Ancien chef de gouvernement et candidat à l'élection présidentielle du 17 avril dernier, Ali Benflis livre, à El Watan, son point de vue sur la situation du pays. Il parle de la vacance du pouvoir, du rôle de l'armée, du rendez-vous que le ministère de l'Intérieur refuse de lui fixer pour déposer le dossier d'agrément de son nouveau parti et surtout des perspectives de l'opposition démocratique qui s'organise. -Depuis la dernière élection présidentielle à laquelle vous avez participé, vous parlez de crise de régime. Quelles sont pour vous les manifestations de cette crise en termes concrets ? Les manifestations de cette crise sont visibles à l'œil nu. Il y a d'abord une vacance avérée du pouvoir que les institutions compétentes en la matière – Conseil constitutionnel et Parlement – sont empêchées de constater. Le régime en place s'emploie maladroitement et vainement à en cacher la réalité et à la soustraire à nos yeux. Lorsqu'il y a vacance du pouvoir et que les mécanismes constitutionnels prévus pour la constater ne peuvent pas le faire ou sont empêchés de le faire, cela s'appelle, dans tous les pays du monde, une crise constitutionnelle. Il y a, ensuite, comme conséquence directe de cette vacance du pouvoir, des institutions et une administration nationale ou locale à l'arrêt. Le bureau présidentiel est inoccupé. Les réunions du Conseil des ministres sont devenues rarissimes, elles sont annoncées et célébrées comme autant d'exploits. Le Conseil des ministres ne se réunissant plus, les projets de loi deviennent à leur tour des objets rares. Dans de telles conditions, le Parlement est condamné à l'inactivité puisqu'il n'a qu'épisodiquement matière à légiférer. En droit comme en politique, une telle situation a un nom : c'est une crise institutionnelle. Et de fait, il y a crise institutionnelle dès lors que les institutions de la République n'assument plus intégralement leurs missions constitutionnelles. Il y a, enfin, la problématique de la légitimité institutionnelle. De la base au sommet, toutes les institutions manquent de légitimité. Elles ne sont pas l'émanation de la volonté populaire mais le produit de simples quotas électoraux que l'appareil politico-administratif distribue à sa seule discrétion et selon son bon plaisir. Qui, aujourd'hui, oserait soutenir contre l'évidence que nous jouissons d'institutions représentatives et légitimes ? Personne, à part le régime lui-même et le système d'allégeances rentières qui s'est constitué autour de lui. Il y a de ce fait une crise de légitimité. Au total, donc, nous sommes simultanément en face de trois crises – une crise institutionnelle, une crise constitutionnelle et une crise de légitimité qui sont parfaitement constitutives d'une crise de régime. -Vous évoquez la vacance du pouvoir, l'absence du chef de l'Etat des écrans, la gestion hasardeuse des affaires de l'Etat. Ne voyez-vous pas là l'urgence de changer, alors que l'opposition prend tout son temps pour se regrouper ? Je ne crois pas que l'opposition nationale ait perdu du temps. Nous vivons des moments graves et délicats. Je dis cela en pesant mes mots de manière rigoureuse et responsable. La précipitation n'est jamais bonne conseillère. La situation est si grave et si délicate qu'elle exige de nous le sens de la mesure et la marche à pas comptés. Notre pays a souffert trop longtemps, notre peuple s'est beaucoup sacrifié. Epargnons- lui les épreuves que nous pouvons éviter et les ruptures brutales dont nous pouvons nous passer. C'est cette voie de la sagesse et de la raison que l'opposition nationale a choisi de suivre. J'ajoute à cela que l'opposition est une miraculée du système politique algérien. Oui, faire de l'opposition dans l'Algérie d'aujourd'hui relève du miracle. L'opposition nationale est persona non grata dans les médias publics, elle trouve souvent porte close dans certains espaces médiatiques privés aux mains des nouvelles puissances de l'argent douteux, elle est mise sous l'éteignoir au Parlement, elle subit un harcèlement assidu dans toutes ses activités, y compris les plus ordinaires et les plus anodines. Le régime en place a tous les droits et l'opposition a tous les torts. Voilà le message, voilà le mot d'ordre et voilà la ligne de conduite que ce régime s'est donnée par l'excès, par l'abus et par le déni. Faire de l'opposition, dans ces conditions, c'est s'astreindre au parcours du combattant. C'est se résoudre au saut