Alors qu'Israël intensifie son agression contre le Liban, l'ampleur des destructions atteint un seuil astronomique. Elle avoisine déjà les trois milliards de dollars de pertes. Une facture colossale que le Liban ne pourra pas assumer lorsque les choses reviendront à la normale. Les autorités libanaises devront compter sur la générosité des bailleurs de fonds, ceux-là mêmes qui avaient contribué à la reconstruction du Liban après le terrible désastre de la guerre civile. Il est peu probable, en effet, qu'Israël paye des dédommagements, même s'il est condamné à le faire par les juridictions internationales compétentes. Il est notable de relever qu'Israël, coutumier de telles destructions massives, au Liban mais aussi dans les territoires palestiniens, n'a jamais subi de contraintes financières, bien au contraire c'est la communauté internationale qui dans de telles circonstances prend en charge les réparations. Il n'y a pas que les dommages matériels à prendre en compte, mais aussi les pertes humaines occasionnées par cette agression. Des centaines de morts, des milliers de blessés, dont il faudra indemniser les familles, autant d'orphelins, de sans-abri auxquels il faudra donner des raisons de vivre et d'espérer des lendemains meilleurs. Le Liban, confronté aux horreurs de la guerre, est d'ores et déjà en attente d'un formidable élan de solidarité internationale car si tous les dommages peuvent être évalués, l'atteinte psychologique sera toujours difficilement qualifiable. Les Libanais ont vécu la tragédie de l'agression israélienne contre leur pays -et en sortiront- avec ce terrible sentiment d'avoir été abandonnés à leur sort, livrés sans aucune espèce d'état d'âme aux exactions d'un bourreau qui a eu toute latitude de sévir. Cette agression israélienne a marqué le recul de l'humanisme. La civilisation s'est effondrée à Qana. La question se pose alors de savoir si la férocité de cette agression pouvait être possible, aujourd'hui, contre un autre pays que le Liban et à plus forte raison que se serait-il passé si, par extraordinaire, Israël s'était trouvé à la place du Liban ? Il y a peut-être à cet égard, des usages internationaux à deux vitesses. Le gouvernement libanais n'a été entendu ni par le Conseil de sécurité des Nations unies, ni par les instances internationales qui pouvaient agir en temps et en heure. Il faudrait pouvoir déterminer à qui Fouad Siniora, le Premier ministre libanais, pourra présenter la facture des destructions subies par son pays. Il faudrait certes pour cela que le Liban n'ait pas été rayé de la carte du monde. Et à l'évidence, c'est bien le dessein d'Israël à travers cette agression qui présente tous les ingrédients d'une guerre préventive qui ne s'embarrasse d'aucune limite. La communauté internationale, impuissante, a accepté l'argument que cette agression était un mal nécessaire puisque l'objectif visé était de solder le contentieux israélo-américain avec le Hezbollah. L'élimination du mouvement chiite libanais constitue-t-elle pour autant une garantie de stabilité dans la région ? Pas très loin, il est apparu que le renversement du régime de Saddam Husseïn n'a pas apporté à l'Irak l'ère de paix et de démocratie que l'invasion américaine se proposait d'y imposer. Le Liban, pacifié par un si brutal état de choc, ne risque-t-il pas de basculer dans une tourmente qui caractérise désormais la scène irakienne ? Nul ne peut prévoir quels démons va réveiller l'intervention israélienne dans cette région du monde.