Comme à Touggourt et bien d'autres localités de la wilaya de Ouargla, 300 jeunes de Hassi Messaoud tiennent, depuis hier, un sit-in permanent bloquant l'emblématique base-vie 24 Février 1971. Cette base comporte les divisions régionales de forage et d'exploration ainsi que les sièges des associations de Sonatrach avec des multinationales. C'est la principale base-vie des travailleurs du groupe. La base Irara, qui fait la fierté de Sonatrach, est située à l'entrée de la ville, où un imposant dispositif sécuritaire a pris place toute la journée, depuis que les forces de l'ordre, en pourparlers avec les manifestants, ont appris que ces derniers ne comptaient pas quitter les lieux avant la venue de Abdelmalek Sellal et Youcef Yousfi. Sonatrach est pourtant là dans son fief naturel, à Hassi Messaoud, le premier gisement pétrolier d'Algérie. Mais c'est justement Sonatrach, symbole du pétrole algérien, dont les habitants dénoncent la mainmise sur le foncier domanial dans un rayon de 100 km autour du chef-lieu de commune et de daïra de Hassi Messaoud. Toute implantation de projet structurant, ne serait-ce qu'une clôture, un mur, une route, une école, un hôpital ou un logement doit passer par l'étape cruciale et incertaine de l'aval de Sonatrach. Une situation qui confère à la plus importante société du pays un statut de véritable propriétaire du Sahara algérien, décrété comme zone pétrolière à part entière, donc intouchable. Le décret exécutif n°05-127 du 24 avril 2005 déclarant Hassi Messaoud «zone à risques majeurs» et portant «transfert du siège du chef-lieu de la commune au lieudit Oued El Merâa», à l'intérieur du territoire de la commune de Hassi Ben Abdallah, a condamné plus de 80 000 habitants à la précarité. Ce même décret interdit toute construction, réalisation ou investissement à caractère industriel, commercial, touristique ou agricole et, de façon générale, toute opération qui n'est pas directement liée à l'industrie des hydrocarbures, mais aussi et surtout tout octroi de permis de construire et/ou de concession qui n'est pas lié directement à l'industrie des hydrocarbures. Poussés à bout Avec ce gel de la ville en son état d'il y a dix ans, le désespoir s'est emparé d'une population dont les préoccupations sont devenues de plus en plus basiques, de plus en plus pertinentes. Elles touchent des segments de la vie quotidienne oubliés pendant 10 ans, avant qu'un dégel administratif ne soit annoncé en 2013 par l'actuel wali, réinstaurant une normalité qui tarde à se réinstaller tant les dégâts sont dramatiques. Hier, mardi 9 décembre 2014, moins d'une semaine après avoir interpellé le wali et la délégation interministérielle de Belaïz, une cinquantaine de jeunes se sont regroupés, en milieu de matinée, au rond-point menant à Irara, pour exprimer leur mécontentement de ce qui est advenu de leur ville. Ils sont venus revendiquer «le droit légitime à une vie décente dans une ville qui les a vu grandir, un environnement propre et agréable avant tout, un travail et un logement». C'est ainsi qu'un jeune manifestant synthétise les raisons de cette démonstration de force. «Mes parents ont débarqué il y a 40 ans, quand on encourageait les travailleurs à s'installer en famille. Je suis d'ici et j'ai droit à un logement», s'insurge Arezki. Un autre jeune s'interroge : «Personne ne pouvait imaginer le triste sort réservé à une ville promise au plus bel avenir… Elle le mérite car elle a tout donné à l'Algérie.» D'aucuns pensent que le gel de la ville a rendu la vie infernale aux habitants de Hassi Messaoud, que la paresse et la passivité des autorités a pour but de «décourager et inciter les gens à quitter la ville d'eux-mêmes». Les jeunes en sont arrivés à penser qu'ils n'ont leur place ni dans l'ancienne ni dans la nouvelle ville ! Ces postes qui se font de plus en plus rares en dépit des instructions du Premier ministre pour favoriser les enfants de la localité. Ce bureau de l'ANEM et ces entreprises pétrolières qui se plient rarement aux revendications des jeunes chômeurs, qui trouvent chaque fois le moyen de rejeter les candidatures au prétexte de non-qualification. Bizarre quand on sait que la plupart d'entre eux détiennent des diplômes universitaires ou une qualification professionnelle. Un toit et un travail pour tous Les banderoles expriment mécontentement et désarroi. «Pourquoi les hauts cadres de Sonatrach peuvent s'offrir de luxueuses résidences à Club des pins alors que les habitants de Hassi Messaoud sont condamnés à la location et à l'exiguïté de logements de fortune ?» Le problème de la construction constitue une revendication. Depuis 15 ans, aucune cité nouvelle, aucune promotion immobilière, aucune formule d'habitat n'ont été consenties pour la nouvelle génération. Celles des enfants de pétroliers, contraints de construire à l'intérieur des jardins de la cité des 1850 Logements des studios et des chambres comme solution de rechange, en attendant des jours meilleurs. Les travailleurs de la Fonction publique ne trouvent pas de logement, ils louent au prix fort comme la plupart des enfants de Hassi Messaoud contraints à l'exiguïté, à la construction illicite sur d'anciennes habitations ou à la location de garages. Pourquoi laisse-t-on cette ville moisir dans ses problèmes ? Hassi Messaoud souffre d'une insécurité inquiétante avec des dealers exerçant leur commerce en toute impunité, des véhicules volés à tout-va, ciblant notamment les tout-terrain, mais aussi une ville qui ne reflète nullement les ressources faramineuses et le budget communal qui ne touchent ni les routes défoncées, ni les quartiers misérables devenus des dépotoirs, ni les écoles, ni les infrastructures sanitaires et encore moins l'environnement en général, avec des trottoirs et un éclairage public refaits inlassablement, mais toujours défectueux, une pollution provoquée par les infrastructures pétrolières, majorée par la dégradation des infrastructures urbaines.