d'obstacles dont le pouvoir jalonne le quotidien de l'opposition nationale. La grande victoire de l'opposition nationale est d'avoir survécu à tous les coups de boutoir du régime en place, à l'embargo qu'il veut imposer sur sa moindre initiative et au blocus qu'il veut organiser autour de toutes ses activités. Mais l'opposition nationale ne s'est pas contentée de se battre pour sa survie. Elle s'est donné pour premier objectif d'unifier ses rangs, cela est en train de se faire. Elle s'est donné pour second objectif de proposer une issue apaisée, ordonnée et consensuelle à la crise politique à laquelle le pays est confronté, ce projet avance sérieusement et sereinement.Elle s'est donné pour troisième objectif d'aller à la rencontre de notre peuple pour qu'il soit partie prenante dans le changement démocratique, c'est là la finalité de toute notre entreprise. -Vous avez posé le diagnostic de la situation, en qualifiant la crise actuelle de crise de régime. Vous préconisez le retour à la volonté populaire. Une telle solution est-elle possible dans la situation actuelle, sachant qu'elle n'est pas voulue par les tenants du pouvoir ? Qu'y a-t-il de si étrange ou de si déraisonnable à vouloir donner la parole au peuple ? Dans tous les pays du monde, toutes les crises de régime se résolvent de cette manière-là. C'est la seule issue que les démocraties connaissent. Bien sûr, les régimes personnels et autoritaires ne l'entendent pas de cette oreille. Ils ne sont pas de cet avis et ont leur propre logique et leurs propres méthodes : l'intimidation, la diversion et le déni. Le régime algérien en place est dans ce cas, il a fait siennes cette logique et ces méthodes. Que nous dit-il en effet ? «Circulez, il n'y a rien à changer». Pour lui la transition démocratique s'est déjà faite, même si nous ne l'avons ni vu ni senti passer. Si l'on croit encore ses dires, l'Algérie est aussi une démocratie accomplie, où il n'y a que quelques détails sans importance à parfaire ! Selon lui, l'économie nationale est florissante et suscite partout admiration et envie, à un point tel que les mains étrangères essaiment sur notre sol pour contrarier nos prouesses et nos brillantes performances. Si on le croit, enfin, notre pays est un havre de paix qui regorge de stabilité au point de l'exporter, alors que dans notre naïveté nous n'attendions de lui qu'il exporte qu'une seule chose : des richesses que nous aurions créées de nos mains. Voilà le déni dans toute sa splendeur. Il y a d'un côté cette Algérie que seul le régime voit et de l'autre l'Algérie réelle qui est très loin de correspondre à ce que le régime prétend.Vous me dites que le pouvoir ne veut pas d'un retour à la volonté populaire. Je vous réponds que la situation que nous vivons actuellement est tellement anormale et tellement aberrante qu'il finira bien par s'y résoudre. Certaines franges de l'opposition souhaitent et pensent que la solution à la crise actuelle doit passer par l'intervention de l'armée, son association au processus de transition. Qu'en est-il pour vous ? Et comment voyez-vous le rôle de l'armée dans cette situation ? Je vous répond en vous rappelant un fait historique qui est malheureusement oublié lorsque l'on parle de notre Armée nationale populaire. Souvenez-vous, en 1997, l'International Crisis Group s'était saisi de la crise algérienne au moment où le terrorisme atteignait des sommets dans son agression contre notre population. Cette organisation avait, alors, établi un rapport dans lequel elle recommandait – tenez-vous bien – que l'ANP crée son propre parti dans le cadre de la recherche d'un règlement politique à cette crise. Cette recommandation scandaleuse avait, à juste titre, provoqué en son temps des réactions d'indignation unanimes à l'intérieur de notre pays et en dehors. Faisons donc très attention à ne pas donner une nouvelle vie à cette proposition scabreuse en nous inscrivant dans sa logique d'une manière ou d'une autre, intentionnellement ou non. J'ai, en ce qui me concerne, des convictions très fortes et une conception très précise du rôle et de la place de notre armée au sein de la nation. Ma première conviction est que l'armée est l'armée de la République, de la nation et du peuple tout entier. Il ne s'agit pas là de slogans creux ou de mots vides de sens. Bien au contraire, tous ces concepts ont, chacun en ce qui le concerne, un contenu politique et juridique très précis. La