Le séminaire sur le développement économique et social a réuni des centaines de personnes autour de la thématique de la nouvelle restructuration industrielle. Les parties prenantes ont toujours souhaité un dialogue permanent et constructif autour des préoccupations économiques du pays. L'analyse des facteurs-clés de succès des émergences et des transitions montrent que la gestion de l'intelligence humaine, plus que tout autre variable, explique le dynamisme de ces nations. Maintenant, pour pérenniser l'opération, il faudrait réfléchir aux voies et moyens de perpétuer ces échanges d'idées. La mise en œuvre induira forcément des problèmes. C'est en maintenant ces canaux de dialogue durablement ouverts que l'on peut dépasser maints obstacles. Le souhait serait donc de conserver durablement ce climat de concertations. Il est normal que beaucoup d'interrogations demeurent. On ne connaît pas les décisions déjà prises et celles qui vont se configurer à partir des consultations. Néanmoins, les discussions étaient franches, sincères et très instructives. Personne ne détient à lui seul toutes les connaissances et les vérités. C'est pour cela que la mise en œuvre de l'intelligence collective est incontournable pour la réussite du processus. Mais encore faut-il savoir structurer ces flux d'échange ! C'est tout à fait possible avec une forte conviction et une volonté politique vigoureusement affirmée. Le projet est complexe dans sa conception et dans sa mise en œuvre. Je vais évoquer brièvement deux points sensibles qui ont fait l'objet de débats très houleux pour clarifier les choses. La première concerne le problème de la taille critique, et la seconde la gestion de l'inter-sectorialité. Plusieurs autres points seront traités dans les prochaines rubriques. De la taille des entreprises : Gigantisme versus PME Le débat sur la taille des entreprises a toujours alimenté les controverses économiques chez nous. A la fin des années soixante-dix, les experts algériens qui avaient diagnostiqué la période concluaient que la volonté politique d'industrialiser le pays était puissante. Mais le problème fondamental de l'économie demeurait la faiblesse du processus managérial qui commençait à mettre en danger l'économie nationale. En effet, à la fin de la période, les projets étaient financés à 70% par les dettes et 30% par la rente pétrolière. Très peu d'entreprises dégageaient des profits ; et le rapport qualité/prix des produits ne permettait pas leur exportation. La culture du laxisme managérial se généralisait et mettait en péril le développement ; et il n'y avait aucun programme sérieux pour éradiquer le phénomène. On peut critiquer plusieurs facettes de l'analyse, mais elle contient également beaucoup de doses de vérité. Ces mêmes problèmes ont existé dans tous les ex-pays socialistes. On ne pouvait pas être une exception planétaire. Le diagnostic arrivait à la conclusion que le gigantisme des entreprises nationales était le responsable numéro un de la situation. Il fallait alors redimensionner les entreprises pour les rendre «humainement gérables». On préconisait donc de les restructurer en entités de petite taille, suivant un schéma fonctionnel (approvisionnement, production, commercialisation, etc.). «Small is beautiful» était l'adage du moment. D'un point de vue scientifique, même si le diagnostic avait beaucoup de mérite, le schéma thérapeutique recommandé était totalement erroné. D'ailleurs, à la même époque, le fameux bureau d'étude américain, le BCG (Boston Consulting Group) concluait une étude au profit du gouvernement britannique par des recommandations tout à fait inverses : pour devenir compétitives face à la menace japonaise, les entreprises britanniques devaient acquérir de grandes tailles soit par une forte croissance interne soit par des fusions (fameux concept de courbe d'expérience). A partir de ce constat, les entreprises mondiales commençaient un processus de concentration qui se poursuit jusqu'à maintenant. «Small is beautiful» est valable surtout pour la sous-traitance et des segments de marchés étroits. Puisqu'on veut des firmes publiques pour dynamiser des filières-clés, il est normal d'opter pour des entités de grande taille. Dans ce domaine, les pouvoirs publics ont raison. C'est un correctif qui arrive bien en retard, mais ne dit-on pas : «Mieux vaut tard que jamais». Inter-sectorialité Le problème de la taille a été judicieusement tranché. J'avais écrit maintes fois qu'une «entreprise humainement gérable» est un concept inexistant en management. Il y a des entreprises qui ont plus de 500 filiales et 250 milliards de dollars de chiffres d'affaires et plus de 300 000 personnes qui sont superbement bien gérées. Une entreprise humainement gérable est une gageure. Dès lors que le système managérial est défaillant, on peut ruiner une entreprise de trois personnes. Mais ce n'est pas parce qu'on a amené un correctif judicieux que le pari est gagné. De nombreuses questions de détails restent à parfaire. Le diable est dans les détails — fameux adage de très grande actualité. Il y a beaucoup trop de conditions pour que l'opération réussisse : la composante des groupes, le développement humain, l'environnement des affaires et la fameuse coordination avec les autres institutions du pays. Certains considèrent que le fait de développer un rapport interministériel annuel est suffisant pour créer la coordination nécessaire. Dans ce domaine, le risque est grand de voir l'effet brownien détruire le programme. Un effet brownien existe lorsque de multiples institutions d'un pays tirent dans des directions différentes. Tous les experts algériens réclament depuis de nombreuses années la clarification stratégique et la création d'une institution qui fait la cohérence entre les différentes institutions : revenir au ministère du Plan, à un Institut algérien de développement ou à une autre formule. Mais le problème demeure entier : comment faire en sorte que toutes les entités tirent dans la même direction. Je prends un exemple : on est en train de confectionner un plan quinquennal. Comment s'assurer que le plan contient le financement qu'il faut pour développer le soft qu'on n'a pas (mieux qualifier les ressources humaines, créer les industries de l'expertise) et leur allouer au moins le tiers des financements, comme le réclament les intervenants ? Si nous avons un plan à 99% infrastructures, quid de la réindustrialisation du pays ? Comment faire en sorte que l'enseignement supérieur crée rapidement les filières de développement industriel qu'il nous faut (robotique, nanotechnologies, etc.) ? Il y a des dizaines de paramètres à coordonner et nous n'avons même pas la structure qu'il faut pour le réaliser. Il y a beaucoup d'autres conditions de réussites que nous allons évoquer au cours de nos prochaines rubriques. Ce n'est que si on les mettrait en place qu'on pourra affirmer avec une forte probabilité que le processus de ré-industrialisation deviendrait irréversible dans notre pays.A. L.