C'est d'ailleurs sans surprise qu'avec les biens alimentaires, ces deux postes d'importation représentent à eux seuls plus du tiers (36%) de la facture globale. Seulement voilà, de la voiture à la serpillère, du produit vital à la babiole superflue, l'Algérie importe tout et souvent n'importe quoi, au nom de la liberté du commerce. Pour importer, «tout ce qu'il faut, c'est avoir de l'argent, une connaissance minimum du marché et un réseau de distribution, même informel. On donne de la devise à celui qui la demande, à la condition qu'il ait des dinars», résume Ali Bey Nasri, président de l'Association nationale des exportateurs algériens (ANEXAL). Avec de tels critères, tout le monde peut importer à peu près de tout, au grand bonheur de la Chine dont les produits à la qualité douteuse et au prix bon marché inondent les étals. Parmi ces produits, les jouets pour enfant dont 95% de la production mondiale est fabriquée en Chine. Comment des banques peuvent-elles financer l'importation de tels produits jetables dès le premier usage et dont certains se sont avérés dangereux pour leurs utilisateurs ? N'y a-t-il pas moyen d'empêcher que de telles marchandises rentrent sur le marché algérien, se demande-t-on. «Les gens achètent ces produits parce qu'ils n'ont pas les moyens d'acheter d'autres de meilleure qualité», nous dit un importateur de la filière. «Une peluche que je ramène de Chine est vendue 300 DA pièce au prix de gros et arrive chez le consommateur à 700 DA. Si je ramenais une peluche aux normes internationales, je devrais la vendre à 3000 DA et personne ne me l'achèterait», reconnaît-il. Il ajoute cependant qu'il «essaye tout de même de faire attention, en ramenant des produits non dangereux et à la portée de tout le monde.» La hausse des importations s'explique donc par l'existence d'une demande. «S'il n'y avait pas d'offre et de demande, le marché sans restrictions réglementaires s'éteindrait de lui-même. C'est un phénomène économique avant d'être un phénomène financier. Le consommateur algérien est devenu plus sensible au prix qu'à la qualité», souligne Abderrahmane Benkhalfa, ancien délégué général de l'Association des banques et des établissements financiers (ABEF). Dans la filière jouets, ils sont «plus d'une centaine» d'opérateurs, mais selon l'importateur la tendance de plus en plus à l'électronique changera la donne dans les années à venir. Pour le moment, le marché reste juteux, grâce à des pratiques illégales telles la minoration des factures. «En moyenne, on ne déclare que le ¼ du montant de la facture. Si on achète pour 80 000 dollars, on n'en déclare que 20 000 parce que les taxes sont trop importantes», explique-t-il. Selon lui, les services des douanes «ne peuvent pas s'en rendre compte car il ne s'agit pas d'une marchandise pour laquelle il y a un barème de prix. La valeur revient à l'appréciation de l'inspecteur». Le montant restant de la facture est acheté sur le marché parallèle de la devise et réglé via des comptes à Dubaï, en France ou en Inde dont les relais se trouvent en Algérie. «La devise sort par les frontières comme pour les autres produits de contrebande», dit-il encore. Le bénéfice pour l'importateur se fera quand sa marchandise sera revendue au consommateur algérien sur la base du taux de change du dinar sur le marché noir. Impuissants En somme, les affaires marchent bien et personne ne semble en mesure d'empêcher l'importation de ce type de produits ou d'autres encore pour lesquels la question de l'intérêt et de l'utilité se pose indéniablement. Les banques sont à ce titre les premières à être pointées du doigt, car on leur reproche leur promptitude à financer les importations et leur réticence quand il s'agit de donner des crédits d'investissement. Les chiffres de la Banque d'Algérie montrent toutefois que les 2/3 des crédits bancaires à l'économie sont à moyen et long termes orientés vers l'investissement, alors que les crédits à court terme ne représentent qu'un tiers. Si l'interdiction pure et simple des importations même superflues «n'est pas une question d'actualité» car elle va à l'encontre du principe du libre commerce extérieur, estime Ali Bey Nasri, en revanche, «on peut rendre plus chère la devise pour les importateurs de produits superflus ou instituer une taxe sur ces produits-là». Pas aussi simple, selon Abderrahmane Benkhalfa pour qui les banques sont liées par la réglementation. «Les banques n'ont pas le droit de porter un jugement en dehors de la loi sur la qualité du produit importé, le volume ou le pays d'importation», explique-t-il. De plus, leurs tarifs sont fixés par la Banque d'Algérie. «Une banque ne peut pas négocier avec un client un coût spécifique qui serait par exemple plus élevé concernant certains produits (chocolat, bonbons), plutôt que d'autres.» En clair, si les importations sont libres, «qu'il n'y a pas de limites sur les pays ni de contingentement et qu'on peut importer moyennant une couverture en dinars, la banque ne peut pas interdire», précise l'expert des questions bancaires. Restrictions Certes, le gouvernement a tenté administrativement de contenir les importations (interdiction du crédit à la consommation, obligation du Credoc, un fichier des faux importateurs, le contrôle aux frontières), mais rien n'y a fait. Le volume des importations «résiste aux mesures administratives», affirme Abderrahmane Benkhalfa. Cette option ayant montré ses limites, deux voies s'offrent à l'Algérie pour réduire la facture, selon notre interlocuteur. Une politique de substitution des importations en augmentant la productivité des produits locaux soit par des entreprises nationales existantes, soit par des nouveaux investissements, y compris en amenant nos fournisseurs traditionnels à «produire chez nous ce qu'ils nous vendent depuis 20 ans». La seconde voie consiste à «revenir à une interdiction légale d'accès de certains produits en Algérie à travers la soumission à un tarif douanier très fort tous les produits qui ne viennent pas d'un pays avec lesquels nous avons un accord d'association ou de libre échange comme la Chine, la Turquie ou la Malaisie.» économie Arriver à réduire les importations superflues c'est bien, économiser sur la facture des gros postes d'importation serait plus judicieux. Pour Ali Bey Nasri, dans ce domaine, il y a matière à glaner quelques milliards de dollars. En premier lieu, les dérivés du plastique dont nous importons l'équivalent de «2 milliards de dollars par an». Sur les sept dernières années, précise-t-il, on a dû importer l'équivalent de 12 milliards de dollars de dérivés du plastique, alors qu'en 2007 un projet Sontatrach/Total pour une usine de vapocraquage d'éthane aurait permis d'apporter une solution. En second lieu, le phosphate. «Nous exportons l'équivalent de 1,2 million de tonnes de phosphate à un prix moyen de 100 dollars, et nous importons ses dérivés pour 500 à 600 millions de dollars. Comparativement, la Tunisie transforme 60% de son phosphate et le Maroc 40%». Ce sont des postes «très importants sur lesquels on peut réduire la facture de 2,5 milliards à 3 milliards de dollars et créer des opportunités d'exportation.» Producteur et exportateur de pétrole et de gaz, l'Algérie a importé au cours des trois dernières années plus de 10 milliards de dollars de produits énergétiques et lubrifiants.