Les 88 ans de Béji Caïd Essebsi ne l'ont pas empêché de mener son parti à la victoire dans trois scrutins cruciaux pour l'avenir de la Tunisie. Les dessous de cette marche victorieuse, acquise en moins de deux mois, contre les redoutables islamistes d'Ennahdha. Tunis De notre correspondant Le calendrier électoral est mal fait. Ce n'est ni la concomitance entre les scrutins législatif et présidentiel, ni la séparation effective. Mais on ne peut que composer avec le schéma proposé», avait dit Béji Caïd Essebsi, en juin dernier, lorsque le Dialogue national avait décidé la séparation des scrutins, en commençant par les élections législatives. Les islamistes d'Ennahdha avaient alors réussi à rallier les partis laïques, Afek Tounes et Al Massar, à cette position, pour parvenir à la majorité des deux tiers requise pour les décisions au sein du Dialogue national. «Ce choix de mettre en premier le scrutin législatif a empêché Nidaa Tounes de faire prévaloir à outrance son atout majeur, à savoir la personnalité charismatique de son leader Béji Caïd Essebsi ; du moins, pas comme s'il s'agissait de deux scrutins simultanés, qui verraient Béji faire la locomotive pour Nidaa Tounes», pense le président de l'Association tunisienne de droit constitutionnel, le professeur Ferhat Horchani. Pourtant, Nidaa Tounes a remporté haut la main les élections législatives. Comment la direction de ce parti a-t-elle procédé ? Importants enjeux Selon le professeur Néji Jalloul, membre du comité central de Nidaa Tounes, «il fallait impérativement gagner les élections législatives car le régime politique, prévu par la Constitution, accorde au premier parti un statut de plaque tournante de la vie politique». «C'est pour cette raison qu'Ennahdha a fait le tour de force de commencer par le scrutin législatif, tout en annonçant leur retrait de la présidentielle, malgré l'insistance de Hamadi Jebali de vouloir se présenter. Les islamistes voulaient disposer d'une majorité au parlement et répartir les dividendes de cette victoire (président du Parlement, équipe gouvernementale, présidence de la République) entre les éventuels partenaires au sein d'une nouvelle alliance, à l'image de la troïka, avec Ennahdha à la tête du gouvernement», a-t-il expliqué. «En choisissant d'aller, d'abord, vers les élections législatives, des partis laïques comme Afek Tounes et Al Massar, sont entrés dans cette combine même s'ils font, aujourd'hui, partie du bloc ayant soutenu la candidature de Béji Caïd Essebsi dans l'élection présidentielle», a-t-il regretté, en soulignant que «Nidaa Tounes avait donc à faire face à de telles manœuvres lors des élections législatives, sans oublier les opérations de diversion comme les recours à propos de la validité des parrainages pour les candidats à l'élection présidentielle, alors que le pays préparait le scrutin législatif. Les islamistes d'Ennahdha ont nourri ces spéculations du moment qu'ils n'avaient pas de candidat concerné par de telles manœuvres et ils étaient concentrés sur les législatives». Le professeur Néji Jalloul a conclu ses propos, en affirmant que «ce n'était pas du tout facile. Nidaa Tounes a cravaché dur pour s'octroyer le fauteuil confectionné par Ennahdha pour sa propre succession, celui du premier parti». Manœuvres insidieuses Le parcours de Nidaa Tounes, lors de sa campagne électorale pour les législatives, était basé sur trois axes, selon le politologue Slaheddine Jourchi. «Nidaa Tounes a commencé par refuser les alliances électorales avec d'autres partis parce qu'il avait déjà des difficultés à satisfaire ses propres cadres, issus des divers courants. Il fallait mettre des représentants de gauchistes, syndicalistes, destouriens et indépendants», a expliqué M. Jourchi. «Il fallait, ensuite, réussir à faire passer le message du vote utile et d'éviter le spectre de l'émiettement des voix entre les partis de la famille démocratique, pour couper la route à Ennahdha, tout en atténuant les craintes de ceux qui suspectent une alliance avec cette même Ennahdha, dans l'exercice du pouvoir», a ajouté le politologue, avant de mettre l'accent sur «la réussite de Nidaa Tounes à mener une campagne électorale décentralisée, avec Béji Caïd Essebsi comme élément fédérateur». En conclusion, Slaheddine Jourchi a expliqué que «Nidaa Tounes a utilisé les réseaux de l'ancien RCD, sans mettre devant des personnalités de ce même parti ; seul Béji Caïd Essebsi peut réussir un tel coup». Concernant le parcours de Béji Caïd Essebsi, le journaliste Soufiane Ben Hamida a considéré sur les plateaux d'«El Hiwar Ettounsi» que tout a réussi à ce dirigeant politique ces quatre dernières années. «Avec l'accession au palais de Carthage, Béji Caïd Essebsi (BCE) est à son quatrième challenge gagné. Et pas des moindres. Il a en effet commencé par réussir la première partie de la transition démocratique, en menant la Tunisie jusqu'aux élections du 23 octobre 2011, avant de remettre le pouvoir, deux mois plus tard, au gouvernement issu des urnes», rappelle Soufiane Ben Hamida. «En voyant, ensuite, la troïka gouvernante récalcitrante à appliquer la mission pour laquelle elle a été élue, soit la rédaction d'une Constitution et la préparation d'élections en moins d'une année, BCE s'est dirigé depuis début 2012 vers la création d'une force politique, capable d'assurer les fondements de l'alternance au pouvoir. Ainsi, Nidaa Tounes a vu officiellement le jour durant l'été 2012. Deux ans plus tard, ce même parti est déjà aux avant-gardes de la scène politique. Il est même parvenu à gagner les élections législatives du 26 octobre 2014», explique encore notre confère. «Enfin, Béji a pu accéder à la présidence de la République et la joindre aux challenges gagnés par Nidaa Tounes. C'est désormais le grand chelem», fait par ailleurs remarquer Soufiane Ben Hamida. Tout a été dit.