Albert Camus et Jean El Mouhoub Amrouche sont deux personnages emblématiques de la littérature universelle. Plusieurs écrits leur ont été consacrés depuis leurs disparitions. Rejane et Pierre Le Baut sont deux auteurs qui se sont penchés un tant soit peu sur leurs rencontres et leurs destins respectifs à travers un ouvrage intitulé Amrouche – Camus : des chemins qui s'écartent. Deux Algéries incompatibles. Textes à l'appui...», édité par les éditions Casbah à l'occasion de la 19e édition du Salon international du livre d'Alger. Pour les auteurs, Jean El Mouhoub Amrouche et Albert Camus «furent aussi proches et aussi étrangers l'un à l'autre qu'il était possible en situation coloniale». Pierre Lebaut explique à notre gouverne que la genèse de cet ouvrage fait suite à un constat bien amer. Ces derniers mois, en France, les feux de l'actualité littéraire se sont centrés sur Albert Camus, le titulaire du prestigieux prix Nobel de littérature en 1957. «Il fut même question de le faire entrer au Panthéon, mais sans que soit jamais fait allusion à sa position durant la guerre d'Algérie. Nous avons pensé que les très nombreux documents recueillis, ma femme et moi, depuis des années, nous permettraient de présenter deux personnages emblématiques du drame algérien, l'un “indigène” et l'autre “pied-noir”, Amrouche et Camus, deux intellectuels qui s'étaient fréquentés une vingtaine d'années, devenus presque des amis, avaient eu les mêmes admirations littéraires. Entre autres la philosophe Simone Weil — dont Camus fut l'éditeur — elle qui avait dénoncé, dès 1938, les tentations de la colonisation, dont la première était de ‘‘préférer son pays à la justice'' », éclaire-t-il. Et d'ajouter : «Dès 1945 et surtout quand le conflit éclata en 1954, Amrouche sacrifia sa vie et sa carrière littéraire à la justice pour les siens qui, pour lui, passait nécessairement par l'indépendance. Quant à Camus, qui avait écrit des articles percutants, en 1939, sur la misère dont pâtissait le peuple algérien, il refusa d'adhérer au Comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord. Ce comité organisa un meeting à la salle Wagram à Paris le 27 janvier 1956 : Amrouche y prit la parole sur un ton dramatique. Camus avait lancé huit jours auparavant à Alger, le 22 janvier, son Appel à la trêve civile. Il ne s'agissait encore pour lui que d'un problème humanitaire, mais il n'admettait toujours pas la nécessité de l'indépendance à un moment où, dans le monde, tous les empires coloniaux se défaisaient. Au contraire, pour Amrouche, c'était, depuis de longues années, un problème avant tout ontologique, terme qui revient souvent sous sa plume». Ces deux spécialistes de Albert Camus et Jean El Mahboub Amrouche se sont attelés à suivre une chronologie rigoureuse qu'ils ont voulu respecter comme explicative de leurs évolutions : «nous avons montré que leurs chemins s'étaient écartés. Aurait-il pu en être autrement ? Oui, sans doute, car d'autres enfants de la colonisation ont su se joindre à cette lutte pour la reconnaissance d'une Patrie Algérie. Nous avons voulu éclairer deux chemins emblématiques, symboliques de la marche de l'Histoire, et, pièces du dossier en main, faire progresser la vérité. La qualité littéraire de l'un et l'autre protagoniste n'est pas mise en doute. Mais il y a un au-delà de la littérature. L'âme d'un peuple existe, et Jean El-Mouhoub Amrouche, écrivain français, mais aussi indivisément Algérien “universel” comme le définira Mohammed Dib, en a été le héraut». En somme, Camus-Amrouche, des chemins qui s'écartent est un ouvrage de référence indispensables aussi bien pour les étudiants que pour les universitaires et les chercheurs.