La désertification est un fléau national dont la menace ne cesse de grandir à tel point que les spécialistes du phénomène multiplient, à travers la presse, les alertes en direction de l'opinion publique et des autorités sur les conséquences désastreuses si des solutions urgentes et appropriées n'étaient pas apportées pour endiguer le mal. L'inéluctable avancée du désert est déjà parvenue au pied de l'Atlas tellien. Le sable recouvre sur son passage les terres cultivables et les zones de pâturage des Hauts-Plateaux, dont la population, trop longtemps abandonnée à son triste sort, a massivement émigré vers le nord. Ainsi l'avancée du désert est accompagnée de la fuite des populations les plus aptes à la combattre. Les conséquences de cet exode sont nombreuses et les remèdes apportés par les pouvoirs publics semblent inefficaces à stopper cet exil ravageur. Il y a d'abord un espoir déçu ; celui de voir les Hauts-Plateaux se transformer en Californie algérienne pour nous assurer l'autosuffisance alimentaire, particulièrement en céréales, dont nous sommes de très gros consommateurs, et en viande pour en finir avec les produits alimentaires transmarins de qualité douteuse et dont la facture ne cesse d'augmenter. Ensuite, la surpopulation des villes du nord qui n'arrivent plus à satisfaire les demandes de logement. Les autorités ont d'ailleurs tendance à satisfaire les plus contestataires dont les récurrentes réclamations tournent à l'émeute pour obtenir satisfaction. En effet, les responsables ont tendance à satisfaire, en premier lieu, les bruyants contestataires qui n'hésitent pas à recourir à l'occupation de la rue. Hélas, les attributions de logements à ces nouveaux venus passent avant celles des natifs du nord qui demeurent d'éternels demandeurs. Autre conséquence de cet exode est la mauvaise prise en charge scolaire du fait d'une demande en augmentation constante, obligeant les gestionnaires des écoles à surcharger les classes. Le chômage, contrairement aux statistiques officielles, est très important à cause des offres d'emploi très limitées, d'où la généralisation du commerce illicite qui a envahi les places et trottoirs de tous les quartiers populeux de la capitale. Sur les étals et à même le sol, on y trouve de tout : fruits, légumes, articles ménagers, confection, colifichets, etc. Tous ces produits sont vendus sous l'œil indifférent des policiers incapables d'endiguer le phénomène. Il y a également l'insécurité grandissante due au chômage et aux échecs scolaires. Les vols et agressions sont monnaie courante dans toutes les rues de la ville. Cette ruée vers le nord a pour conséquence une désertification venue du nord cette fois-ci. Elle affecte les meilleures terres agricoles du Tell. Il s'agit de l'avancée conquérante du béton, dont l'homme est uniquement responsable et qui couvre chaque année une nouvelle et importante portion des meilleures plaines du pays, celles que les Romains, Vandales, Byzantins et Français ont su préserver pour les exploiter et alimenter leurs greniers européens. A titre d'exemple, la Mitidja a perdu plus de 50% de sa surface cultivable. Nul doute que le vert disparaîtra bientôt de cette plaine. Quel paradoxe ! Les étrangers ont su prendre soins de ces terres algériennes contrairement à leurs propriétaires légitimes. Face à ce phénomène qui a pris naissance dès l'indépendance du pays, particulièrement pendant la décennie d'intense industrialisation, le gouvernement a réagi, hélas, tardivement ! Il propose aujourd'hui comme solution la création de nouvelles villes dans les Hauts-Plateaux ainsi que le développement de l'agriculture. Si le premier projet vise à soulager les villes du nord, ce n'est en fait qu'un déplacement du problème d'une région à une autre. La désertification et l'exode rural persisteront. Il vaut mieux s'attarder sur le développement agricole promis par les pouvoirs publics. Depuis l'année 2000, le FNDRA a été mis en place pour le développement agricole. Mais le bilan de son impact sur les Hauts-Plateaux n'est pas à la hauteur des attentes de la population. Aujourd'hui un autre programme plus ambitieux se met progressivement en place. Il risque également l'échec pour la bonne raison que le gouvernement pense le réussir en y injectant des milliards de dinars. L'argent est certes le moteur du programme, mais l'élément humain est le plus déterminant. En effet, si la gestion de ce plan échoue aux mains des commis de l'Etat, responsables du précédent plan, l'échec est programmé d'avance, car les objectifs du gouvernement se perdaient dans les méandres bureaucratiques des directions de wilaya. Les responsables au niveau de ces structures ne semblent pas aimer la campagne. Ils quittent rarement leur bureau et ne se déplacent sur le terrain qu'à l'occasion de missions officielles. Et si l'on se réfère aux cas récurrents de corruptions et malversations, hélas quotidiennement rapportés par la presse, il n'est pas hasardeux de dire que les sommes colossales qui