République, la nation et le peuple étant pour moi, par essence, indivisibles, il serait malvenu de notre part d'impliquer directement ou indirectement l'ANP dans le débat politique qui est, par nature, diviseur et conflictuel. Je ne peux penser que, s'agissant de la République, de la nation et du peuple indivisibles, l'ANP puisse prendre fait et cause pour une partie contre une autre. La politique est l'affaire de ceux qui ont choisi d'en faire un service et une vocation. Laissons donc notre armée à sa mission et à sa vocation bien à elle. De surcroît, elle consent déjà de lourds sacrifices pour la protection intérieure et extérieure de la nation pour que nous l'investissions d'autres charges et responsabilités. Ma seconde conviction est que notre armée doit être mise à l'abri de la confrontation des projets politiques et des querelles partisanes. Demander à l'armée de s'impliquer dans de telles confrontations ou de telles contradictions politiques, n'est-ce pas lui demander d'être un acteur politique ? N'est-ce pas exiger d'elle qu'elle fasse – à notre place – des choix politiques ? Et bien pire, n'est-ce pas la contraindre à porter un projet politique ? Est-ce bien cela que nous voulons ? Je ne le crois absolument pas. Ma troisième conviction est que l'ordre démocratique que nous aspirons à bâtir a précisément, entre autres objectifs, de prémunir notre armée contre les retombées des luttes et des querelles partisanes. Devrions-nous, alors, entamer notre parcours démocratique en y commettant la première entorse à cette règle, en demandant que l'ANP y soit acteur, partie prenante et décideur ? Notre mission démocratique commune, telle que je la conçois, consiste à placer notre armée au-dessus des mêlées politiques et partisanes. Une telle place n'implique pas nécessairement que l'ANP se désintéresse des grandes affaires de la nation ou soit indifférente à leur égard. Voilà ma manière de voir. Il reste que pour l'heure, il y a une crise de régime à régler, une transition démocratique à organiser et un régime politique dont il faut assurer la refondation calme, ordonnée et graduelle. Cette affaire est politique et doit le rester. Est-ce à dire que notre armée n'y a aucun rôle ? Bien sûr qu'elle y aura un rôle éminent : celui d'accompagner, de protéger et de garantir l'ensemble de ce processus. Quelle sera la forme de cet accompagnement ? Quel sera le contenu précis de cette protection ? Quelle sera la nature de cette garantie ? J'ai mes propres idées sur ces questions essentielles. J'en discute avec mes frères et mes compagnons au sein de l'opposition nationale. Ce sujet comme tous les autres feront, je l'espère, l'objet d'un consensus entre nous dans le cadre plus large de notre vision commune du changement démocratique auquel nous travaillons. En tout état de cause, je ne conçois pas notre armée comme un acteur dans la compétition politique ni comme une partie dans les joutes partisanes. Mais dans le même temps, je suis parfaitement conscient que la phase de transition sera une phase sensible et délicate, où les risques de dérapage ou de dérive resteront toujours du domaine du possible. D'où mon souci de conférer à notre armée, pour la durée de la transition que nous aurons fixée, ce rôle d'accompagnement, de protection et de garantie, chacun de ces mots ayant un sens précis dans mon esprit. La «charte pour la transition démocratique» que je propose pourrait traduire ce rôle en termes politiques. De la même manière, la Constitution du pays qui sera adoptée dans le cadre de la transition, selon moi, appelée à donner à ce même rôle son contenu juridique étant entendu, pour moi, que ce rôle vaudra pour toute la période de la transition décidée et pour cette seule période transitoire. -Lors de votre dernière communication, à Annaba, à l'université d'été organisée par le Parti pour la justice et le développement, vous avez longuement abordé les questions de citoyenneté, du respect de la souveraineté populaire… Ne pensez-vous pas que d'autres valeurs se sont installées dans la société, en plus du fossé de la méfiance, le changement est-il encore possible dans pareilles conditions? Oui la citoyenneté et la souveraineté populaire sont les deux socles de la démocratie. Rien d'autre ne les vaut et rien d'autre ne les égale. Sur ce sujet, la cause est entendue : il n'y a pas d'ordre démocratique véritable sans une citoyenneté exerçant la plénitude de ses