Il faut voir parfois, dans les manifestations de la vie et de la mort, un signe fort du destin plus qu'un banal concours de circonstance. Comment expliquer autrement, sinon, la disparition quasi simultanée des deux historiens hors norme qu'étaient l'Algérien Mahfoud Kaddache et le Français Pierre Vidal-Naquet ? Ces deux hommes étaient des justes. Deux fortes personnalités qui avaient cru à la grande cause humaine et s'en étaient fait les acteurs directs plus que les observateurs distants. L'engagement, l'implication dans la défense de la justice est le lien qui peut être établi entre ces combattants de la mémoire. Mahfoud était devenu, par la constance, la rigueur exigeante de son travail d'historien, la référence indiscutable pour qui voulait connaître le mouvement national. Son nom est également associé à une épopée : celle du scoutisme algérien. Mahfoud Kaddache peut être considéré comme un pionnier exemplaire de ce scoutisme algérien qu'il sut ancrer aux valeurs de l'humanisme. En qualité d'historien ou de responsable au sein du mouvement scout, il a été de ceux qui ont accompagné l'avancée du pays vers son affirmation identitaire. Mahfoud Kaddache cultivait la passion de l'Algérie, il aimait ce pays que n'avaient pas cassé les turbulences de l'histoire, cette jeunesse qui dans les terribles années de l'emprise colonialiste avait porté l'idéal de liberté comme un étendard lumineux. Son engagement, comment ne pas le comparer à celui de Pierre Vidal-Naquet, cet immense intellectuel français qui ranima l'esprit voltairien comme on active un souffle de vie. L'un des premiers, Pierre Vidal-Naquet avait dénoncé les tortures pratiquées par l'armée française dans une Algérie alors combattante. Cela ne peut pas être oublié. Pierre Vidal-Naquet estimait que son métier d'historien ne consistait pas à être un greffier qui consigne les exactions. Il s'était élevé contre les atteintes dont s'était rendue coupable la France en Algérie et il avait été entendu car ses paroles retentissantes réhabilitaient, dans son pays, le sens perdu de la dignité. Les Algériens ne peuvent que nourrir un sentiment de reconnaissance pour ce grand français qui ne faisait pas de distinction dans le genre humain. La parole de vérité qu'il avait dite à l'égard de l'Algérie sera aussi une parole de raison lorsque le pays accédera à l'indépendance. Pierre Vidal-Naquet n'attendit rien en retour du fait d'avoir été cet éclaireur qui montre la voie de la raison raisonnable. Comment ne pas comprendre que Pierre Vidal-Naquet était un militant que sa discipline, l'histoire, pouvait difficilement empêcher d'arpenter les chemins de la Révolution ? Pour Mahfoud Kaddache, aussi, il n'en alla pas différemment.