ni n'a informé par écrit le bâtonnier et le conseil de l'ordre, ce qui est contraire aux lois.»
Sans défense
«Les confrères d'Oran auraient pu formuler une plainte qui m'aurait obligé à sanctionner l'avocat. Donc, ma décision n'est intervenue que pour éviter l'engrenage entre confrères. Le plaignant a tout à fait le droit de choisir un autre avocat que j'autoriserai sûrement», assure Me Sellini. Depuis l'interdiction qui a frappé Me Dabouz, Me El Mir reste pénalisé. Toujours sans défense, il présente une toute autre version de l'histoire et affirme que son avocat «n'a pas enfreint la loi interne».
«J'ai appelé Sellini pour lui expliquer que Me Dabouz n'a, à aucun moment, violé les dispositions de l'article 78 du règlement intérieur de la profession. Me Dabouz a, à chaque fois, saisi mes adversaires par écrit. Et c'est moi-même qui envoyais les télégrammes, atteste Me El Mir. Je pense que les bâtonniers se sont entendus pour que je reste sans défense.» Pour rappel, la plainte déposée par Belkacem Naït Salah contre le bâtonnier Ouahrani qu'il accuse de «détournement de fonds» a été rejetée par le juge d'instruction «en violation des dispositions du code pénal», explique un spécialiste proche du dossier.
Mohamed Naït Salah affirme qu'il a usé de son droit de pourvoi. La preuve ? «L'affaire se trouve au niveau de la chambre criminelle de la Cour suprême sous le numéro 111615», déclare-t-il. Le bâtonnier d'Oran qualifie cette accusation d'«acharnement à son égard». «Les avocats radiés sont en train de spéculer. Un pourvoi ne veut en aucun cas dire que je suis coupable. C'est une étape juridique qui donne droit au plaignant de faire appel contre une décision quelconque d'une instance juridique. Adressez-vous au procureur général de la Cour suprême pour vérifier vous-même vos informations», insiste Me Ouahrani.
Pouvoir
Les avocats, eux, dénoncent un «abus de pouvoir» de certains bâtonniers. «En matière criminelle, il y a obligation d'instruction. Pourquoi alors Houari Ouahrani a été épargné par cette procédure ?» s'interroge Belkacem Naït Salah, en maintenant : «C'est une violation de l'article 66 du code de procédure pénale.» Nous avons contacté Me Nasreddine Lezzar, avocat à Constantine et membre du programme onusien pour la réforme de la justice pour avoir son avis. «L'article 66 oblige bien l'instruction en matière criminelle, c'est un principe universel.
A ce propos, je dénonce l'immunité dont bénéficient certains avocats, car ils l'utilisent pour se protéger de toute poursuite. Ce sont les bâtonniers qui autorisent les poursuites pénales dans les affaires qui opposent les avocats et je suppose qu'ils ne permettront jamais une poursuite contre eux-mêmes. Il est nécessaire de créer un syndicat autonome pour défendre le droit des avocats devant leur bâtonnat», éclaire-t-il.
Une source à la Cour suprême affirme que «le plus grand nombre d'avocats suspendus et qui ont été acquittés par la commission des recours sont d'Oran». «Est-ce que ce n'est pas le moment de s'intéresser à ce bâtonnier qui bénéficie, apparemment, d'un pouvoir mal approprié ?» s'interroge-t-il. Les avocats radiés sont unanimes : «C'est de l'injustice. Le bâtonnier se donne le droit de nous suspendre pour une simple poursuite en justice au moment où il jouit d'une totale immunité.»
Instances internationales
A Sidi Bel Abbès, c'est le bâtonnier lui-même qui suspend et... préside le conseil de discipline. Me Abdelhak Benaïssa, avocat dans ce bâtonnat, est suspendu depuis le 15 juin pour une durée d'une année par le conseil de discipline de l'Ordre. Le bâtonnat l'accuse de «diffamation» pour ses déclarations rapportées par Ouest-info, un quotidien régional. Il a qualifié le bâtonnier Mohamed Othmani, qui en est à son 5e mandat, de «dictateur et de fraudeur». «J'ai dénoncé la gestion catastrophique du conseil de l'Ordre.
Le bâtonnier gère le bâtonnat par la terreur, s'indigne l'avocat. C'est Othmani qui a présidé le conseil de discipline qui m'a suspendu. C'est contraire à toute déontologie.» Me Benaïssa conteste «les procédures d'achat de la maison d'avocat par le bâtonnat». L'avocat s'interroge sur la façon dont Me Mohamed Othmani l'a achetée et aménagée. Avec l'aide de l'un de ses confrères, Me Benaïssa a actionné une affaire devant la chambre administrative du tribunal de Sidi Bel Abbès pour désignation d'un expert. «Sous pression, l'avocat en question s'est désisté de l'affaire. Il a été muté à Tlemcen.
Quant à moi, j'ai été radié pour que personne ne demande des comptes à Othmani», explique-t-il. Me Benaïssa affirme avoir déposé son recours devant la commission nationale des recours à la Cour suprême. Nous avons tenté, en vain, de joindre Me Othamni. Les avocats s'inquiètent sur l'avenir du droit à la défense en Algérie. Quant aux trois avocats d'Oran, ils promettent une action d'envergure internationale. «La prochaine étape sera de saisir l'Union internationale des avocats sur les questions des dépassements du bâtonnier et notre droit à la défense.»


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