attributs et une souveraineté populaire s'exprimant librement, écoutée et respectée. Vous me parlez de crise de confiance. Elle est précisément le produit de la citoyenneté étouffée et de la souveraineté populaire ignorée. La crise de confiance et la crise d'autorité accompagnent toujours la crise de légitimité. La confiance est octroyée ou retirée par le citoyen et, à travers lui, par le peuple souverain lui-même. Le bénéfice de la confiance ne peut être assuré par d'autres voies ou d'autres moyens que ceux-là. A défaut, comme vous le relevez à juste titre, le fossé de la méfiance se creuse pour aboutir à ce que nous constatons, aujourd'hui : une rupture entre l'Etat et la société. L'Etat vit d'approximation, d'improvisation et d'expédients. La société attend des perspectives d'avenir et des motifs d'espoir. Et c'est sans doute là que réside l'enjeu majeur de la crise de régime que nous vivons : que la société se reconnaisse dans l'Etat, qu'elle l'investisse de sa confiance et qu'elle respecte son autorité. Pour cela, il est nécessaire que la société soit convaincue que cet Etat est le sien et non celui d'un homme ou d'un clan ; qu'il incarne l'intérêt général et non des intérêts particuliers privilégiés ; qu'il est une émanation authentique de sa volonté et non le produit de subterfuges électoraux ; qu'il est juste et impartial envers tous ; en somme, qu'il est un Etat de droit et non un Etat de non-droit. -Ahmed Ouyahia, ministre d'Etat, chef de cabinet de la Présidence, qui a conduit «les consultations pour la révision de la Constitution», a dit, à l'entame de l'été, que «le pouvoir est à l'aise», pensez-vous qu'il ne l'est pas ? Pour être honnête avec vous, je vous réponds que cela n'est pas le premier de mes soucis. Le pouvoir est libre de dire comment il se sent. C'est son droit que personne ne lui conteste. Par contre, ce dont je peux vous assurer, c' est que l'Algérie n'est pas à l'aise et notre peuple non plus. De plus nous ne demandons pas au pouvoir de se sentir à l'aise ou d'être mal à l'aise. Nous lui demandons simplement d'assumer les missions qui lui sont confiées et si possible de manière compétente et performante. Or il ne le fait pas. Nous lui demandons de nous dire où il est, ce qu'il fait en notre nom et ce qu'il projette pour le pays, car nous ne le savons pas. Ce que vous appelez le pouvoir n'est plus localisable aujourd'hui, il n'est plus identifiable, et il est devenu incontrôlable. Permettez-moi de vous retourner votre question : où est le centre de la décision nationale, à l'heure actuelle ? Comment la décision nationale se forme-t-elle et comment est-elle prise ? Qui décide ? Qui gouverne ? Qui décide de notre sort et de la destination de nos ressources ?Voilà les vraies questions que chacun de nous doit se poser. Ce sera, alors, le commencement de la sortie de cette situation anormale et intenable qui est imposée à un grand pays et à un grand peuple qui ne méritent pas tant d'indifférence et tant de mépris. -Vous avez travaillé à la création d'un parti politique, le ministère de l'Intérieur, aux dernières nouvelles, ne vous a pas accordé le rendez-vous pour le dépôt du dossier d'agrément. Où en sont les choses et comment comptez-vous réagir s'il vous le refuse ? Vos informations sont exactes. Nous nous sommes astreints à constituer le dossier de la demande de création d'un parti politique dans le strict respect des lois de la République. Nous avons sollicité un rendez-vous pour procéder au dépôt de ce dossier auprès des services compétents du ministère de l'Intérieur le 6 juin dernier. Cette première demande a été effectuée téléphoniquement. En l'absence de toute réponse, nous avons renouvelé notre demande par lettre recommandée le 6 juillet 2014. A ce jour, nous n'avons été destinataire d'aucune réaction à cette lettre. Cela fait plus de trois mois que nous attendons qu'une date nous soit fixée pour le simple dépôt du dossier de création du parti. J'envisage d'adresser une lettre au ministre de l'Intérieur lui-même pour appeler son attention sur ce sujet et pour demander à connaître sa décision en la matière. Pour le reste, c'est-à-dire ma réaction à ce déni d'un droit constitutionnel, je vous répondrai simplement : «Tout vient à point pour qui sait attendre.» Il s'agit d'un droit légitime que je défendrai, car mes soutiens et mes sympathisants ainsi que tous ceux qui croient en mon projet politique sont en position