Le coucher du soleil est d'une toute autre nature au Monument aux morts de Constantine. Longtemps voué à l'abandon, le site semble reprendre son attrait après des années de disette. Après les opérations de toilettage lancées depuis quelques mois sous la houlette de l'association CRI, le secteur urbain de Bab El Kantara prendra le relais pour dégager les insalubrités et les traces d'incivilité et de vandalisme qui ont longtemps terni l'image du Monument aux morts. Un mouvement certes timide mais rassurant commence à reprendre durant le mois de juillet surtout en fin d'après-midi où l'ombrage des pins exposés aux quatre vents attire des citoyens mais aussi des Européens et même des Asiatiques. Il est encore loin le temps où des familles entières prenaient le chemin de la cité Emir Abdelkader (ex- faubourg Lamy) pour se diriger vers le pic du rocher situé juste derrière la maternité du CHU, alors que d'autres préfèrent les longs escaliers partant de l'extrémité du pont de Sidi M'cid pour arpenter un parcours abrupt qui offre une vue insaisissable en bas sur la fameuse corniche. Le lieu, hautement symbolique, était une destination touristique pour des étrangers en quête de sensations « naturelles » surtout que les paysages qui se dessinent sur un front de 180° du nord au sud sont d'une beauté indescriptible. L'accès par le front de l'est est magistral. Une centaine de mètres qu'on parcourt comme un retour vers l'histoire. Une conception délibérément choisie dans le sens du mouvement du soleil, mais aussi celui de la vie. Après avoir parcouru les 36 marches en pierre taillée, on s'arrête sur le point qui rappelle la mémoire de ces centaines de soldats musulmans, chrétiens et juifs, tous originaires de la ville de Constantine, morts sur les fronts européens durant la Première Guerre mondiale (1947-1918) pour une liberté chèrement acquise. Comme au front, le destin les aura réunis, encore une fois, sans aucune distinction de race ou de religion, sur des plaques en bronze qui ont survécu aux coups de masse. Y sont gravés des noms, dont on connaît aisément qu'ils se rapportent à des familles constantinoises. A droite, les escaliers menant à la statue de la Victoire sont toujours fermés. On en comprendra facilement les raisons. En face, la plaque de marbre, érigée pour l'histoire et écorchée par des graffitis sauvages, résiste toujours. Elle rappelle que le monument, commencé en 1919 et réalisé grâce aux souscriptions de la commune de Constantine et des communes environnantes du département, a été inauguré le 2 novembre 1934 devant toute la population. Œuvre des architectes Roguet et Dumoulin, l'ouvrage, dont les sculptures en majorité disparus aujourd'hui ont été réalisées par Ebstein et Alexandra, porte surtout l'empreinte de Jean Emile Morinaud, maire député, élu 12e maire de Constantine à la suite de la démission d'Ernest Mercier en janvier 1901. Réélu quatre fois de suite, Morinaud restera maire jusqu'au 18 mai 1935 pour marquer l'histoire d'une ville qu'il a tant aimée. A plus de 695 m d'altitude, la table d'orientation réalisée en 1936 par le Touring Club de France et le meilleur guide aussi bien pour les profanes que pour les étrangers, montrant les directions à prendre pour les villes environnantes, Annaba, Skikda... Sur un balcon semi-circulaire balayant les horizons, on peut voir à quelques kilomètres au nord la localité de Bekira, Oued Ziad, Hamma Bouziane, le col de Bizot et le rocher de Sidi M'cid situé à moins d'un kilomètre sur une altitude de 785 m. A l'ouest, le pont d'Aumale, l'un des sept ponts de la ville, enjambe le Rhummel à 2 km, alors que la vallée de Sidi M'cid occupe une bonne partie d'une toile naturelle dominée au fond par Djebel Akral à 26 km. Au sud- ouest, le faubourg de Belouizdad (ex-Saint Jean) à un jet de pierre, semble narguer le boulevard Zighout Youcef (boulevard de l'Abîme) et le quartier de La Casbah perchés sur le rocher. On ne dira pas assez encore, car une visite au Monument aux morts est plus qu'une incitation pour y revenir. Une invitation pour une exploration du temps, des lieux et de la mémoire. Une mémoire toujours en quête de réhabilitation.