Avec près de 400 salles dans les années 1970, l'Algérie a été longtemps l'un des pays du continent les mieux équipés pour les cinéphiles. Un patrimoine tombé en ruine que les pouvoirs publics ont annoncé vouloir réhabiliter. Etat des lieux. Des trous béants dans les murs de la salle principale, des cafards morts qui gisent sur le sol, le cinéma Sierra Maestra a perdu de sa superbe. Situé en plein cœur d'Alger dans le quartier Meissonnier, le bâtiment a été rénové en 2008 avant d'ouvrir ses portes au public en 2010. Une ouverture de courte durée puisque dès 2012, le cinéma ferme à nouveau. Une situation qui à présent s'éternise. «C'est une histoire de politique», s'impatiente Karima Chibah, la responsable en charge de la salle. Selon elle, c'est la responsabilité du maire actuel qui est en cause. «Il est passé au cinéma alors que l'on projetait Batman et a trouvé que ce n'était pas bien.» Quelques semaines plus tard, le cinéma est frappé d'une interdiction de projeter. A peine plus loin, une autre salle historique du cœur d'Alger affiche portes closes. Rénovée en 2012, la salle l'Afrique est restée fermée depuis. Pourtant, la rénovation de ces deux salles a coûté, selon l'ancien maire de la commune de Sidi M'hamed, M. Bourouina, près de 20 milliards de centimes, financée par l'APC. Une situation que Yaïci Abdou, président de l'Office en charge des salles, a du mal à s'expliquer. Il évoque les raisons politiques mais aussi et surtout structurelles. «Il nous manque 10 milliards de centimes pour faire quelque chose de bien et pouvoir exploiter les salles.» De l'argent qui n'arrive pas. Une fois les rénovations finies, difficile de faire comprendre aux membres de l'APC l'intérêt concret qu'il y a à exploiter une salle de cinéma, selon lui. Rénovation La mairie d'Alger-Centre a, elle aussi, engagé ces dernières années des sommes importantes pour la rénovation de salles de cinéma. L'Algeria est la seule salle à avoir ouvert (l'ABC et le Debussy ouvriront en novembre). Selon Mohamed Loukal, président de l'office en charge de la gestion, trois autres salles sont en cours «d'ouverture». Pourtant, en passant devant l'Algeria, difficile d'y déceler une salle de cinéma. Aucune affiche pour attirer les spectateurs, seule une jaquette de DVD un peu perdue au milieu de la façade annonce le seul film projeté de la semaine. «Aujourd'hui, on accueille près de 12 personnes par séance, pas de quoi dégager des bénéfices.» La salle de 500 places reste sous perfusion de la commune et de sa subvention de 30 millions de dinars par an. Depuis le milieu des années 2000, un bras de fer s'est engagé entre les communes et le ministère de la Culture. Si les collectivités ne réhabilitent pas les salles situées sur leur territoire, elles passeront alors dans le giron du ministère. A Alger où les APC ont les moyens d'assurer la rénovation, comme à Sidi M'hamed ou à Alger-Centre, elles s'en sont chargées. Mais dans des communes de moindre envergure, c'est bien le ministère de la Culture qui s'en est emparé et a assuré leur rénovation. Pourtant, le constat est souvent le même. Hormis les cinémas dépendant de la Cinémathèque algérienne, les salles rénovées restent fermées. C'est le cas, notamment, à Guelma. Officiellement, ce serait pour des raisons de matériel : les sièges achetés ne sont pas ignifugés. Mais selon une source proche du dossier, «la salle de cinéma de Guelma est un dossier noir». «Le problème c'est qu'ils n'ont pas de politique cohérente», juge Salim Hamdi, ancien responsable de la Cinémathèque d'Alger. «On a parfois le sentiment que tout le monde est plus intéressé par les marchés de rénovation que par le fonctionnement de la salle.» Numérique Sur les 40 salles que gère le ministère de la Culture, près d'une vingtaine auraient été rénovées sans être pour autant exploitées. «Cela ne va jamais au-delà de la rénovation. Ils ne fixent pas d'objectif de réussite en terme d'exploitation. C'est très fragmentaire, c'est de l'improvisation.» Un manque de vision qui pèche aussi cruellement pour les distributeurs, cheville ouvrière du cinéma algérien. Les difficultés d'importation des films occidentaux récents sont pour eux au cœur du problème, notamment la procédure du visa d'exploitation, souvent longue et laborieuse. «Pour obtenir le visa, il faut fournir un DVD du film, ce qui pour les gros films est rarement le cas. Je dois donc parfois acheter un DVD pirate pour obtenir un visa. Vous vous rendez compte !» Dans ces conditions, aucun film récent ne sort à temps en Algérie. Résultat : les spectateurs ne viennent pas et les salles ne sont pas rentables. Un cercle vicieux. Autre raison avancée par un professionnel du secteur préférant garder l'anonymat, une technique défaillante. «Il faut savoir que pour rénover les salles, ils ont acheté des projecteurs 35 mm, alors que depuis fin 2012 tous les films européens et américains passaient en numérique. C'est aberrant.» Difficile donc aujourd'hui d'importer et de diffuser en Algérie des films récents, pour la simple et bonne raison qu'ils ne sont presque pas projetables dans le pays. «Je pense honnêtement qu'ils n'étaient pas au courant de ce changement au moment de faire les investissements», explique-t-il. A 120 000 euros le projecteur numérique, la facture risque d'être salée pour les salles qui devront se rééquiper. A commencer par les salles de Constantine. En 2015, la ville sera capitale de la culture arabe, une année de culture et donc de cinéma.