Draoui Aïssa a fait hier son dernier tour d'honneur, son dernier dribble. « On ne s'attendait pas à cette fin », raconte son grand frère. Personne ne s'attendait à sa mort, même ses vieux compagnons du Mouloudia d'Alger ne cachent pas leur amertume et leur étonnement. L'artiste a donc « feinté » son monde, comme il savait très bien le faire, et il est parti comme pour dire une dernière fois sa rancœur, sa solitude et sa tragédie. « On devait le faire sortir de l'hôpital au plus tard dimanche, raconte son frère, mais son cœur a fini par lâcher. Son médecin traitant m'a dit qu'il n'a pas résisté à un infarctus. » Devant le domicile mortuaire, l'atmosphère était hier très lourde. Les membres de sa famille, quelques proches, quelques sportifs locaux et ses vieux compagnons s'étaient rassemblés pour accueillir le cercueil en provenance de Constantine. A l'arrivée de l'ambulance qui transportait la dépouille, les cris de Ryma et de Moufida, les deux filles de Draoui, ne se sont plus arrêtés. Bencheikh, très ému, ne parviendra pas à cacher ses larmes et préféra aller vider sa peine derrière un immeuble. Un voisin de Aïssa et l'une des rares personnes qui ont continué à l'assister et à l'épauler raconte : « Draoui est mort de l'isolement dans lequel l'a confiné Skikda. Il n'était pas vraiment malade au sens clinique du terme, il avait seulement besoin d'être entouré. » La dernière sortie publique de Draoui remonte à la dernière visite de Bouteflika à Skikda quand on avait pensé à lui pour faire partie des notables devant accueillir le président. Puis on n'entendit plus parler de lui. Très émotif, d'une sensibilité à fleur de peau, Draoui vivait mal sa retraite skikdie et traînait comme un lourd fardeau son passé glorieux. Seuls sa petite famille et ses compagnons d'Alger l'aidaient à supporter la bêtise et l'oubli des autres. D'ailleurs, raconte son frère, « il y a quelques jours seulement, il était aux anges et n'arrêtait pas de pleurer de joie après la réussite au bac de sa fille aînée. Moins d'une semaine après, il meurt. C'est son destin. » Hier, Draoui a donc fait son dernier tour d'honneur dans une ville qui lui a souvent tourné le dos. Au cimetière, Aïssa a eu les dernières reconnaissances, posthumes. En plus des autorités locales, du représentant du ministre de la Jeunesse et des Sports et d'une impressionnante foule, d'anciens joueurs du Mouloudia et d'autres clubs ont assisté à la dernière « balle » de l'artiste. Keddou, Amrous, Bachi, Betrouni, Bencheikh, qui ont de tout temps été là quand il s'agissait de Draoui, ont jeté le dernier regard sur leur ami. A 17h, le cimetière s'est vidé pour laisser Draoui enfin se reposer. Aïssa est mort, Draoui est encore vivant. Ses coéquipiers en parlent Bencheikh :« Je me rappelle quand il avait rejoint le Mouloudia, il nous avait beaucoup apporté aussi bien sur le plan sportif qu'humain. On l'avait vite adopté et on se bagarrait pour l'avoir chez nous les jours du Ramadhan. C'est un grand monsieur et un footballeur qu'on ne produit qu'une fois en 50 ans. Je voudrais ajouter une chose : je ne pardonnerai jamais à la FAF qui lui avait refusé dans le courant des années 1980 une prise en charge à l'étranger. On n'avait à l'époque même pas daigné le recevoir, comme s'il n'était rien. » Bachi : « On l'avait connu dans l'équipe nationale espoirs. Il jouait pour Skikda à l'époque. On a remarqué, Betrouni et moi, ses grandes qualités et on a vite fait d'informer nos dirigeants qui l'ont ramené au Mouloudia où il était très à l'aise. Après son départ, on est resté en contact et je ne peux vous décrire sa grande joie quand on l'avait invité à faire partie de l'assemblée générale de la fondation Derriche. Il était aux anges. » Betrouni : « Il faisait partie des hommes qui ne demandent rien. Il était très humble. Le hasard est parfois cruel, car on avait convenu de le ramener à un hôpital à Chéraga. On a tout préparé et on devait le transférer aujourd'hui. Malheureusement, on a reçu un coup de fil de sa femme qui nous a annoncé sa mort. »