légitime de revendiquer une représentation politique. Leur vœu devra être écouté et respecté. -Allez-vous intégrer la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique ? Une précision si vous le permettez. Le Pôle des forces du changement fait partie de l'opposition élargie qui s'est constituée lors de la conférence de Mazafran. Souvenez-vous, cette conférence de Mazafran avait recommandé la création d'une instance de coordination et de suivi où seraient représentées les forces politiques se reconnaissant dans l'opposition nationale. Nous nous sommes réunis le 10 septembre dernier pour structurer et organiser cette instance qui regroupe, désormais, la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique, le Pôle des forces du changement, d'autres partis qui ne sont pas membres de ces deux regroupements ainsi que des personnalités nationales. Voilà donc cette instance élargie de l'opposition nationale que nous avons rejoint et qui sert désormais de cadre nouveau pour conforter l'unité des rangs de l'opposition, pour parvenir à une unité de vision sur le règlement de la crise politique que nous vivons et pour donner un contenu à notre unité d'action. -Vous auriez fait à la Conférence nationale pour les libertés et la transition démocratique la proposition de déclarer la vacance du pouvoir et votre idée fait son chemin au sein de l'opposition. Comment, selon vous, la rendre possible à travers une procédure de destitution qui est refusée par le pouvoir ? Comment voulez-vous que je propose à la Conférence nationale pour les libertés et la transition démocratique de déclarer la vacance du pouvoir alors même qu'en homme de droit je suis bien placé pour savoir que ce n'est ni son rôle ni sa vocation et que de surcroît elle n'a pas ce pouvoir.Notre Constitution est très claire à ce sujet. La problématique de la vacance du pouvoir est du ressort du Conseil constitutionnel qui doit la constater et du Parlement qui doit entériner sa décision. Le problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui est que ces deux institutions ne sont pas indépendantes mais dépendantes de la seule volonté du régime en place et que leur fonctionnement a été verrouillé de manière telle qu'elles sont devenues incapables de prendre la moindre initiative ou la moindre décision de manière autonome. La vacance du pouvoir est une réalité qui saute aux yeux de tous. Elle place notre pays dans un état grave de vulnérabilité, de fragilité et de précarité. Cette situation est dangereuse car elle affaiblit l'Etat et l'expose intérieurement et extérieurement. Face à cette situation, nous devons coûte que coûte nous rassembler autour de l'objectif de protection et de préservation de l'Etat national, car, en cette affaire de vacance du pouvoir, c'est essentiellement de cela qu'il s'agit. Quant à savoir comment rendre possible le constat de vacance du pouvoir, cela n'est pas en mon pouvoir. Ce qui est en mon pouvoir, par contre, c'est de continuer à attirer l'attention de tous sur la gravité des dangers que cette situation induit ; c'est de continuer à interpeler nos institutions concernées pour qu'elles assument, en ces moments sensibles, leur responsabilité devant le peuple, devant la nation et devant l'histoire et c'est de m'adresser avec assiduité à notre peuple pour l'informer et le sensibiliser à tout ce que cette situation anormale recouvre comme menaces et périls réels. -Comment imaginez-vous l'avenir immédiat de l'Algérie ? Pensez-vous qu'une élection présidentielle anticipée peut intervenir à tout moment et que le clan présidentiel peut se résoudre à partir, alors que les enjeux de rente et de pouvoir qui ont défini les jeux de la dernière élection présidentielle sont toujours présents ? En somme, comment préconisez- vous de régler la vacance du pouvoir ? Le projet de règlement global de la crise politique que je propose va largement au-delà de la seule vacance du pouvoir que vous évoquez. Comme sa dénomination l'indique, ce que je propose est un règlement global. Ce projet part de certains constats, sur la base de ces constats, il fixe des objectifs, ces objectifs identifiés, il les ordonne en priorités en fonction de leur degré d'urgence, ces priorités ordonnées, une relation séquentielle est établie entre eux, le tout est accompagné de mécanismes de mise en œuvre précis. Quels sont les constats que je fais et que ne je ne suis pas le seul à faire ?Je constate, d'abord, que