Les prix du baril de pétrole continuent de baisser. Certains prédisent un scénario catastrophe, mais les experts sont unanimes, le scénario de 1986 ne se reproduira pas aujourd'hui. Le ministre des Finances, Mohamed Djellab, parle d'un «avertissement», certains économistes de «choc pétrolier», le ministre de l'Energie affirme que ce n'est «pas une crise» et lors de l'ouverture du Sommet nord-africain du pétrole et du gaz, dimanche dernier, le PDG de Sonatrach n'y a pas fait allusion dans son discours face aux experts internationaux et aux représentants des compagnies pétrolières. Le prix du baril de pétrole était de 61,28 dollars hier. La baisse continue du cours depuis l'été rappelle à certains les derniers mois de 1985 et le début de l'année 1986, lorsque le cours avait perdu 40% de sa valeur. Pour David McLellan, économiste chez Packers Plus, la situation économique à long terme va devenir problématique : «Il va y avoir moins de revenus pour le pays, ce sera économiquement douloureux. Le risque est que pour compenser, on produise plus d'hydrocarbures, ce qui créera un cercle vicieux, car l'augmentation de l'offre, supérieure à la demande, fera encore plus baisser les prix.» Mais cet expert chargé d'évaluer les risques de l'investissement dans le secteur du gaz de schiste ne veut pas faire le parallèle avec les années 1980 : «Les deux crises sont similaires, car elles ont été créées par une offre trop abondante mais dans les années 1980, le prix s'est effondré. Aujourd'hui, c'est la fin du pétrole “très rentable“, mais ce n'est pas la fin du pétrole. Le prix continuera de chuter jusqu'à ce que le coût de l'extraction soit en adéquation avec la demande globale de 93 millions de barils par jour. Même si cela peut chuter pour le moment beaucoup plus bas, je pense qu'on retrouvera une stabilité à 65 ou 75 dollars le baril». Réserves Alors que le FMI estime qu'au vu des dépenses de l'Algérie, un prix du baril satisfaisant pour l'économie du pays devrait être équivalent à 120 dollars, la réduction des revenus va pousser les autorités à devoir réduire la voile. Mais Djemaï Chergui, consultant et ancien cadre chez Sonatrach, pense que l'impact ne sera pas si important : «L'Algérie a pris ses précautions. Les budgets sont faits avec un montant qui laisse une marge. Sur une recette de 130 dollars par exemple, on programme 60-70 dollars dans le budget.» Selon lui, «nos fonds de réserve nous permettent de fonctionner pendant 5 ans». La principale différence entre 1986 et la situation actuelle est l'importance des réserves du pays. Aujourd'hui, la dette est quasiment nulle et la disponibilité du Fonds de régulation des recettes était de 5643,2 milliards de dinars en 2013. En 1986, les réserves ne dépassaient pas les 2 milliards de dollars et la dette avoisinait 35 milliards de dollars. Mustapha Mekkideche, vice-président du CNES, estime que la crise est absorbable pendant deux ou trois ans. «Nous ne sommes pas dans la guerre des prix de 1986, mais il faut l'anticiper.» Investissements Le directeur des hydrocarbures au ministère de l'Energie ainsi que le PDG de Sonatrach ont expliqué, au cours du Sommet, que la priorité numéro un était de trouver de nouveaux gisements. «L'Algérie n'a pas le choix, elle est obligée d'augmenter sa production. Demain, il n'y aura plus rien. On sait que l'Algérie est sous-explorée et il est impératif de faire des découvertes, mais des découvertes économiquement exploitables», explique Mehdi Haroun, avocat chez King et Spalding, un cabinet spécialisé dans l'énergie. Pour cet expert, les effets de la baisse du pétrole doivent être relativisés : «Il y a un effet immédiat aujourd'hui sur les opérations d'acquisition. Par exemple, Dragon Oil qui allait racheter PetroCeltics, et dont l'investissement devait financer le développement d'une exploitation de Aïn Tsila dans la wilaya d'Illizi, a annoncé qu'il ne ferait pas d'offre. Mais il n'y a pas d'impact sur la confiance que les investisseurs ont en l'Algérie.» Dans les couloirs du Sheraton, les multinationales comme les experts sont plutôt optimistes. «Les investissements vont être réduits, mais ça ne va pas créer le même désert que dans les années 1980. La demande d'énergie va continuer à augmenter, et tout le monde va continuer à investir dans le secteur. Même si les investisseurs ne gagneront pas des sommes extraordinaires avec un baril à 120 dollars, tout le monde est presque certain d'obtenir de bons retours sur investissement», explique John Hamilton, directeur de Cross-border Information, une entreprise d'expertise économique en Afrique et au Moyent-Orient. Mais, tôt ou tard, la baisse aura un impact sur la population. «Le danger est que les subventions auxquelles les populations ont été habituées ne soient plus soutenables pour les autorités», explique-t-il. Réduire les dépenses de l'Etat ne laisse que deux possibilités : réduire les frais de fonctionnement, dont les subventions, ou les investissements. Augmenter le prix de l'essence, du lait, du pain ou réduire la construction de logements sociaux ne semble pas être la solution choisie par le régime aujourd'hui, ce qui inquiète le collectif Nabni et un de ses membres, Slim Othmani : «Un scénario de crise qui consiste à réduire brutalement les importations ou les intrants de production pour freiner la croissance économique a été envisagé il y a quelques années par les autorités. Cela irait à l'encontre des intérêts économiques du pays, c'est une utopie.»