Le constat pour commencer : la musique kabyle est sinistrée. Elle est en pleine dépression. Elle n'arrive pas à se renouveler. Takfarinas est l'unique artiste qui a toujours su donner un nouveau souffle de vie à cette musique. Depuis Idir, Aït Menguellet (malgré sa perte de crédibilité) et Matoub, rien de nouveau sous le soleil de Kabylie. Il y a eu de pâles copies d'Idir (pas beaucoup), des imitateurs de Lounis (des dizaines), des tentatives malheureuses de singerie de Lounès mais jamais d'artistes originaux, Tak mis à part (salut l'artiste). Akli D. est un « Ocni » (objet chantant non identifié). Il réussit le pari insensé de condenser à lui tout seul la musique kabyle. Cheïkh El Hasnaoui et Slimane Azem ont trouvé une voix pour donner corps à leur héritage. Akli D., donc. L'artiste à l'accent indéfinissable échappe à toutes les étiquettes. Bon, passons très vite sur son look. Impossible de faire semblant de ne pas le remarquer. Ses yeux rieurs, son visage avenant, non, pas ça. D'abord, le look. On le croit sorti directement des années 1970-1980. Quand Paris s'enflammait pour le reggae et le Tiers-Monde. Mais Akli D. s'en fout de la mode. Peace and love, mon frère. Et tant pis pour ceux qui se moquent de ses textes naïfs. Car le hippie, ce n'est pas péjoratif, croit encore en la force de l'amour et de la paix. Il respecte aussi bien la Torah que la Bible et le Coran. Il nargue l'éphémère. Et l'éternel. Sa bio précise qu'il est sensible à Idir, Cheikh El Hasnaoui, Slimane Azem, Bob Dylan (quelle horreur !), Neil Young (maximum respect) et au rock déjanté de Jacques Higelin (yeah, man). La biographie est trop restrictive. Akli D. est une éponge musicale. Il ingurgite les styles, les tendances, les anthologies avec une facilité déprimante. Dans son album, produit par Manu Chao (encore un gage de qualité, totale confiance). Akli est Token Jay Fakoly, Da Slimane, Cheikh El Hasnaoui... quand il veut. C'est un caméléon aux pouvoirs infinis. Son album Ma yela est un défi. Il est une anthologie, comment dire world sans que cela soit péjoratif, ironique ? Akli est un enfant de Mélinmuche. Ses racines kabyles ne sont pas un repoussoir, mais une porte ouverte à l'universalité. Et c'est à ce niveau que l'enfant de Kabylie crée la surprise. Il tente, avec un succès indéniable, de tracer sa voie avec un plaisir non négligeable. Militant, engagé, toujours disponible, difficile de trouver un défaut à cet artiste torturé. Difficile de la rater pour les causes justes. Pour la liberté de la presse, le Printemps berbère, la libération des prisonniers politiques, Akli D. prend sa guitare et accourt. Puis, ce n'est sûrement pas un hasard, Akli maîtrise l'art de l'écriture. Il sait trouver les lots justes et les refrains lancinants, envahissants. Une fois entendue la chanson C'est facile, pas facile, dire de la sortir de la tête. La meilleure chanson, aucune contestation possible, est Da Mokrane. Ce sera le tube de l'été, sans prise de risque. Akli joue avec l'écriture. Il multiplie les images, crée des paradoxes, s'amuse des frontières musicales. Il est loin, l'artiste. Sur une autre planète. Akli D., Kabyle mental, Because, 2006