Une banderole blanche frappée d'un slogan peint en rouge : «Pour la liberté de pensée et de conscience». Elle flotte sur la place publique où trône la stèle à l'effigie du journaliste Saïd Mekbel, assassiné par la bêtise humaine il y a vingt ans presque jour pour jour, le 3 décembre 1994. La fatwa qui a tué Mekbel et d'autres libres-penseurs revient dans le fiel d'un imam salafiste, Abdelfettah Hamadache, pour menacer le journaliste, chroniqueur et auteur Kamel Daoud. Sur la place de la liberté d'expression Saïd Mekbel, tout autour de la stèle, les femmes et les hommes qui ont répondu présent ceinturent les lieux comme pour former un bouclier contre l'amnésie. Des dizaines de militants se sont rassemblées, hier à Béjaïa, pour rappeler aux mémoires courtes les dégâts de l'obscurantisme islamiste qui a fait des ravages durant les années 1990 et alerter sur le retour de l'ogre et des fatwas de la mort. «C'est l'amnésie qui fait qu'aujourd'hui, des personnes lancent encore ces fatwas» accuse Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH, aile Zehouane). Dans certains regards brillent des reflets de désillusion. Parmi les dizaines de personnes qui ont répondu à l'appel de la LADDH, du Café littéraire et du MDS, se trouvent des artistes, des militants politiques, associatifs et des droits de l'homme, des élus, des étudiants et des curieux. «C'est pour ce Monsieur, ce rassemblement ?» demande un vieil homme en désignant du menton la stèle de Saïd Mekbel. «Non, c'est pour un autre journaliste qui a écrit un livre et qu'on a appelé à tuer», lui répond-on. «Je vois qui c'est. Ils veulent nous imposer un autre islam», commente le vieux qui passe son chemin. «A l'école, on apprend aux enfants à être intolérants», dénonce Kader Sadji du Café littéraire, qui révèle qu'«il y a des appels au meurtre dans les mosquées de Béjaïa» et pointe le doigt vers «les chaînes de télévision qui répandent leur venin». «Ce qui s'est passé dans les années 1990 c'est à cause de Hamadache et ses semblables. Ils avaient dit que Hachemi Cherif ne devait pas être enterré en Algérie, ils se sont attaqués à Hamid Ferhi et Fethi Ghares (respectivement coordinateur et porte-parole du MDS)», renchérit un cadre du MDS. «Des Hamadache vont exister encore tant que le pouvoir manipule dans l'ombre ces éléments-là. Mais la société est encore debout pour y faire face», rétorque Athmane Mazouz, chargé de communication du RCD.