Après avoir demandé au gouvernement français de «faire pression» sur les autorités algériennes pour acheminer les prélèvements faits sur les têtes des moines de Tibhirine assassinés en 1996, le juge Marc Trévidic semble lâcher un peu de lest en affirmant, dans une déclaration au journal Le Monde, qu'il est «ouvert à tout». C'est-à-dire «que les prélèvements soient transférés en France, qu'ils y soient examinés par une équipe d'experts algériens associés à leurs collègues français, ou enfin qu'une équipe française soit autorisée à repartir en Algérie avec du matériel scientifique adapté». «Peu importe la formule retenue, il faut débloquer la situation», rapporte le quotidien français, en indiquant que le juge va lancer, dans les toutes prochaines semaines, une nouvelle commission rogatoire internationale dans l'affaire de l'assassinat des moines de Tibhirine. S'il est vrai qu'il y a lieu de constater un changement de ton dans le discours du juge antiterroriste, qui semble enfin prêt à revenir en Algérie pour l'analyse des prélèvements, l'on doit aussi relever que le magistrat français s'efforce de trouver d'autres arguments à son insistance d'acheminer les prélèvements en France. Des arguments autres que ceux qui ont, à l'origine, motivé l'enquête, à savoir que les moines de Tibhirine n'ont pas été exécutés par le Groupe islamique armé (GIA), mais ont été victimes d'une bavure de l'armée algérienne, selon une version du général François Buchwalter, attaché de défense à l'ambassade de France à Alger entre 1995 et 1998. Cet ancien officier de la Direction générale de la surveillance extérieure (DGSE, le contre-espionnage français), faisait état de confidences d'un Algérien dont le frère était officier de l'ANP qui lui aurait rapporté que ce sont des militaires algériens qui ont tiré, à partir d'hélicoptères, sur un bivouac qu'ils découvriront par la suite être celui des moines. Thèse invraisemblable et très peu crédible que le juge français a eu largement à démentir en octobre dernier. L'avocat des familles des victimes, maître Baudouin, fervent défenseur du «qui tue qui ?» en Algérie, avouait lui-même que la thèse en question – celle développée par Buchwalter et sur laquelle repose toute la suspicion autour de l'assassinat des moines trappistes –, selon les premiers résultats, est «fragilisée». Si l'éventuelle implication des services de sécurité algériens est matériellement écartée, que cherchent donc à savoir de plus le juge Trévidic et l'avocat Baudouin ? Rien ne semble atténuer leur obstination à aller jusqu'au bout de leur démarche, malgré les évolutions qu'a eu à connaître le dossier. Ni les déclarations d'Alain Juppé et Hubert Védrine, alors respectivement Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, qui s'inscrivent en porte-à-faux avec la version de Buchwalter, ni la décision prise par l'ancien président Nicolas Sarkozy de lever le secret-défense n'ont pu étancher leur curiosité. Même s'ils ont fini par se départir de la thèse de la bavure militaire matériellement «fragilisée», ils ont désormais un autre objet de fixation : le sort des prélèvements faits sur les têtes des moines. «Où et comment sont-ils conservés ? A quelle température ?» se demande Trévidic, qui dit toute son inquiétude au journal Le Monde. Selon lui, «s'ils font de l'histologie (examen au microscope) en ce moment même, à Alger, ils risquent de détruire tout le travail». «La terre retrouvée sur les crânes est fragile. Or, elle pourrait révéler si les têtes des suppliciés ont été enterrées une première fois avant de l'être à Tibhirine. Des bulbes de mouches, récupérés sur les crânes, pourraient dater précisément la mort des moines. Quant aux vertèbres, elles diront avec certitude si les religieux ont été décapités avant ou après leur exécution.» En somme, c'est tout le protocole de la médecine légale que le juge Trévidic veut appliquer sur les prélèvements, que les autorités algériennes l'ont pourtant autorisé à faire en octobre dernier. C'est ce qu'on pourrait appeler «chercher des poux sur la tête d'un chauve». Le juge français, Me Baudouin et les milieux «qui-tu-quistes» français croyaient y trouver des traces de balles et lesquelles ! Celles tirées d'un hélicoptère. Que d'incohérences dans une démarche qui prend l'allure d'un acharnement plutôt que de recherche de la vérité !