nous vivons une grande crise de régime qui est la résultante directe d'une crise constitutionnelle – la vacance du pouvoir – d'une crise institutionnelle – des institutions à l'arrêt – et d'une crise de légitimité – toutes les institutions étant une pure émanation de la fraude et non de la volonté populaire. Je constate, ensuite, que la transition a tardé dans notre pays. Toutes les occasions favorables qui se sont présentées pour ce faire durant les trente dernières années ont été autant de rendez-vous manqués. Je constate, enfin, qu'il existe dans notre pays un régime politique personnel et autoritaire que nous nous devons de changer. De ces constats découlent naturellement les objectifs : il s'agit de la crise de régime dangereuse dont nous devons sortir notre pays, de la transition démocratique à organiser de manière sereine, ordonnée et graduelle et du changement de la nature du régime en organisant le passage d'un régime personnel et autoritaire à un régime démocratique conforme aux normes universellement admises. C'est leur degré d'urgence qui m'a dicté l'ordre dans lequel sont placés ces objectifs. En mon âme et conscience, je crois que la priorité la plus élevée devrait être accordée au règlement de la crise de régime. En effet, la vacance du pouvoir expose notre pays à de sérieux périls. La solution devant lui être apportée devrait être une source de préoccupation majeure pour tous. Cette vacance manifeste du pouvoir est au cœur de la crise constitutionnelle et de la crise institutionnelle qu'il nous faut surmonter au plus tôt. Traiter la crise de régime en tant que telle, c'est aussi traiter, du même coup, la crise de légitimité au moyen du seul recours qui compte, en l'occurrence l'expression libre et non faussée de la volonté populaire. Comment traiter cette crise de régime ? Je propose qu'une instance indépendante de préparation, d'organisation et de contrôle des élections soit créée. Cette instance serait souveraine dans l'exercice de ses tâches et jouirait de compétences exclusives pour tout ce qui concerne les processus électoraux directement ou indirectement. Les échéances électorales étant devenues, chez nous, synonymes de distribution politico-administrative de quotas électoraux en fonction du seul degré de soumission ou l'allégeance au pouvoir du moment, la création de cette instance est une nécessité absolue. Elle est l'antidote au mal de la fraude qui dénature le choix populaire, fausse la pratique politique, vide de son sens le pluralisme et ôte aux institutions toute légitimité et sape leur autorité. L'instance indépendante pour les élections créée, le retour à la volonté populaire pourra s'effectuer dans la confiance et dans la sérénité. Les urnes seront ainsi mises en position d'identifier nos dirigeants de la base au sommet en les dotant d'une légitimité, d'une représentativité et d'une autorité incontestables et inattaquables.Un tel retour à la volonté populaire nous permettrait de régler, par cette seule et unique démarche, quatre problématiques auxquelles nous sommes confrontés : une solution serait apportée à la vacance du pouvoir ; les institutions seraient remises en ordre de marche ; la légitimité des institutions serait assurée et, enfin, les acteurs de la transition démocratique seraient identifiés et mandatés par décision du peuple souverain. La crise de régime ainsi réglée, une transition démocratique véritable s'ouvrirait immédiatement dans son sillage. Elle serait l'œuvre d'acteurs représentatifs et légitimes. Un gouvernement d'union nationale pourra alors être constitué. Une conférence nationale sur la transition démocratique pourra être convoquée à l'effet de convenir et d'adopter une charte ou un pacte de la transition démocratique qui servirait à organiser cette transition et à la mettre à l'abri des dérapages et des dérives. Une commission de rédaction de la future Constitution de la République sera créée et animée par des parlementaires aidés par une expertise nationale. La charte ou le pacte pour la transition démocratique de même que la Constitution seraient soumises à un référendum populaire. Cette transition démocratique aura pour finalité le changement de la nature du régime. Il s'agira de substituer un Etat démocratique à l'Etat autoritaire et personnalisé qui a fait son temps et qui est devenu l'obstacle majeur qui retarde la marche de notre peuple vers l'accomplissement de son destin.