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La boucle est bouclée
Vu à la télé
Publié dans El Watan le 25 - 09 - 2014

Ainsi donc, le président de la République, qu'on voit de plus en plus rarement en public, n'a pas trouvé mieux – comprendre plus utile ou plus adapté – que Miloud Chorfi, membre du conseil national du RND et ex-chef du groupe parlementaire de son parti à l'APN, pour diriger l'organe appelé à mettre de l'ordre dans l'anarchie qui règne dans la nouvelle sphère télévisuelle, en l'occurrence l'Autorité de régulation de l'audiovisuel (ARAV). C'est le ministre de la Communication qui soutient mordicus ce choix qui n'a pas été fait, selon lui, de manière arbitraire affirmant avec une certitude assumée qu'«aucun autre candidat n'aurait pu assurer cette mission».
Comme s'il y avait sur la liste plusieurs postulants à ce poste et qu'il fallait faire une sélection rigoureuse pours tirer le plus performant à partir de critères précis… dont la compétence intellectuelle, la maîtrise professionnelle et la liberté d'entreprendre ne sont pas des moindres. Ou, si l'on inverse la question, comme si dans toute l'Algérie n'existait aucun autre cadre d'envergure capable d'être promu à une telle responsabilité. Le désert absolu, en quelque sorte, qui ne permettait aucune autre alternative.
Mais passons, là n'est pas le sujet. Le sujet, comme feint de l'ignorer le ministre, n'est pas tant la personnalité ou la présumée expérience du responsable élu – qui, soit dit en passant, a plus pratiqué la politique que le journalisme dans sa carrière – qui suscitent la controverse, mais bien ce qu'il représente aux yeux de l'opinion publique pour une mission de salubrité aussi capitale. Et là, personne ne contredira les appréciations unanimes de la presse qui ont tellement écœuré le représentant du gouvernement, lorsqu'elles ont souligné à juste titre l'assujettissement du militant du RND aux directives d'El Mouradia qui lui enlèvent tout esprit d'indépendance.
Miloud Chorfi, à moins qu'on prenne les gens du métier pour des imbéciles, est un homme du système, un statut qu'il revendique lui-même haut et fort et qui, donc, lui confère l'obligation de prendre en charge totalement le discours officiel. L'ancien reporter sportif de la radio et de la télévision aux temps immémoriaux du parti unique, à l'époque où l'espace médiatique n'était soumis à aucune concurrence ni idéologique ni professionnelle, a toujours été, depuis qu'il s'est mis à la politique sous l'aile de son mentor Ouyahia, alors maître du RND, un fervent, que dis-je un défenseur acharné des thèses du sérail, une soumission qui s'est encore amplifiée pendant les mandats successifs de Bouteflika. Jamais, de mémoire de parlementaire, une seule contestation, même la plus futile, n'a émané de ce député discipliné qui a toujours su éviter les pièges à risques pouvant compromettre sa carrière politique.
C'est en faisant le dos rond et en pratiquant à outrance la langue de bois, comme tous ses pairs de l'auguste enceinte, que le nouveau président de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel a réussi à mener sa barque et à hériter d'une désignation au bout d'un parcours fluide, comme une prime de bonne conduite. En dépit des critiques prévisibles et inévitables qui allaient s'abattre sur lui, en raison de ses compétences très approximatives concernant l'organisation et la valorisation d'un secteur mis sur pilotage automatique et livré aux quatre vents, en dépit aussi des quelques «casseroles» qu'il traîne sur les modes de financement des organes de presse qu'on lui attribue (deux journaux et une chaîne de télé), qu'il s'est empressé de démentir à demi-mot, la décision du chef de l'Etat a été inflexible.
Contrairement aux propos dithyrambiques du ministre pour accréditer la thèse d'un choix professionnel, les tenants du pouvoir, en optant pour un serviteur aussi zélé, ont montré que cette «promotion» avait d'abord un caractère éminemment politique, en restant fidèle à l'indestructible devise d'opérer le changement en recyclant en permanence un personnel de confiance. En fait, en n'étant pas «neutre» dans ce choix, le Pouvoir a tout simplement confirmé ses intentions de réguler (et bien sûr contrôler) à sa manière un potentiel médiatique qui ne devrait en aucune façon sortir du rang.
Les belles promesses faites par les précédents ministres, qui avaient lancé les jalons de ce qu'ils avaient appelé l'ouverture du champ audiovisuel, n'ont pas tenu longtemps puisqu'au final de cette entreprise, on retombe sur la réalité d'un verrouillage qui ne laisse aucune perspective de liberté d'expression à la nouvelle télé algérienne. La classe politique, l'opposition notamment, n'ont pas trouvé les mots pour manifester leur indignation contre ce coup de force qui va mettre le champ médiatique audiovisuel au pas, réaction légitime résumée par cette phrase très significative de Benflis : «Cette nomination est frappée du sceau indélébile du clientélisme, du clanisme et de l'allégeance dans leurs formes les plus insoutenables.»
Le jeu se referme donc après avoir fait miroiter une autre dimension du secteur télévisuel, plus dynamique, plus contemporaine. Mais qu'on ne s'y méprenne pas : c'est un champ – sans jeu de mots – complètement miné qui attend le nouvel arrivant. Si la loi sur l'audiovisuel est appliquée dans toute sa rigueur, toutes les chaînes en activité à ce jour seront considérées comme clandestines, à part les écrans sportifs qui se sont conformés au principe de la thématique. Comment donc faire avec ces télés qui ont investi lourdement en moyens matériels et humains sans respecter au départ ce principe ? Comment par ailleurs revoir les copies sur le plan législatif qui est strict en matière de l'actionnariat, sachant que la grande majorité de ces chaînes appartiennent à des grosses fortunes qui détiennent plus des trois quarts du capital ? On vous le dit, nommer un responsable pour une mission de régulation est une chose, sortir indemne de l'incroyable imbroglio administratif, législatif, idéologique et politique en est une autre. L'anarchie qui a envahi ce secteur relève de la responsabilité du gouvernement qui, par son laxisme, ses calculs mesquins, son absence de perspective viable, a ruiné une belle ambition avant même qu'elle n'atteigne sa maturité.


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