A quelques encablures du massif du Djurdjura, le village d'Aït Hichem. Des banderoles, des drapeaux et des fanions ornent les rues principales. C'est la fête au village. Le tapis célèbre sa 8e édition.Aït Hichem qui culmine à 1200 m d'altitude devient l'espace d'une semaine un carrefour national. Plusieurs artisans originaires de 15 wilayas du pays séjourneront pendant une semaine dans cette région de Aïn El Hammam. Dans les salles de classe du CEM du village qui servent de stands, des tapis de diverses dimensions et de toutes les couleurs sont accrochés aux murs, d'autres posés sur les tables de l'établissement. Les plus joyeux de tous les participants sont surtout les femmes qui y ont exposé leurs produits. Elles continuent encore à filer du bonheur à créer des tapis avec leurs doigts magiques. Selon la doyenne des artisanes, Nna Taous, aujourd'hui âgée de 101 ans, les femmes d'Aït Hichem sont initiées très jeunes au tissage. Dans un parfait français, elle dira : « L'art de fabriquer les tapis se transmet de génération en génération et chacune d'elles apporte ses créations. J'ai moi même introduit l'utilisation du papier millimétré il y a près de 80 ans. » L'école d'Aït Hichem, l'une des plus anciennes d'Afrique du Nord, indique-t-on au village, a ouvert ses portes au métier à tisser en 1892. Cette construction datant de l'époque coloniale est toujours là, prête à raconter l'histoire. Deux professeurs d'enseignement professionnel encadrent des sections de 25 stagiaires pour une durée de 18 mois et une autre section de 15 femmes au foyer pour une durée de 6 mois. Les femmes perpétuent la tradition, sauvegardent ce patrimoine et génèrent des ressources à leurs foyers. « Sans ces femmes, la traditionnelle fête du tapis, organisée depuis 1989, n'aurait jamais eu lieu. D'ailleurs, chaque édition est avant tout un vibrant hommage à ces femmes qui ont marqué par leur empreinte l'histoire de notre village et de notre région », observe un membre de l'association culturelle Tiliwa, principal organisateur. Les villageois et les autorités locales tentent de donner un essor à l'art du tapis et redynamiser cette destination touristique. L'accueil des femmes et des hommes du village est remarquable. Au chef-lieu de commune, Aït Yahia, on peut trouver de tout. Jeune femme, pleine d'entrain, Mme Bengougam a créé en 1994 Cecilia, son propre atelier de tissage. Elle dira : « Dans mon modeste atelier, j'ai déjà appris le métier à plus de 200 jeunes femmes. Cela leur permet d'avoir un métier, mais aussi un moyen d'arracher des espaces de liberté. » L'atelier Cecilia ne se contente pas uniquement d'assurer la pérennité au tapis, mais offre une gamme de produits dont les motifs, comme le signe berbère ou le losange, sont le résultat d'une recherche qui allie tradition et modernité, et qui tendent à sauvegarder la spécificité du tapis d'Aït Hichem. « Au village, on insiste sur l'identité du tapis d'Aït Hichem qui n'est la propriété de personne. Il est de l'intérêt du village de protéger ce label tapis d'Aït Hichem auprès des autorités concernées », dit un représentant du comité d'organisation. A ce propos, au ministère de l'Artisanat, on annonce l'ouverture d'un centre d'estampillage du tapis afin de le labelliser. La fête du tapis est également une affaire de femmes, tout comme le tapis lui-même. Elles sont là, dans la salle d'exposition à recevoir les visiteurs, à parler du tissage et à répondre aux questions des touristes. L'une d'elles se propose de photocopier des documents à notre demande, elle sort puis revient rapidement avec des photocopies agrafées. « Je vous les donne contre quelques dinars. Donnez ce que vous voulez. C'est juste pour aider notre association. » Elle empoche un billet de 200 DA puis s'en va à la rencontre des visiteurs. Les femmes d'Aït Hichem ont fait du tapis « un art, un outil, un moyen de subsistance et une œuvre », fait remarquer Titem Ath Abdeslam. A Aït Hichem, les femmes ont aussi l'art de communiquer. Un gage sérieux pour la réussite des éditions à venir de la fête du tapis. Aït Hichem vaut bien le détour ; de beaux tapis pour quelques centaines de dinars et des bols d'air pur gratuits.