-Des syndicalistes de l'UGTA veulent se réapproprier leur syndicat, l'idée a-t-elle trouvé écho dans le monde du travail ? Excusez-moi d'apporter une précision de taille et une clarification nécessaire à la compréhension des choses. Aucun syndicaliste parmi les initiateurs de ce comité n'a l'intention ni la prétention de se réapproprier cette organisation syndicale. Si tel était le cas, cela ne voudrait plus rien dire et pratiquement cela reviendrait au même. Remplacer un groupe par un autre n'est pas l'objectif recherché à travers cette initiative. Il s'agit fondamentalement de remettre cette organisation entre les mains des travailleurs. C'est la base, qui est en mouvement, qui doit se réapproprier cet instrument de lutte pour, par la suite, la refonder totalement avec l'introduction de nouvelles mœurs, de nouvelles pratiques, une nouvelle culture syndicale et une forme d'organisation nouvelle plus fluide donc moins bureaucratique et plus démocratique dans laquelle la parole revient de droit aux travailleurs et aux militants de base, où le carriérisme sera banni par l'introduction du principe de la limitation des mandats, où le cumul des responsabilités sera interdit à jamais, où les intérêts personnels et les privilèges seront définitivement abolis. Pour ce qui est du deuxième volet de votre question, je pense qu'il est trop tôt pour évaluer objectivement l'écho qu'a eu cette initiative dans le monde du travail pour diverses raisons. La première c'est que l'initiative en elle-même est récente, elle date seulement de quelques semaines, elle est aussi nouvelle de par le problème qu'elle pose — la remise en question de toute la direction actuelle sans aucune exception — et la manière dont elle le pose, en dehors des structures de l'organisation — avec la création d'un comité national de réappropriation et de sauvegarde — a en quelque sorte bousculé la culture dominante qui repose sur l'allégeance, les anciennes pratiques éculées et les dogmes établis sous la couverture d'une prétendue discipline qui n'est autre que de l'asservissement. La deuxième raison, c'est que l'idée en elle-même paraît gigantesque, tellement s'est ancré dans le subconscient des syndicalistes que cette direction est indéboulonnable du fait de sa proximité avec certaines sphères du pouvoir. La troisième raison est que le secrétaire général de l'UGTA avec son secrétaire national chargé de l'organique gèrent cette organisation par la terreur administrative avec les décisions de gel, les suspensions, les exclusions et les désignations. En conclusion et dans ce climat délétère, de terreur et répressif à souhait, comment voulez-vous que cette initiative, aussi juste soit-elle, trouve l'écho escompté en quelques semaines ? A titre d'exemple, le SG de l'UGTA avec son acolyte du département organique viennent de suspendre plus de 120 syndicalistes du secteur des douanes. Malgré cela et dans ces conditions pénibles, nous sommes arrivés à regrouper autour de cette initiative une multitude de syndicalistes anciens et nouveaux, des sections syndicales, des fédérations, des membres d'unions locales et unions de wilaya, des membres de la commission exécutive nationale et surtout les travailleurs. -Selon vous, est-ce que ce ne serait pas plus facile aujourd'hui de créer d'autres syndicats, les fédérer pour constituer une force plutôt que de se réapproprier l'UGTA? Bien entendu qu'il serait plus facile d'aller vers la création d'autres syndicats que de vouloir se réapproprier l'UGTA. Seulement chaque médaille a son revers et l'expérience des syndicats autonomes est là pour le prouver. Les syndicalistes des organisations dites autonomes proviennent majoritairement de l'école de l'UGTA. Ils ont fait leur propre expérience dans les structures de cette organisation. Ils étaient confrontés aux mêmes problèmes que ceux que nous dénonçons aujourd'hui. Loin de moi l'idée de remettre en cause le principe du multisyndicalisme, mais est-ce que pour autant le choix fait depuis le début des années 1990 a permis aux travailleurs de trouver un outil et un instrument de lutte qui correspondent à leurs aspirations ? Est-ce que cet émiettement et cette atomisation du mouvement syndical tendent vers la consolidation des moyens de lutte, ou bien au contraire contribuent à les affaiblir ? En ce qui me concerne, je ne sais pas. Il est trop tôt pour en tirer des conclusions, mais ce dont je suis certain, c'est que chaque mouvement ouvrier de par le monde doit faire ses propres expériences, affiner ses propres instruments et tirer les conclusions qui s'imposent à lui et aux conditions dans lesquelles il évolue. Pour revenir à l'UGTA, nous considérons qu'elle n'est la propriété de personne, bien au contraire elle est le patrimoine et l'héritage de tout le mouvement syndical et ouvrier. Elle possède après le parti du Front de libération nationale des moyens matériels et financiers colossaux, qui, s'ils viendraient à être mis au service de l'émancipation sociale des travailleurs, la situation de ces derniers ferait un bond gigantesque dans l'amélioration des conditions de leur vie. C'est pour cela que nous considérons qu'il faut rendre l'UGTA aux travailleurs et qu'il est nécessaire et utile de se la réapproprier. Nous considérons que c'est une obligation historique. -Quelles chances pensez-vous avoir pour réussir votre objectif d'empêcher la direction actuelle de l'UGTA, à sa tête Abdelmadjid Sidi Saïd, de rester lors du prochain congrès, sachant que ce dernier bénéficie de soutiens politiques au sommet de l'Etat ? Notre seule chance c'est la mobilisation des travailleurs, des sections syndicales à la base et toutes les autres volontés qui ont à cœur le devenir de l'organisation de Aïssat Idir, Abdelhak Benhamouda, Lakhdar Kaïdi et Boualem Bourouiba. L'autre élément qui joue