Tout en affirmant que l'ensemble des revendications socioprofessionnelles des policiers seront prises en charge, les hautes autorités du pays savent qu'il y a péril en la demeure, que la colère des hommes en bleu n'est que la partie visible de l'iceberg, celui de la colère profonde au sein de la population. Le recours à l'achat de la paix sociale en ne lésinant pas sur les moyens n'est plus possible à présent que le malaise a atteint des structures de l'Etat les plus sensibles, où la moindre expression publique de la grogne interne ne peut avoir que des répercussions politiques dont il est difficile de prévoir l'issue. Même s'il multipliait par deux le salaire des policiers et leur garantissait l'accès automatique au logement – ce qui ne ferait, du reste, qu'accentuer les disparités sociales – le pouvoir ne serait pas au bout de ses peines. Pour la première fois depuis des décennies, l'un des pouvoirs les plus autocratiques et les plus riches au monde voit ses bases dangereusement secouées, sans possibilité de réaction ou de répression. Il n'est plus possible de tirer sur la foule, comme en octobre 1988 à Alger ou en avril 2001 en Kabylie. Les mots de «sommations» rapportés par la presse aux dernières heures du rassemblement de jeudi devant la présidence de la République n'étaient que des… mots. Ce serait mettre le feu aux poudres et il ne sera pas possible d'accuser la main de l'étranger ou des forces antinationales, islamistes ou autres. Maintenant que le pouvoir a pris conscience de la crise interne qui menace la stabilité du pays, après avoir longtemps affirmé dans les capitales étrangères que nous étions des exportateurs de cette prétendue stabilité, il n'y a pas d'autre choix aujourd'hui que d'engager véritablement les réformes globales promises en avril 2011. Aucun des chantiers, annoncés lors du fameux discours présidentiel conçu pour échapper à la montée des révoltes dans les pays de la région, n'a été mené à son terme ni engagé dans le sens de l'ouverture démocratique. Lors de la protesta des policiers devant la Présidence, un homme politique a été complètement évacué des débats et des pourparlers, c'est précisément le directeur de cabinet à la Présidence, le représentant du pouvoir chargé du chantier de la réforme constitutionnelle. Tout ce qui a été mené ces dix dernières années – élections, consultations politiques, adoption de nouveaux textes législatifs – semble n'être qu'une énorme farce dont les effets commencent à prendre une tournure dramatique. Si le pouvoir a, jusqu'ici, réussi par diverses parades et avec force budgets à résorber le moindre indice d'explosion sociale, il est à présent, depuis la semaine dernière, devant le spectre de l'implosion. Après les tares de corruption, de fraude et d'autoritarisme, le régime en place ne peut pas se laisser gagner par celle de l'irresponsabilité qui, à ce moment de l'histoire, risque de précipiter le pays dans le chaos.