Dès sa nomination à la tête du ministère des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa s'est illustré par un discours inédit. Une démarche qui vise à rompre avec une vision dogmatique et fermée de la pratique de la religion qui, dans un passé récent, a conduit la société algérienne à une guerre civile faite au nom de l'islam. Si le pays est sorti du terrorisme violent, il n'en demeure pas moins que l'idéologie extrémiste qui avait fait son lit n'est pas totalement anéantie. Sous l'influence de sinistres téléprédicateurs golfiotes, la société est livrée poings liés à une réislamisation rampante qui s'abreuve à la mamelle destructrice du wahhabisme. «L'espace religieux, resté longtemps à l'agonie, finit par rendre son âme au diable qui s'en est bien chargé», commente Zaïm Khanchlaoui, sociologue des religions. L'Etat ne semble pas tirer totalement les leçons de la décennie noire. Le pouvoir politique, par calcul tactique qui s'avère dangereux, a confié le contrôle de la société à des mosquées où le discours religieux dominant est le salafisme. «Le discours religieux dominant en Algérie est le salafisme wahhabisme, qui est la porte d'entrée principale au takfirisme», observe Saïd Djabelkheir, qui scrute les mouvements religieux en Algérie. L'instrumentalisation outrancière de la religion à des fins de légitimation politique par les équipes successives au pouvoir a fini par accoucher de monstres. Ce choix tragique est doublé d'une mise en place d'un système scolaire idéologisé. Ce mixage a donné lieu à une société recroquevillée sur elle-même, coupée des valeurs universelles. Durant les années 1980, les autorités politiques avaient manifestement prêté main-forte à des prédicateurs venus d'Orient pour inoculer dans la société un islam rigoriste basé sur le rejet de l'autre, mais surtout porteur de germes de la haine. L'expulsion du penseur Mohamed Arkoun d'un colloque à Béjaïa par le sulfureux prédicateur égyptien, Cheikh El Ghazali en 1985, était symptomatique d'une dérive religieuse prônée avant tout par le pouvoir politique pour combattre les secteurs progressistes de la société. Si le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, évoque aujourd'hui une perte de repères en matière de pratique religieuse, c'est qu'il mesure l'ampleur des dégâts causés par un déracinement culturel et cultuel. Se présentant comme réformateur, M. Aïssa replace l'Algérie dans sa profondeur stratégique, la Méditerranée et la pensée philosophique qui vient de Cordoue, avec laquelle il veut renouer en posant sereinement les termes d'un débat sociétal. C'est une manière aussi de réhabiliter Mohamed Arkoun qui avait théorisé «la clôture dogmatique» dans laquelle se sont enfermés les musulmans. Un tel chantier nécessite une mobilisation générale pas seulement des affaires religieuses, mais aussi par la réforme de l'école et l'implication accrue des élites politiques, sociales et intellectuelles. Mohamed Aïssa en est conscient. Cependant, cette réforme aussi nécessaire qu'urgente est tributaire d'une volonté politique sérieuse, ne peut se suffire d'une profession de foi.