Il était 15h45, hier, lorsque, au village Aït Hammad, des dizaines de camions militaires prennent la direction de Saharidj. La décapitation d'Hervé Gourdel venait d'être rendue publique au moyen d'une vidéo postée sur Internet. Les militaires levaient le camp. Fin de mission. Virée à Tikjda, où le randonneur français séjournait avant son kidnapping par des terroristes de Djound El-Khalifa. Depuis quelques jours, la région de Tikjda est à la Une de l'actualité. Cette fois, elle n'est pas citée pour la beauté de ses paysages, ni pour la promouvoir en tant que destination touristique, mais parce qu'elle est le théâtre d'une affaire d'enlèvement d'un randonneur français, venu passer quelques jours pour apprécier les montagnes de la région. Dimanche, l'information faisant état de son rapt, revendiqué par Djound el-Khalifa, une cellule qui se réclame du mouvement daech, a plongé la région dans la stupeur. Sur place, les rares personnes rencontrées répondent toutes par la négative. Pas question pour ces gens de fournir la moindre information sur le lieu exact du rapt. La presse avait fait écho du village Aït Ouabane, relevant de la commune d'Akbil, dans la daïra d'Aïn El-Hammam. Mais un autre village, situé en contrebas de Tikjda, Aït Oualbane, serait le lieu du rapt d'Hervé Gourdel. Sortir de l'anonymat À Aït Oualbane, le village où se serait produit le rapt, les villageois ne comprennent pas ce subit intérêt de la presse à leur patelin. "Le Français n'a pas été enlevé chez nous. Nous sommes à des kilomètres de Tikjda", répond énervé un jeune rencontré à l'entrée du village. Pour un autre, "comment se fait-il qu'un rapt a eu lieu chez nous, sans que nos concitoyens le sachent ?". "Interrogation légitime", a estimé un autre, en précisant que "ces randonneurs ont été appréhendés par ce groupe sur cette route, mais pas au village". Les avis abondent tous dans le même sens. Ces citoyens n'ont jamais espéré que leur anonymat, synonyme de paix, soit "troublé" par une médiatisation d'un rapt qui a connu la décapitation comme épilogue. "Son groupe a été attaqué en dessous de Tamgout", a témoigné un jeune qui se dit détenir ces informations "d'un camionneur" qui aurait pris la même route au même moment. "Celui qui m'a informé a dit qu'il a vu un groupe d'hommes armés qui ont occupé la chaussée dimanche. Il a vu ces hommes pointer leurs armes sur une voiture au milieu de la chaussée", a-t-il dit, sans pour autant apporter plus de précisions sur ces faits qui se seraient produits dimanche. Au moment où l'information de l'assassinat d'Hervé Gourdel a été rendue publique, plusieurs personnes rencontrées à Imechadallen et Bechloul ont tenu à condamner ce qu'ils ont appelé "un lâche assassinat" et une atteinte à l'image de leur région. À Aswel, la route est encore déserte, mais les paysages restent toujours captivants. Les deux bergers rencontrés ne veulent pas répondre. Du moins, ils nous informent que le village Aït Oulbane est situé à quelques encablures de Tikjda, sur la route qui mène vers Saharidj. À Tizi n'Kouilal, la frontière administrative entre les wilayas de Bouira et de Tizi Ouzou, trois camions militaires observent une halte et scrutent les passants. En contrebas de Tamgout, au-dessus des Ouacifs, trois autres bergers nous ont informés que depuis deux jours, des convois incessants de camions militaires arrivent dans la région. Ces personnes ne savaient pas que ces militaires étaient à la recherche d'un alpiniste français kidnappé. "Désolé, mais comme je suis tout le temps à la montagne pour garder mon troupeau, je ne suis au courant de rien." Ici, les gens ne veulent pas parler. "Je ne suis qu'un simple berger, toutes ces histoires ne me concernent pas", a répondu un autre que nous avons interrogé sur le lieu exact du rapt. "Nous sommes réglés comme du papier à musique. Nous venons le matin et nous rentrons le soir", a-t-il ajouté pour appuyer "sa méconnaissance" de cette affaire. Même les jeunes n'abordent pas le sujet. Entre Imesdourar et Illilten, sur la RN30, deux jeunes, en train de siroter des bières, ne veulent pas, eux aussi, répondre. Nous déclinons notre identité pour les rassurer, mais rien n'y fait. "Sincèrement, je viens de l'apprendre." L'autre dit avoir entendu parler de cet enlèvement qui se serait produit sur la route que nous prenons. "Oui, il faut descendre plus bas", a-t-il dit. "Il a été kidnappé, à mon avis, sur cette route, mais vous devez encore marcher", a ajouté le jeune, avant que nous les quittions pour rejoindre les Aït Oulbane.