Juan Carmona et Ptit Moh ont fusionné le flamenco et le chaâbi pour donner au Dimajazz de Constantine une empreinte unique. Deux rives, deux musiciens, une seule partition harmonieuse. «C'est un dialogue des cultures.» Le guitariste français d'origine espagnole Juan Carmona est convaincu que sa rencontre musicale avec l'artiste algérien Ptit Moh (Mohamed Abdennour de son vrai nom) fait partie du rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée. Les deux musiciens ont présenté pour la première fois en Algérie leur projet de «fusion» entre chaâbi et flamenco lors du 12e Festival international de jazz de Constantine, Dimajazz, qui s'est déroulé du 20 au 26 septembre. Ptit Moh et Juan Carmona, qui se sont rencontrés lors des festivités de «Marseille, capitale européenne de la culture» en 2013, ont décidé de lancer le projet comme un défi. «Flamenco et chaâbi sont proches au niveau de l'harmonie et du rythme. Il y a des similitudes dans la façon de se plaindre des chanteurs lors de l'interprétation. Nous arrivons donc à discuter plus facilement. Aujourd'hui, lorsqu'on va à Grenade, on sent l'influence maure, par l'architecture, par la musique. Notre projet va dans ce sens», a souligné Juan Carmona. Lors du concert du Dimajazz, les deux musiciens ont présenté séparément leurs musiques avant de se retrouver pour un jeu en fusion. «Il est important d'aller voir dans les autres musiques comment les choses fonctionnent. Par la musique, le message est toujours universel. On se nourrit d'une autre culture et on la met dans la sienne. C'est ce que je fais avec Ptit Moh. J'écoute sa musique, les modes qu'il utilise. Lui aussi, il écoute des phrases dans ma musique qu'il met dans ses compositions», a appuyé Juan Carmona. Puriste Pour Ptit Moh, tout est possible en matière musicale. «On peut parler avec les mêmes notes. Il a le la, j'ai le la. Il a le mi, j'ai le mi. C'est un métissage. Chacun apporte sa touche. Dans mes compositions chaâbies, je mets un peu de flamenco. Et je tente de faire un travail différent», a-t-il affirmé. Juan Carmona a estimé que Ptit Moh, qui a joué avec les plus grands musiciens, n'a plus rien à prouver. «Depuis que j'étais dans le ventre de ma mère, je jouais du flamenco. Parce que je suis gitan, et chez les gitans, c'est comme ça. Ce qui m'intéresse aujourd'hui, à 50 ans, c'est de continuer à apprendre. La musique est un but qu'on n'atteint jamais. La musique, c'est grand, ça ne finit jamais», a soutenu Juan Carmona, grand fan de Paco De Lucia. Selon lui, tous les guitaristes flamenco du monde suivent la voie de l'auteur de Fantasia flamenca. Ptit Moh fait dans un chaâbi structuré, mesuré, mais éloigné de toute idée puriste. «Nous avons envie d'avoir une contrebasse, d'autres instruments. Je fais du moual mais quelque peu modifié. Je travaille beaucoup sur les harmonies sans faire du chaâbi selon le mode traditionnel. Nos aînés ont fait quelque chose de grandiose dans le chaâbi. Je ne pourrais jamais reproduire ce qu'a fait Guerouabi, El Anka ou Zahi. J'essaie de faire ce que je peux. Cela fait presque vingt ans que je suis en Europe. Je côtoie beaucoup de musiciens, je fais de la musique moderne. Je tente donc d'introduire quelques épices dans mes compositions. Je n'ai pas la prétention de moderniser le chaâbi. Je dis qu'il faut rester sur la voie de nos aînés, tout en faisant preuve de créativité», a confié Ptit Moh. Dans les compositions de Ptit Moh, il y a du paso doble, du m'samie, du goubahi et du berouali… «En Espagne, les adeptes du flamenco traditionnel n'aiment pas trop qu'on touche à la musique, qu'on introduise des nouveautés. Mais on n'arrête jamais le temps. Les puristes ont été critiqués par la génération d'avant. Alors où est le début et où est la fin ? Donc, je préfère un musicien de flamenco moderne qui joue avec du cœur, qu'un musicien traditionnel qui ne communique rien», a estimé Juan Carmona.