Librement adapté d'une nouvelle d'Albert Camus et réalisé par David Oelhoffen, le long-métrage français Loin des hommes a été présenté en avant-première à Alger lors de l'ouverture des 5e Journées cinématographiques d'Alger. Ce psychodrame légèrement camusien se déroule au lendemain du 1er novembre 1954, dans une école isolée de l'Ouest algérien où travaille Daru, un instituteur ascétique (Viggo Mortensen). La routine sera bientôt rompue par l'arrivée d'un gendarme qui lui livre un prisonnier (Réda Kateb) en le chargeant de l'acheminer à la prison de Tinguit où il sera jugé pour le meurtre de son cousin. S'ensuivra une longue «cohabitation» entre deux personnages que tout oppose : Daru, l'humaniste qu'on confondra, au fil du film, avec Camus lui-même ; et l'Arabe, Mohammed (enfin un prénom !), rude, massif, un peu rustre mais finalement «humanisé». Inspiré de la nouvelle L'hôte tirée du recueil L'exil et le royaume, le film livre très vite ses intentions : aller dans l'intime et le strictement humain, jouer au funambule sur la corde raide de l'Histoire, repenser la guerre d'Algérie à travers le regard de personnages sans prétentions... En choisissant ce texte précisément, qui comme les six autres nouvelles du recueil est la seule œuvre où Camus verse dans un style basique, narratif et traditionnel, le réalisateur (également scénariste) a sans doute cédé au charme de cet humanisme simplifié à l'extrême, séduisant certes mais non moins nocif à la construction dramatique du film. En effet, si l'interprétation de Viggo Mortensen et de Réda Kateb brille par sa sobriété et sa justesse, leurs personnages peinent à prendre du relief car chacun a une espèce de «cahier des charges» où on décèle avant tout cette volonté souvent nuisible au cinéma : celle de satisfaire tout le monde ! Mohammed a égorgé son cousin parce qu'il voulait lui voler son grain ; il est poursuivi par les frères de ce dernier qui veulent venger sa mort ; Daru ne veut pas livrer le prisonnier à la justice coloniale qui n'hésitera pas à l'exécuter sommairement et lui propose de lui offrir la liberté ; mais le paysan refuse car le seul moyen de mettre fin à la vendetta et d'éviter à ses petits frères de subir la vengeance de ses cousins est justement de se livrer aux Français. Durant leur long périple dans cette immensité désertique et abusivement sublimée par les travelings d'Oelhoffen, ils auront également à affronter les maquisards algériens et les soldats français. Fils d'ouvriers andalous, né en Algérie, Daru explique : «Pour les Français, nous étions des Arabes. Aujourd'hui, pour les Arabes, nous sommes des Français !» Loin des Hommes est plein de bonnes intentions et c'est peut-être cela qui l'empêche d'accéder pleinement à un langage cinématographique convaincant. Forcer le trait sur l'humanisme en temps de guerre, défendre une certaine idée de la tolérance et de la justice et tenter, en filigrane, de recréer Camus dans une allégorie plus «sympathique»... Autant de paramètres d'un discours adoucissant, presque lénifiant, qui supplante donc le souci de composer des personnages aussi complexes que l'était le contexte et, surtout, aussi épais que l'exige le cinéma. Malgré la force de certaines séquences comme celle où les soldats français sont prêts à sacrifier Daru, pris en otage par les maquisards du FLN, la mise en scène tend davantage à «encadrer» qu'à donner vie aux idées véhiculées dans le scénario. C'est ainsi que la dramaturgie et l'image se limitent au rôle de support basique destiné à porter un discours conciliant où chacun des protagonistes a raison et où on frôle de très près la démagogie. Finalement, Loin des Hommes est un film gentil, consensuel. Ce qui est pour le moins décevant, quand on connaît les talents autrement plus «agressifs» de Réda Kateb et de Viggo Mortensen qui semblent vraiment à l'étroit dans leurs rôles !