El Watan Week-end est parti sur les traces de l'otage français du côté de Bouira et du côté de Tizi Ouzou. Des zones d'ombre persistent encore sur l'endroit exact où Hervé Gourdel a été enlevé dimanche dernier. Parmi les noms avancés par les habitants autour de Tikjda et les autorités locales : Ath Oulbane, dans la daïra de Saharidj (wilaya de Bouira), Ath Ouabane dans la commune d'Akbil, daïra de Aïn El Hammam, et la colline de Tizi n'Kouilal dans la commune d'Iboudrarène, daïra d'Ath Yenni, du côté de Tizi Ouzou. Mais quel que soit l'endroit où l'on se trouve, les gens affirment que le touriste français «n'a pas été kidnappé chez eux». De Aïn El Hammam, nous nous sommes déplacés à Akbil, à 80 km à l'extrême sud de Tizi Ouzou, dans cette région frontalière avec Bouira. Le P/APC du village, Hakim Bessadi, est ferme sur cette question. «Hervé Gourdel n'a pas été enlevé à Ath Ouabane. Il faut voir du côté d'Iboudrarène». Même déclaration faite par Hakim Ouchaâbane, vice-président de la commune d'Iboudrarène, pour qui le drame n'est en aucun cas survenu à Tizi N'Kouilal et renvoie la balle dans le camp de Bouira. «Le P/APC a donné instructions de ne rien dire», avoue Hakim Ouchaâbane. Les habitants, eux, ne se privent pas de dénoncer «la légèreté» avec laquelle ils estiment que les forces de sécurité agissent dans ce genre de circonstances. «A Ath Ouguemoun dans la commune d'Iboudrarène, les gens n'ont pas arrêté d'alerter les gendarmes sur la présence de terroristes dans cette région. Mais ces derniers n'ont pas bougé le petit doigt. Ils auraient pu éviter ce drame s'ils avaient réagi à temps !», affirment des habitants d'Akbil. Abandon A Iboudrarène, ce petit village à 32 km au sud de Tizi Ouzou et à 25 km de Tikjda, les habitants ne se montrent pas. Ahcen, 58 ans, natif de la région et propriétaire d'un fast-food à la sortie du village, a sa propre version des faits. «Il est vrai que des informations nous parviennent de temps à autre sur des activités terroristes dans la région, mais nous n'avons jamais eu de problème avec eux. Chacun de nous garde ses distances et c'est ainsi que nous agissons depuis la dissolution du corps des gardes communaux et celui des patriotes, affirme-t-il. Nous avons toujours été livrés à nous-mêmes. La Kabylie a été abandonnée. Le pouvoir veut juste salir son image.» De son côté, Farid, 49 ans, natif aussi du même village, actuellement installé en Finlande, dénonce «l'inégalité de traitement» des affaires concernant les kidnappings perpétrés en Kabylie. «Pourquoi n'ont-ils pas fait ce qu'ils font pour retrouver le ressortissant français pour tous les Algériens enlevés en Kabylie ? s'interroge-t-il. Le pouvoir nous a poussés à quitter la région. Aujourd'hui, ils veulent la dépouiller de tous ces habitants.» Du côté de Bouira, Abdenour, ancien garde communal et connaisseur de la région d'Ath Oulbane, joint par téléphone, affirme lui aussi, qu'Hervé Gourdel n'a pas été enlevé à Saharidj. «Où a-t-il été kidnappé alors ?», s'interroge un ancien cadre politique de la région. Il reste Tikjda à explorer et pour y parvenir, il faut parcourir 25 km à partir d'Iboudrarène. Les routes sont étroites, construites sur des falaises qui donnent le vertige. Les ouvriers de l'entreprise de BTP, Slimana, qui est chargée de la rénovation de la route qui relie à Tizi n'Kouilal, continuent leurs travaux. A Tizi n'Kouilal, dernier patelin de Tizi Ouzou avant d'entrer dans le territoire de Bouira du côté de Tikjda, le froid est insupportable. Nous sommes à 1560 m d'altitude. C'est par ici, que nous avons pu voir les villages d'Ath Ouabane et Ath Allaoua, cachés par les montagnes. Seul un barrage militaire est installé sur cette colline de Tizi n'Kouilal à 13 km à l'est de Tikjda et à 54 km du sud de Tizi-Ouzou. Calme Ici, il n'y a rien d'inhabituel. «Les militaires n'ont pas l'air préoccupés», se moque un routier, stationné sur le mont qui donne sur les deux villages d'Ath Ouabane et d'Ath Allaoua. L'un des militaires se défend : «Les terroristes peuvent nous tirer dessus à n'importe quel moment.» A Tikjda, tout a l'air de fonctionner normalement. «Il est vrai que les estivants se font rares en cette période de rentrée scolaire, mais certains viennent tout au long de la semaine», assure un fonctionnaire du Centre national des sports et des loisirs (CNSLT). Des couples, des jeunes et même des familles campent à 500 mètres seulement de Tizi n'Kouilal et le long de la route sur 13 km. «Nous venons régulièrement ici et nous n'avons jamais eu de problème», assurent Karim et Rachid, deux jeunes installés devant la montagne baptisée la Main du Juif. La région est calme. Des vaches paissent, aucun signe d'un ratissage militaire. «Nous n'avons jamais connu de problème à Tikjda, car notre périmètre est sécurisé par les militaires. Nous avons même reçu, récemment, une délégation étrangère importante, cinq jours seulement avant l'enlèvement du ressortissant français. Il y avait des Anglais, des Autrichiens, des Suisses et des Français qui se sont baladés, sans crainte, dans toute la région de Tikjda. Hervé Gourdel a sûrement été kidnappé du côté de Tizi Ouzou», affirme Ahmed Yafsah, directeur adjoint du CNSLT. Même constat fait par le directeur du centre, Smaïl Meziani. «Hervé Gourdel a été invité par le propriétaire d'un chalet et un natif de Tikjda qui s'appelle Hamouche Boukamoum, un ancien fonctionnaire du Centre des sports et des loisirs», affirme un autre travailleur du centre. Pour les militaires, Hervé Gourdel a été kidnappé à Tizi n'Kouilal entre les deux villages voisins d'Ath Allaoua et Ath Ouabane, distants de 1,3 km. Recherche «Nous avons déployé environ 300 paras et 200 soldats. Même les citoyens de Bouira ont participé à l'opération de recherche qui a commencé de Takerboust et fini à Tikjda», affirme un ex-garde communal, enrôlé dans les rangs de l'armée et qui fait partie du convoi déployé à la recherche de Gourdel du côté de Bouira. La nouvelle de l'assassinat d'Hervé Gourdel est tombée comme la foudre sur les habitants de la Kabylie qui n'ont pas encore oublié le chagrin du décès d'Ebossé, le joueur de la JSK. Hier encore, plusieurs habitants d'Akbil, d'Ath Ouabane, d'Ath Allaoua et même de Ouacif ont affirmé avoir entendu des bombardements militaires pendant toute la nuit de mercredi à jeudi «sur les forêts de toute la bande sud de Tizi Ouzou». Quant à l'ancien cadre politique qui a voulu garder l'anonymat, il pense que la solution est politique. «Il faut combattre rigoureusement cette menace terroriste et en finir avec leur idéologie. Il est anormal d'amnistier des terroristes repentis. Ce sont eux qui reprennent et qui encouragent ces actes en Kabylie et qui les répandent un peu partout dans le monde. Il ne faut pas avoir de pitié envers des gens qui n'ont de pitié pour personne.»