Loin des hommes du Français David Oelhoffen, projeté samedi soir à la salle El Mougar en avant-première, lors de l'ouverture des 5es Journées cinématographiques d'Alger (JCA), se déroule comme un western ou un road-movie. Les montagnes de pierres, le vent, la poussière, le soleil, le froid et la pluie sont «convoqués» pour créer une atmosphère psychologique dans laquelle évoluent deux hommes, Daru (Viggo Mortensen) et Mohamed (Réda Kateb). L'un est français d'origine espagnole et l'autre algérien. Ancien officier, Daru vit loin de «la civilisation», dans une école en pleine montagne dans l'Algérie de 1954. Une école où il n'y a pas de Français. On le charge de «la mission» de conduire un prisonnier, Mohamed, vers la ville de Tinguit, où il sera jugé pour meurtre. Le tueur est réclamé par les cousins de la victime qui veulent se venger comme dans les anciens temps. Daru décide alors de «faire le voyage» avec Mohamed. Sur les chemins escarpés de la montagne, ils apprennent à se connaître, à se découvrir. Daru se comporte comme «un protecteur» de Mohamed. L'Algérien semble livrer son sort au Français. Les deux hommes rencontrent les moudjahidine qui les emmènent avec eux les mains enchaînées. Daru reconnaît Slimane (Djamel Barek), ancien compagnon du Front italien. Slimane demande à Daru de s'engager pour la lutte des Algériens pour la libération. «Ma façon de m'engager est de faire la classe à mes élèves», répond Daru. «On n'en est plus à apprendre à lire, on en est à vous foutre dehors», lui répond Slimane. Curieuse réplique qui semble sous-entendre que le combat libérateur ne s'accommode pas forcément de savoir ! L'échange entre Daru et Slimane est la seule fois où l'on comprend que les hommes armés sont là en lutte contre une certaine présence coloniale, sinon on les aurait pris pour des bandits de grand chemin ! Les moudjahidine, au regard dur et menaçant, tombent dans une embuscade de soldats français et se font massacrer presque sans résister. Les soldats «héroïques» tirent sur deux moudjahidine qui se livraient. «C'est un crime de guerre», proteste Daru face à un lieutenant décidé à «nettoyer» les lieux, parce qu'il a reçu des «ordres». Mais qui assume donc les crimes de guerre ? Loin des hommes, qui évoque l'idée de la liberté et de l'enchaînement, est un film philosophique, mais qui reste au milieu de la route hésitant. Daru, en héros positif, apprend à Mohamed «le sens» de la vie puisqu'il lui demande de choisir entre «la mort» des moudjahidine et «la prison» des Français. «L'essentiel, tu es vivant», lui crie-t-il. Mohamed est invité à aller vers le désert trouver un autre sens à son existence ! Sortira-t-il indemne de sa traversée ? Retrouvera-t-il les chameaux et les palmiers ? On ne le saura pas. Les décors naturels, beaux et bien filmés, semblent suggérer que la terre reste la même malgré les drames humains. David Oelhoffen s'est mis à hauteur de Daru et de Mohamed (souvent filmé de dos) pour essayer de comprendre le comportement d'hommes pris dans les filets de l'Histoire et de la violence. Des victimes ? Possible. L'interprétation de Réda Kateb et de Viggo Mortensen a donné de l'épaisseur à un long métrage qui invite à la réflexion les yeux grands ouverts. Le film est inspiré de la nouvelle L'hôte, publiée en 1957 dans le recueil L'exil et le royaume, d'Albert Camus qui porte un certain regard humaniste. «Il fallait se libérer du texte de Camus qui recouvrait ce qui se passe dans l'école. Je me suis servi des éléments de la guerre d'Algérie pour nourrir le récit. Ce qui m'a plu dans la nouvelle de Camus, c'est la situation, les deux personnages et le chemin que l'Européen et l'Algérien devaient faire l'un vers l'autre pour se rencontrer réellement. Se rencontrer sur des valeurs différentes, mais des valeurs que chacun reconnaît dans l'autre. Cette reconnaissance fait que les deux hommes peuvent se comprendre», a déclaré David Oelhoffen, réalisateur de Nos retrouvailles en 1997. Dans L'hôte, Albert Camus s'est quelque peu «représenté» à travers le personnage de Daru. Selon le cinéaste, le colonialisme est une impasse historique. «C'est un monde injuste, appelé à disparaître. Nul besoin de le souligner dans le film, pas besoin d'être militant», a-t-il ajouté.