La double commémoration du 24 Février sa été célébrée cette année sous le signe de la détente et des nouveautés dans le secteur des hydrocarbures, lesquelles nouveautés mériteraient qu'on s'y attarde, mais tentons d'abord de situer leurs contours : 1- Une forme de reconquête de la souveraineté nationale sur le secteur des hydrocarbures après plus de 5 ans de débat stérile et fortement controversé de la fameuse loi sur les hydrocarbures sous le motif de la préservation de ces richesses nationales pour les générations futures. Les modèles de développement économique entrepris jusqu'à présent sont jugés incapables de générer d'autres alternatives pour assurer l'après-pétrole. Cela signifierait-il, Dieu merci, qu'on vient enfin de rendre compte que le fruit de nos exportations n'a servi en fait qu'à couvrir notre consommation sans aucune accumulation pour nos enfants ? Heureusement que, ces trois dernières années, les prix du pétrole étaient en dollars courant relativement appréciables pour permettre à l'Algérie d'améliorer ses indicateurs d'endettement et mettre un peu d'argent de côté. Ce facteur exogène de performance ne devrait pas permettre aux responsables de ce secteur de tirer une vanité quelconque comme c'est le cas à chaque occasion. Bien au contraire, leur stratégie d'investir pour porter la production journalière à 1,5 million de barils par jour s'est avérée inutile et les experts sont unanimes à ce sujet pour dire que cette politique revient à exporter une ressource qui se raréfie en prenant de la valeur, en contrepartie de dollars qui se déprécient et appauvrissent l'exportateur. Aujourd'hui, le pays a besoin d'idées pour fructifier ce qu'il a, donc de sa matière grise et de ses ressources humaines. Quant à la présence de ce géant pétrolier au niveau international, est-ce qu'il y a eu réellement des études de rentabilité de l'ampleur capitalistique et du risque global de l'activité, de l'envergure des associés, du pays où on investit et surtout des conditions économiques actuelles et futures ? 2- Une prise de conscience de la nécessité de réduire la dépendance de notre économie des hydrocarbures, de mettre en place un organe central de planification et surtout une stratégie claire de notre industrie. Cela voudrait-il dire que la conduite de notre économie était entièrement livrée à la gestion du FMI et qu'il n'y avait aucun pilote dans l'avion et qu'aucun indicateur des pouvoirs publics en place n'était en état de fonctionnement ? On pourrait comprendre que toute la configuration du tissu industriel actuel n'est que le fruit d'une gestion hasardeuse pour ne pas dire anarchique. 3 - Pour la première fois, le président de la République, s'adressant aux investisseurs chinois lors de sa visite dans leur pays, leur demande de prendre le risque avec les Algériens et non d'investir en Algérie. On pourrait en déduire que les investisseurs de la dernière décennie prenaient la chair et laissaient les os pour les Algériens. Par ailleurs, le discours politique a fait une rotation à 180 degrés : subitement, il n'y a plus de libéraux et d'ultralibéraux, à commencer par le premier magistrat du pays. On admet aisément que l'Etat reprenne les leviers de commande du secteur de l'énergie. De mieux en mieux, le président de la République reconnaît l'effort entrepris pour constituer les grandes entreprises publiques et il demande à ce qu'elles constituent le socle de la nouvelle stratégie industrielle. Le ministre de la Participation, qui traitait hier ces entreprises de « vieilles quincailleries », déclare aujourd'hui que la nouvelle stratégie qu'il propose (absence totale du ministre de l'Industrie) devra s'appuyer sur un secteur public et donc ces entreprises. Le ministre de l'Energie et des Mines, qui disait hier que les derniers amendements de la loi sur les hydrocarbures ne plairont pas aux grandes entreprises américaines présentes en Algérie, déclare aujourd'hui que l'attractivité de l'Algérie n'est pas diminuée car finalement le régime fiscal est resté le même. Plus grave, après un acharnement sans précédent pour réorienter vers un but lucratif les objectifs du seul instrument de formation et de consolidation du savoir et du savoir-faire pétrolier et gazier (IAP), il en fait aujourd'hui son mot d'ordre pour 2007 : formation, recherche, développement et préparation de la relève. On se demande si ce responsable se rend compte des efforts et des sacrifices consentis pour monter et mettre en œuvre un institut de ce genre et surtout du temps nécessaire pour former un cadre de la stature de