seront injectées dans ce programme connaîtront, pour une bonne part, une destination autre. Quant aux sanctions éventuelles, ces potentats locaux ne craignent ni pour leur poste ni pour leur avenir. Il se savent inamovibles. Seul le wali sert de fusible quand la mauvaise gestion de la wilaya est avérée. Il faut de nouveaux hommes qui feraient du terrain leur lieu de travail privilégié, de l'écoute leur principale source d'information. Leur démarche contrastera avec celle des fonctionnaires condescendants. Ils assisteront et aideront les paysans à enrichir leurs connaissances dans les domaines nouveaux de l'agriculture tels que l'arboriculture, la culture du fourrage (vesce, avoine, luzerne). Pour fixer la population rurale, voire faire revenir du nord des jeunes en vue d'améliorer la moyenne d'âge d'une population vieillissante, il est nécessaire de leur fournir les moyens de production ainsi qu'un environnement moins hostile. La priorité des aides à apporter est l'accès à l'eau pour garantir aux agriculteurs une production céréalière qui ne dépendrait plus des aléas du climat. Or, pour ce point crucial, les responsables de wilaya ne semblent pas en faire un objectif. C'est l'alimentation de la ville qui les préoccupe avant tout. Le cas d'un lieu-dit Douar Ouled Ali Ben Daoud, situé dans la daïra de Sidi Aïssa, démontre que nos fonctionnaires ont une vision bien américaine de la propriété des richesses du sous-sol. Ce douar a perdu, tout au long des dernières décennies, plus de la moitié de ses habitants installés aujourd'hui dans la Mitidja. Les populations restantes vivent comme l'ont fait leurs ancêtres, de pâturage et de cultures céréalières, dont la récolte est tributaire du ciel. Mais dès que cette population découvrit, il y a quelques années, qu'elle dormait sur un lac, les zélés fonctionnaires s'empressèrent de rejeter les quelques demandes de subventions destinées aux sondages et confisquèrent l'eau du douar au seul profit de la ville de Sidi Aïssa. Ainsi, cette eau, qui aurait aidé à créer une zone verte dans la région, fut destinée aux besoins exclusifs d'une ville abusivement consommatrice comme le sont toutes les autres cités. Naturellement, cette eau sera vendue monnaie sonnante et trébuchante au citoyen. Mais le douar n'en tirera aucun bénéfice. Il faut certes ravitailler une ville, mais pas au point de sacrifier l'avenir d'un douar et le condamner à un éternel sous-développement, l'eau doit servir également ou prioritairement à la production de richesse. Sa confiscation aux besoins exclusifs de la ville est un encouragement implicite des paysans à abandonner leurs terres pour rejoindre la ville où ils sont censés y trouver tous les conforts qui leur manquent à la campagne. Avec cet exemple, nous comprenons que les fonctionnaires des wilayas agissent sans objectifs précis. Leur attitude facilite l'exode plutôt que de le juguler. Un autre aspect négatif de l'aide mériterait d'être signalé. Les subventions sont accordées parcimonieusement et les critères définis en haut lieu sont trop sélectifs, car seuls les agriculteurs pouvant mobiliser une certaine somme d'argent sont éligibles à cette aide. Le ministre de l'Agriculture déclarait récemment dans la presse qu'il était inutile de prétendre à une subvention du FNDRA si l'agriculteur est incapable de réunir sa quote-part exigée. La faille est dans la conception de ce projet, car sont exclus de ce programme la plupart des paysans pour cause de pauvreté. Or c'est cette population qui devrait être la principale intéressée, car elle est candidate potentielle au départ. Il faut par conséquent se débarrasser de cette idéologie de classes qui vise « à ne prêter qu'aux riches », et démocratiser cette subvention afin de fixer la population rurale la plus fragile socialement en lui apportant d'abord l'eau et le minimum de commodités telles que les routes, les centres de santé et les écoles. Il faut permettre à cette population de continuer à exercer son savoir-faire dans l'agriculture plutôt que de voir se perdre dans les bidonvilles du nord ces compétences ancestrales. L'action du gouvernement doit impérativement commencer en aval dans les douars afin de fixer le plus longtemps possible la population rurale la plus fragile. Ce choix présente beaucoup d'avantages : il évite d'abord tous les inconvénients cités plus haut aux villes du nord et permet d'espérer une plus grande production en céréales et viandes, dont nous sommes toujours dépendants de l'étranger. Du reste, le coût de fixation de cette population est de loin moins élevé que celui des émigrés pris en charge dans les grandes villes. Enfin, la stabilité de la population rurale est le moyen le plus efficace et le moins coûteux de stopper, voire faire reculer le désert et gagner des terres afin de compenser celles perdues dans le nord au profit du béton. Les vergers qu'ils planteront constitueront l'obstacle le plus efficace, car toujours sous leur permanente surveillance. L'auteur est cinéaste