Slemnia Bendaoud, de son vrai nom Kelouaz Djilali, est un écrivain prolifique. Excellent bilingue, il passe du français à l'arabe avec une aisance déconcertante. Et il utilise cette compétence dans le domaine de l'écriture. Avec une licence en sociologie obtenue en Algérie et un master en distribution en France, rien ne laissait présager en lui ce destin d'écrivain. Arrivé dans ce domaine sur le tard, on dirait qu'il compte rattraper le temps perdu. -Depuis quelques années seulement, vous écrivez et vous êtes arrivé à ce nombre impressionnant d'ouvrages ; quel en est le secret ? J'ai commencé à écrire à 54 ans. J'avais déjà beaucoup de livres dans la tête. Je n'ai fait que les «tirer» un à un ! J'ai aujourd'hui 60 ans. En tout, j'ai publié 17 livres et 5 traductions en moins de 7 ans ! -Sociologue, puis spécialiste de la distribution, vous n'aviez pas le profil de l'écrivain au départ... J'ai toujours aimé écrire, mais je me sous-estimais. Il me fallait un déclic. -Et vous l'avez eu ? La littérature m'est venue de la maîtrise du français officiel acquise à la Société nationale d'études et réalisations industrielles (SNERI) où j'ai commencé par des études rétrospectives, des essais. Ensuite, je suis passé à la critique littéraire. -On voit que vous vous êtes attaqué à Yasmina Khadra… Au figuré ! J'ai lu tout ce qu'il a écrit, et ça a donné l'ouvrage intitulé : Mohammed Moulessehoul : l'autre Yasmina Khadra. -Vous avez plusieurs ouvrages édités en France. Est-ce un choix ? Une dizaine de titres chez Edilivre, oui ! C'est un choix. -Pourquoi ? Certaines maisons d'édition chez nous, malheureusement, ne sont pas sérieuses. On ne peut pas suivre sa comptabilité, ses droits, par manque de transparence. Il n'y a pas beaucoup de considération pour l'auteur. Elles ne cherchent que celui qui a déjà le pied à l'étrier ; elles ne veulent pas accompagner les jeunes auteurs. -Et là-bas, vous avez trouvé tout ça ? Malheureusement, oui ! Ils ont cette transparence qui nous manque. Et ils donnent leur chance aux jeunes plumes. -Quelques titres ? Quelques exemples seulement ! Président !, exercice littéraire auquel je me suis intéressé à l'approche de la présidentielle du 17 avril 2014, où je dresse des portraits de prétendants à la magistrature suprême du pays et explore des pistes utiles pour le citoyen électeur. Le triomphe des chimères, où j'évoque les multiples facettes du quotidien de ce «pauvre pays riche» qu'est l'Algérie. Albert, l'étranger, Camus, l'Algérien… -Et en tant que traducteur ? Du français à l'arabe : La guerre d'Algérie : témoignages et commentaires du journal Le Monde (1830 - 1962) , 2 tomes, 2012. Alger au XVIIIe siècle, de Venture de Paradis. Correspondances des deys avec la France, 2013. La mendiante, d'Ali Lahrèch (à paraître). De l'arabe au français : Les présidents algériens à l'épreuve de l'Histoire, de Rabah Lounici. -Dans quelle langue vous sentez-vous le plus à l'aise ? Je suis comme un poisson dans l'eau dans les deux langues ! J'ai eu la chance d'avoir dans ma jeunesse des enseignants très compétents qui m'ont fait aimer les deux langues. Je tiens à rendre un vibrant hommage, entre autres, à Cheikh Brahim, mon maître d'arabe à l'école primaire de Aïn Defla (car je suis originaire de cette région) et à MM. Pinguili et François Baudry, mes instituteurs de français. Ils ont su insuffler en moi cet amour des langues et celui de l'écriture. -Ce va-et-vient entre l'arabe et le français… J'ai d'abord écrit en français. Puis, l'arabe m'étant resté à travers la gorge, il fallait que je revienne à mes «origines» : je devais écrire en arabe, parce que dans ma jeunesse j'apprenais par cœur le Coran, la poésie orientale. C'était pour moi une sorte de renaissance. Les enseignants égyptiens qui sont venus par la suite ont détruit cette dynamique. La traduction du livre L'Histoire d'Algérie m'a réconcilié avec les deux langues. Harragas, ces éternels incompris, je l'ai écrit en français, chez El Maarifa, en 2008 et Edilivre, en 2009, puis je l'ai traduit en arabe, parce que beaucoup d'étudiants arabophones ont demandé l'accès à cet ouvrage de référence qui traite du phénomène de la harga. -Le lien entre la sociologie, votre profil premier, et l'écriture ? On ne peut développer la sociologie en l'absence d'organismes de sondage nationaux et d'un système associatif de la société algérienne, de manière à épuiser l'outil de nos études sociologiques, raison pour laquelle le sociologue erre, à présent, dans des généralités ou se rabat sur la fiction pour expliquer des phénomènes nouveaux ; et c'est un peu mon cas. -Des projets de livres ? Les livres que j'ai étouffés ne sont pas tous sortis. J'ai beaucoup de projets dans ma tête. Plus d'idées que de temps ! Mais j'écris beaucoup : le meilleur reste à venir !