celui qu'on ne fait rien pour l'empêcher de partir chez les sociétés étrangères qui n'ont dépensé aucun sou pour sa formation. L'adage populaire, qui nous dicte de garder ce qu'il y a entre nos mains et de ne pas compter sur ce qui se trouve dans le trou, s'applique parfaitement à ce contexte. Les élites captées par les pays dont la demande en matière grise est de plus en plus croissante optent désormais pour un programme d'immigration sélectif et l'Algérie n'est pas à l'abri de ce fléau. Cette situation alarme tous les responsables du pays sauf le ministre de l'Energie et des Mines qui ne rate pas l'occasion d'en minimiser les conséquences. En effet, pour lui, il y a à peine une quarantaine de cadres qui ont quitté Sonatrach pour des raisons salariales que l'entreprise n'est pas en mesure de satisfaire. En réalité, les chiffres sont alarmants, plus de 71 500 diplômés ont quitté le pays dans la période allant de 1994 à 2006. L'INSEE, organe chargé des statistiques en France, a recensé plus de 99 000 chefs d'entreprise algériens en Europe. II reste tout de même curieux que l'Algérien dès qu'il quitte son pays, son esprit d'entreprise s'améliore. Serait-il marginalisé dans son propre pays ? Selon les dires d'un ancien PDG de Sonatrach, repris dans les colonnes d'un quotidien national, cette entreprise, à elle seule, aurait perdu entre 30 à 40% de ces cadres au profit des entreprises étrangères. Même si le niveau de 2000 cadres n'a pas été confirmé par l'actuel PDG de Sonatrach, il a déclaré dans une interview à la Chaîne III que la situation n'était pas aussi catastrophique. L'emploi de l'expression au superlatif (aussi catastrophique) pourrait être compris comme une reconnaissance implicite de son caractère suffisamment alarmant, la structure ressources humaines de ce géant groupe pétrolier n'a aucune stratégie de gestion de ses cadres. Au contraire, une circulaire datant du 2e trimestre 2006, destinée à une structure de l'entreprise, accorde même des mesures incitatives pour des départs volontaires. Plusieurs cadres de rang doctoral sont partis et font le bonheur des entreprises concurrentes. La formation se fait à coups de millions de dollars sans aucune adéquation avec les besoins exprimés etc. Bref, tout porte à croire qu'on part de nouveau de zéro. Près de vingt ans de transition vers une économie de marché fictive, d'essais successifs, de débat d'école, voilà qu'on revient à la case de départ. L'histoire se répète, mais c'est exactement le choix auquel on a été confrontés à la fin des années 1970. En effet, on se rappelle qu'en dépit de la confirmation populaire du choix du modèle de développement à travers la révision de la charte nationale de 1976, un réorientation de l'économie nationale a été entreprise sur la base d'un diagnostic précité et dominé plus par des opinions que des études quantitatives approfondies : gigantisme des sociétés nationales, l'efficacité selon le principe small is beautiful, l'abandon des hydrocarbures comme stratégie de développement, désengagement de l'état civil vis-à-vis des institutions publiques au nom de l'efficacité budgétaire, etc. Cette réorientation, qui s'est appuyée principalement sur la restructuration financière et organique des sociétés nationales, s'est avérée plus tard un vrai désastre, qui a non seulement rendu vains les sacrifices de plus d'une décennie de travail supporté par la population, mais aussi a fortement fragilisé l'économie nationale, car devenue, grâce à la consommation effrénée, très dépendante des importations dont le prix dépend de la quantité des hydrocarbures à exporter. La baisse du prix du pétrole, conjuguée à la dévaluation du dollar, tous les deux facteurs exogènes, ont été à l'origine de la cessation de paiement et de la crise de 1985 et qui a certainement contribué grandement à l'explosion de1988. II se trouve que la situation à la veille de l'application d'une nouvelle stratégie industrielle n'est pas tout à fait la même et semble, selon les experts, disposée d'accepter cette rafale de gifles à condition d'éviter les grandes dérives de l'étatisme. Quelle est exactement la situation aujourd'hui ? 1- D'abord une couverture financière de plus de 80 milliards de dollars et qui, placée dans les banques étrangères, pourrait ramener plus de 2 milliards de dollars/an. En contrepartie, une image internationale ternie par la corruption au point où le FMI nous recommande de placer notre argent, y compris les fonds de régulation dans les institutions financières certainement à l'abri des convoitises. Si la société civile composée de personnalités, et pas des moindres, prend l'initiative pour s'organiser afin de lutter contre la corruption et préserver les intérêts des générations futures, c'est que cette gangrène a pris une direction inquiétante qui menace l'avenir de la nation. 