Les délégués de 13 quartiers de Hassi Messaoud ont consigné, sur un PV cosigné par le chef de daïra, leur exigence de recevoir une commission interministérielle sous huitaine. Le barrage de police permanent installé en face de Trans Baouchi était dégagé ce matin-là. C'est l'entrée de la ville en venant de Ouargla. Son baromètre. La veille, plus de 300 personnes occupaient les lieux avec leurs banderoles, seuls les piétons avaient le droit de passer ; l'axe Hassi Messaoud-Irara leur a appartenu le temps d'une manifestation où personne n'a eu le droit d'accéder ou de sortir de la base du 24 Février à bord d'un véhicule. Pour l'heure, la circulation est fluide, c'est bon signe, le policier nous cède le passage. La tumultueuse Hassi Messaoud nous ouvre ses portes. Nous sommes donc au lendemain de la manifestation des habitants de Hassi Messaoud qui, fait inédit, ont réussi à s'entendre sur un mot d'ordre : demander au gouvernement de lever le gel décrété voilà plus de dix ans sur cette ville dynamique. Crédibilité Les habitants des 13 principaux quartiers de la ville étaient au rendez-vous. Entamée via les réseaux sociaux depuis fin novembre, la protestation a pris forme en décembre. Les événements sanglants de Touggourt, avec leur bilan tragique de quatre morts et 53 blessés, ont eu un effet catalyseur. Toutes les frustrations réprimées depuis une décennie sont remontées à la surface de la façon la plus brutale. Après un premier mouvement organisé vendredi dernier, lors du passage du wali accompagné de la commission de Belaïz, les jeunes ont compris qu'ils devaient agir au plus vite. Ainsi, après avoir bloqué l'accès à la base-vie du 24 Février d'Irara toute la journée, mercredi dernier, les représentants de la société civile ont accepté la médiation du chef de daïra qui les a conviés, le lendemain, à une réunion où ils ont exigé «un mécanisme spécial, avec un pouvoir exécutif immédiat, ayant pour finalité la levée du gel en vigueur à Hassi Messaoud en vertu du décret exécutif n°05-127 du 24 avril 2005 déclarant la région ‘zone à risques majeurs' portant transfert du siège du chef-lieu de la commune au lieudit Oued El Merâa», à 90 km de là. Le procès-verbal de la réunion, dont nous détenons une copie, stipule que le représentant de l'Etat a pris acte de la revendication, convenant d'un délai de sept jours pour constituer une commission interministérielle ayant toutes les prérogatives de prise de décision locale. Les délégués ont par ailleurs exigé la présence d'un représentant personnel du Premier ministre ainsi que de délégués des ministères de l'Intérieur, l'Energie, de l'Emploi et de l'Habitat. Des «personnalités crédibles et intègres» qui viendraient les écouter et prendre de vraies décisions. Ils veulent des réponses concrètes à des questions pendantes depuis dix ans, des interrogations existentielles sur le sort réservé à leur ville, ce qu'il adviendra d'eux d'ici la construction de la nouvelle ville, où seront construits les 4000 logements annoncés – ils sont virtuellement trimballés entre l'ancienne et la nouvelle ville – au moment ou les actuels habitants souffrent de promiscuité et d'absence d'alternative avec la saturation du parc logement existant. Les idées les plus folles les taraudent : paralysie de la ville, fermeture des vannes du pétrole, suicide collectif… La menace est lancée. Hassi Messaoud, 72 000 km2 de superficie, 790 sociétés nationales et multinationales et plus de 20 000 offres d'emploi par an. Ses enfants se disent pourtant exclus de cette opulence, eux qui n'ont ni emploi ni logement. Ils refusent cette position de laissés-pour-compte. Qui sont-ils, que veulent-ils, pourquoi maintenant ? Que de questions à poser à ces gens qui ont osé paralyser Irara, l'emblématique base-vie du groupe Sonatrach, qui abrite sa division forage et exploration, mais aussi les sièges de ses associations avec des entreprises multinationales. Qui sont-ils ? La base du 24 Février, immense domaine florissant, verdoyant, arborant tous les signes ostentatoires de l'opulence pétrolière, domine une bonne partie de Hassi Messaoud. Un domaine qui échappe au commun des habitants de Hassi, en rupture totale avec la ville en déchéance qui supporte sans honte aucune son statut de chasse gardée. Ici, les bases logistiques poussent comme des champignons, bravant le gel imposé aux pauvres en exploitant le moindre mètre carré du périmètre urbain ou industriel de première proximité, y compris autour du fameux puits historique de Messaoud Rouabah, le Bédouin qui a donné son nom à la ville et au champ pétrolier. Il y a là les sièges d'opulentes sociétés, de splendides résidences entourées de clôtures en barbelés. Et puis, parsemées ici et là, des quartiers populaires. La cité des 1850 Logements, des maisons préfabriquées datant d'une cinquantaine d'années, abritant à elles seules un tiers de la population de la ville, qui s'est métamorphosée en égout à ciel ouvert en raison du manque d'entretien. Bouamama, Hassi Khouildat, Emir Abdelkader, Essalem, Toumiat, Hassi El Bakra, 300, 442, 40 Logements, des noms communs pour des cités à l'image des quartiers défavorisés d'Algérie, sauf que ceux-là appartiennent à la plus riche commune d'Algérie, une commune qui engrange les plus importantes retombées fiscales du pays, avec une budget annuel de 8 milliards de dinars et qui dort sur un matelas de 3300 milliards alloués au différents projets de développement de la ville. Des chiffres qui sortent le plus normalement du monde de la bouche du président de l'APC, qui se reconnaît impuissant devant le diktat de Sonatrach et du Conseil interministériel dont le dernier, tenu le 2 décembre dernier, n'a apporté aucune nouveauté. Youssef Yousfi, le ministre de l'Energie, aurait même décliné toute réflexion à propos des préoccupations des citoyens de cette ville. «Je suis là pour explorer, un point c'est tout», aurait-il répondu.