en notre faveur ce sont les dérives graves constatées par tout le monde, y compris par ceux qui ne nous ont pas encore rejoints, les violences faites aux statuts de l'organisation, le clientélisme, le népotisme et l'arbitraire à l'encontre des syndicalistes honnêtes et porteurs d'une voix «discordante». Pour ce qui est des soutiens politiques, je pense que c'est lui en particulier et seulement lui qui agite le spectre de ces soutiens. Nous pensons sincèrement au sein de ce comité qu'aucun politique digne de ce nom ne peut, ne veut et ne doit associer son nom à celui du secrétaire général pour les raisons évidentes que chacun connaît et surtout pour le mal qu'il a fait à cette organisation, poussant des milliers de travailleurs à la quitter en masse. -Dans l'une de vos déclarations, vous avez insisté sur «l'achat» par la direction nationale de l'UGTA des secrétaires généraux des fédérations qui se sont vu offrir des voitures, sans oublier les pressions exercées sur les syndicalistes qui ne rentrent pas dans les rangs. Dans ces circonstances où le jeu et ses règles semblent déjà faits, comment comptez-vous vous y prendre ? Au sein du CNRS, nous sommes convaincus que le mal est plus profond, il n'y a pas que l'affaire des 100 véhicules achetés et offerts aux secrétaires généraux des fédérations et des unions de wilaya, il y a des situations plus graves. Il y a le problème de tout le patrimoine de l'organisation, aussi bien le patrimoine mobilier qu'immobilier, ainsi que les finances. Vous devez savoir que la commission de contrôle des finances, qui a une existence légale, n'a jamais fonctionné sous la direction de l'actuel secrétaire général. Il n'y a jamais eu d'audit sur la situation comptable de ce syndicat. Depuis des lustres, bien qu'il soit fait obligation au secrétariat national de présenter et de transmettre à la base pour discussion, débat et adoption par les assemblées générales des travailleurs le rapport moral et financier à la veille de chaque congrès, cela ne s'est jamais fait. Notre objectif est de dénoncer cette situation, de tenter de sensibiliser et de mobiliser les adhérents pour qu'ils demandent aux structures et aux appareils dont ils dépendent, des clarifications et les obliger à présenter des situations financières claires et transparentes de l'union locale jusqu'au secrétariat national, au besoin, exiger par le biais d'assemblées générales la restitution de tous les biens accaparés et acquis illégalement. -Que reste-t-il, à votre avis, aujourd'hui de l'UGTA, qui a perdu pied dans la Fonction publique, avec la création des syndicats autonomes et dont les représentants s'occupent à assurer dans le secteur économique surtout des positions de rente ? Pour être honnête, il ne reste pas grand-chose, l'organisation ressemble aujourd'hui à un tigre en papier. Elle n'existe aujourd'hui que par le semblant de force qu'elle montre en apparence d'une part du manque d'organisation des syndicats dits autonomes afin de dépasser leurs corporatismes et donc d'absence de perspectives à long terme et d'autre part de sa proximité avec le pouvoir qui la maintient sous perfusion depuis que Sidi Saïd a été intronisé secrétaire général. Par ailleurs, l'intéressement à la rente, aux privilèges et aux biens mal acquis est une évidence et une réalité des responsables des appareils qui constituent la première ligne de défense de ce secrétariat national illégal et illégitime. Mais à une ligne de défense aussi solide soit-elle, il faut opposer une ligne d'attaque suffisamment forte et juste qui ne souffre d'aucune équivoque -Pensez-vous que changer sa direction suffira à lui redonner sa crédibilité et mettre fin à des mœurs qui n'ont rien à voir avec le syndicalisme, des habitudes bien ancrées et installées par le fait que l'UGTA soit un instrument de rente entretenu par les responsables de l'Etat ? Bien sûr que non. Le changement de la composante de la direction nationale n'est pas une fin en soi et n'est pas suffisant s'il n'est pas lié à d'autres mesures de refondation importantes. Le départ de la direction actuelle, nous voudrions qu'il soit le prélude à une nouvelle ère qui permettra à de nouvelles compétences d'arriver et d'accéder aux postes de responsabilité les plus élevés. Nous lions cette revendication à la tenue du 12e congrès réellement démocratique qui soit l'expression de la volonté des travailleurs. Nous affirmons haut et fort que ne doivent être présents à ce congrès que ceux qui ont une relation de travail avec la base et qui sont mandatés par leurs collectifs respectifs pour agir et décider en leurs noms. Aujourd'hui, onze des membres de ce secrétariat national sont des retraités et de ce fait ils ne peuvent plus ni avoir de mandat ni ne peuvent prétendre à une quelconque responsabilité, seule la fédération des retraités pourra les abriter. Pour ce qui est des responsables de l'Etat comme vous le dites, leur peur de l'inconnu, du nouveau et du changement les pousse à maintenir le statut quo à tous les niveaux. Mais notre conviction est sûrement dans les rapports de force qu'il faut créer au sein de cette organisation pour donner toutes les chances de réussite à ce projet. Il est vrai aussi que cette organisation est souvent associée, aux yeux du citoyen lambda, aux privilèges, à l'enrichissement occulte et aux biens mal acquis, même s'il est vrai qu'a contrario il faut reconnaître qu'il y a à la base des syndicalistes honnêtes et intègres qui se battent à côté des travailleurs pour leur survie et l'amélioration des conditions de vie et de travail. Et pour étayer mon propos, je ne citerais que l'exemple des travailleurs de la santé, de l'Etusa, des Douanes, d'El Hadjar, des travailleurs de la zone industrielle de Rouiba sans oublier ceux de la Poste et de Sonelgaz et bien d'autres secteurs encore.