2 - Un pays vidé de ses experts qu'il conviendrait encore une fois de convaincre de revenir au service de leur pays et comment ? 3 - Une perte de confiance totale dans les institutions de l'Etat qu'il faudrait restaurer et ce ne sont pas les scandales du groupe Khalifa, de BRC ou de la BCIA et bien d'autres qui peuvent faciliter la tâche. 4 - Un management complètement amorphe. Le style de leadership réduit au commandement/subordination et en vigueur de haut en bas, bloque l'esprit d'initiative et donc la créativité, favorise l'obéissance aveugle, le manque d'implication et la complaisance. Ravagé par des procédures, le système de gestion situe difficilement les responsabilités. L'exemple du témoignage du ministre des Finances dans l'affaire Khalifa est édifiant : « On ne peut prendre des mesures qu'au vu d'un rapport visé par des inspecteurs assermentés qui font défaut dans ce ministère et dont les actions correctives sont gelées ». On laisse faire, en se cachant derrière des subterfuges. On rapporte dans l'affaire BRC que des responsables pervertissent une procédure de gré à gré mise en place pour un cas exceptionnel de péril en la demeure pour passer les marchés juteux. A en croire la presse, des responsables occupant des hautes fonctions sont publiquement désavoués, humiliés, déjugés, bafoués et rappelés à l'ordre dans leur propre structure pour harcèlement sexuel, favoritisme et pourtant, ils continuent à s'accrocher à leur poste sans aucun coup de « nif » ni position de principe. On se demande s'ils ne prennent pas le Président pour un « kherraf », ou trouvent-ils leur jouissance dans ce type de relation masochiste, auquel cas, que devra attendre la nation d'un tel spécimen de manager. Auront-ils l'audace manageriale nécessaire pour conduire une nouvelle stratégie industrielle dans le contexte actuel avec une telle attitude. 5 - Le tissu industriel est dominé par des groupes d'influence qui ont acquis le pouvoir de changer le cours des choses. La ramification de ces groupes est tissée de telle sorte qu'il serait difficile à l'Etat aujourd'hui de planifier les activités que ces groupes détiennent au nom de la liberté d'entreprendre. D'ailleurs, d'ores et déjà, ils exigent leur participation à l'élaboration de cette stratégie industrielle. II y a à peine un peu plus d'une quarantaine d'années que le pays sort d'une guerre de libération qui a mis tous les Algériens sur un même pied d'égalité. On dort sur la musique d'un discours rassurant et lorsqu'on se réveille, on se retrouve en face d'une stratification sociale totalement différente : une classe très riche et une autre très pauvre, une échelle de valeur réservée. Si on continue d'ignorer cette situation paradoxale, toute démarche future sera entachée de doute et n'aboutira nullement. II faut rappeler que cela fait un peu moins de 20 ans que le pays se dit en phase de transition vers une économie de marché. Il se trouve que le climat des affaires n'a pas perdu de temps pour une « thaïlandisation » des relations commerciales et une « bazarisation » du marché. II suffit juste de longer les rues des grandes villes pour tomber sur les pôles de contrefaçon avec une variété innombrable. Ces pôles ont pris une ampleur nationale hiérarchisée et parfaitement organisée : le secteur de la friperie est réservé à la wilaya de Tébessa, la filière chinoise des tissus à Oum El Bouaghi, les articles de mariage et de décor ainsi que l'informatique à Sétif, l'électroménager, l'informatique, la quincaillerie et la pièce détachée à Alger et enfin la drogue avec la filière Zandjabil à l'Ouest. etc. II ne s'agit pas de se réveiller après 20 ans pour dire effaçons ce qui existe et on recommence tout. Prétendre pouvoir mettre en place une stratégie industrielle sans heurter l'ordre établi serait se leurrer. Le terrain abandonné depuis longtemps a permis à l'informel de tisser sa toile d'araignée et créer ainsi un système inébranlable pour la simple raison que de haut en bas, chacun y trouve son compte. On ne peut pas applaudir avec une seule main. C'est pour cela qu'il faudrait éviter de montrer un optimisme euphorique et parfois triomphaliste et faire preuve de pragmatisme sinon tout ce « tralala » ne sera qu'une expérience qui s'ajoutera à celles qui se sont avérées vaines jusqu'à présent.