Le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Tayeb Belaïz, a parlé un peu trop vite en annonçant, sur un ton faussement apaisé, à l'issue des pourparlers engagés mardi à Ghardaïa avec des représentants des policiers contestataires, qu'un accord a été trouvé avec ces derniers, lesquels, selon lui, se sont engagés à leur tour à reprendre aussitôt leur travail. Rien de tel ne s'est produit. Les policiers de la brigade antiémeute d'Alger, qui ont rejoint mardi le mouvement de protestation de leur collègues de Ghardaïa, ont maintenu la pression, hier ; ils se sont ébranlé en direction de la présidence de la République, venant du Palais du gouvernement où ils ont organisé un sit-in jusque tard dans la nuit de mardi à mercredi. La confusion totale qui entoure ce mouvement dont on ne connaît ni les animateurs ni les raisons de cette revendication première, présentée comme non négociable par les policiers protestataires – celle appelant au départ du directeur général de la Sûreté nationale, le général-major Abdelghani Hamel – fait que ce conflit semble bien prendre une autre tournure plus politique que sociale. Le choix de la présidence de la République vers laquelle les manifestants se sont tournés, en dernier ressort, pour exposer leurs doléances, est politiquement connoté. De toute évidence, rien ne justifiait en effet que les revendications des policiers soient portées devant Bouteflika alors que le cadre organique naturel pour poser leurs problèmes aurait dû être la DGSN ou, à défaut, le ministère de tutelle. C'est d'ailleurs d'une certaine manière pour (re)gagner la confiance des policiers, jeter des passerelles avec les protestataires et contenir le mouvement afin d'éviter qu'il ne déborde que le ministre de l'Intérieur a reçu, en solo mardi à Ghardaïa, des délégués des protestataires sans la présence du directeur général de la police, qui était pourtant signalé sur les lieux. En tant que premier responsable hiérarchique de la police, sa présence à cette rencontre s'imposait pourtant. Mais comme sa tête est réclamée avec force par les manifestants, le général-major Hamel a été convié à suivre, dans l'antichambre du salon de la wilaya, les négociations avec les mutins. De conflit social à ses débuts, du moins en apparence si l'on s'en tient aux mots d'ordre scandés lors des marches, la grogne des policiers est en passe de prendre des contours résolument politiques. Sinon, comment expliquer que, bien que la plateforme de revendications des policiers ait été satisfaite au-delà même des espérances des protestataires (si l'on en croit les déclarations du ministre de l'Intérieur et du délégué des policiers faites à Ghardaïa) le mouvement de contestation se poursuit toujours, voire se durcit et s'élargit. La fixation sur le départ du général-major Hamel, qui semble constituer le nœud gordien du mouvement de désobéissance des policiers, reléguant presque au rang de revendications secondaires leurs conditions de travail et d'existence, trouve-t-elle son explication dans la gestion contestée du patron de la DGSN par une partie du personnel qui a choisi la rue pour exprimer son désarroi ? Ou bien alors M. Hamel, qui est présenté comme un homme-clé du clan présidentiel, n'est-il qu'un symbole d'une cible plus large : le cercle présidentiel qui serait dans le viseur de tirs ennemis de clans rivaux ? Au regard de la confusion et de l'opacité qui caractérise ce mouvement, rien n'est à exclure. Un mouvement qui n'a ni porte-parole ni leader identifiés – en dehors du policier qui s'est exprimé à la télévision à l'issue de la rencontre avec le ministre de l'Intérieur, que l'on a présenté comme le porte-parole des policiers protestataires et dont on ne connaît pas la légitimité vis-à-vis de ses pairs – pose la problématique de son contrôle et de son encadrement. La peur de sanctions disciplinaires a fait peut-être que les animateurs de ce mouvement évitent d'apparaître au grand jour. A moins que le scénario soit écrit ailleurs, comme le supputent certains. Après avoir accédé à toutes les doléances des policiers – même les plus insensées, alors que les pouvoirs publics ne font pas montre de la même générosité vis-à-vis d'autres secteurs – et fermé les yeux sur ce coup de force d'un corps de sécurité qui a choisi la rue pour se faire entendre au mépris de la loi, le général-major Hamel sera-t-il lâché et sacrifié pour maintenir les grands équilibres du système ?