Une confrontation ambiguë avec un public partagé entre l'admiration et la suspicion. Yasmina Khadra, écrivain qui a suscité en France une vive polémique en refusant de prendre part à la campagne médiatique contre les généraux en Algérie, a animé une rencontre-débat dimanche à l'hôtel Sofitel. Sa prise de position, que les médias français mettront sur le compte de sa qualité d'ex-officier de l'ANP, lui a valu l'attaque de certains critiques qui voyaient en lui le porte-voix littéraire d'une institution corrompue et soupçonnée de génocide. Lors de la rencontre de dimanche dernier, qui peut être considérée comme sa première sortie publique d'envergure en Algérie, l'auteur devait mettre les points sur les «i». Au-delà du contexte conjoncturel qui a imposé cette intervention, Yasmina Khadra a tenu à faire valoir sa qualité d'écrivain. Une confrontation ambiguë avec un public partagé entre l'admiration et la suspicion. Yasmina Khadra descend les marches de la salle Hamma de l'hôtel Sofitel où il doit mener le débat, encadré de Sofiane Hadjadj, représentant la jeune, mais très perspicace maison d'édition Barzakh, et de l'anonyme représentant de la mystérieuse Omega-International-Diffusion. La flotte médiatique était aux aguets depuis plus d'une demi-heure, mais, avec une ponctualité toute militaire, cet ex-officier de l'ANP n'aura pas une minute d'avance, ni de retard. Le temps de s'enquérir du prix de son dernier ouvrage, L'imposture des mots: 700 DA, pas très encourageant. L'auteur se pliera, quelques secondes, aux sollicitations des caméras. Khalida Messaoudi, ex-membre du RCD, l'ex-colonel Snouci, ex-commissaire de l'Année de l'Algérie en France et M. Hachemi Cherif, n°1, toujours en service, du MDS ont été les figures qui ne pouvaient passer inaperçues à cette rencontre. Derrière la table de conférence, Sofiane Hadjadj, Yasmina Khadra, et le représentant de Omega-International, qui a laissé échapper une belle occasion de se présenter, allaient enfin nous éclairer sur le pourquoi de cette rencontre en septembre prochain, à l'occasion de la Foire internationale du livre, la traduction en arabe du livre de Yasmina Khadra L'écrivain sera mise sur le marché. Le duo Barzakh éditions et Omega-International-Diffusion ont acquis les droits de commercialisation de l'oeuvre dans laquelle, rappelons-le, Yasmina Khadra divulguait enfin sa véritable identité: Mohamed Moulesshoul, ex-officier de l'Armée nationale populaire en fonction à Tamanrasset. La parution en France de ce livre coïncidait avec ceux de Souaïdia et de Yous Nasserallah. Pour Sofiane Hadjadj, c'est le thème qu'aborde Moulesshoul dans L'écrivain qui intéresse Barzakh éditions; l'écriture, le lien entre l'homme et l'écrit, le pourquoi de ce «désir». La balle est vite renvoyée à Mohamed Moulesshoul, qui commencera son intervention par des excuses: «36 ans dans une institution où on ne parle pas. Vous comprendrez que parler me fait peur...», dira-t-il en ironisant. L'auteur reviendra sur les premières phases de son séjour en France: «Au début, l'accueil était formidable. J'étais traduit en plusieurs langues et je bénéficiais d'une notoriété confortable. Mais voilà que Yasmina Khadra devient un pestiféré. J'ai été désarçonné, en colère et j'ai choisi de l'écrire (L'imposture des mots. Ndlr)... L'institution militaire est ma famille, j'y ai vécu, eu des amis et des conflits comme tout être humain dans n'importe quel autre cercle. Et voilà que cette institution est bafouée. Des hommes qui nous ont quittés, des pères de familles ont été traités de meurtriers alors qu'il n'en est rien. Comment voudriez-vous que leurs enfants puissent vivre avec de telles accusations sur le dos... Je ne pouvais me taire.» L'auteur publiait ses premiers textes à partir de la caserne, alors que la pratique était vivement interdite et que, fait aggravant, Moulesshoul brossait un portrait de la situation en Algérie loin de la version officielle. C'est sa femme, à laquelle l'auteur a témoigné sa reconnaissance lors de cette rencontre, qui se chargeait de faire paraître ses écrits en signant de son nom, une opération qui n'était pas sans risques. Aujourd'hui, Yasmina Khadra voudrait se détacher de l'institution militaire qui lui colle à la peau pour se fondre dans le courant littéraire. «A partir de L'imposture des mots, je vais enfin commencer à écrire. D'ailleurs mon prochain livre n'a rien à voir avec l'Algérie. Si j'arrive à négocier positivement cette sortie, j'aurai réussi mon pari ; être écrivain et non pas seulement un témoin. Je voudrais dire les hommes»