Les deux suspects de l'attaque contre Charlie Hebdo faisaient partie d'une filière terroriste islamiste. Quelle est aujourd'hui la réalité de ces réseaux en France ? - Combien de Français sont concernés ? La justice française a 104 procédures en cours concernant les filières djihadistes syriennes sur son territoire. «Aujourd'hui, en France, 1200 personnes sont concernées», estime David Thomson, journaliste à RFI et auteur de Les Français djihadistes. Il précise : «Il y a environ 400 personnes en Irak et en Syrie et environ 200 qui sont de retour de ces pays-là». - Ces Français liés aux réseaux terroristes sont-ils souvent d'origine maghrébine ? Mohamed Merah, qui avait assassiné des soldats et des enfants en pleine rue près de Toulouse en 2012, et les deux suspects de l'attaque contre Charlie Hebdo sont d'origine algérienne. «Pas forcément, explique David Thomson. Si la majorité des gens impliqués font partie de familles de culture arabo-musulmane, ce sont souvent des foyers non pratiquants». Il estime d'ailleurs que les convertis à l'islam représentent plus de 20% des effectifs aujourd'hui. - Doit-on toujours croire à la thèse des quartiers défavorisés, des banlieues-ghettos favorisant le radicalisme ? Il n'y a pas de profil type, selon les spécialistes. Pierre Alonso, journaliste, qui a travaillé sur les réseaux terroristes en France jusqu'en 2012, explique : «J'ai du mal à croire qu'il y ait un profil type. Il y a des gens issus de milieux très défavorisés, d'autres non.» David Thomson précise : «Il faut faire une distinction entre les femmes et les hommes. Chez les hommes, il y a de plus en plus de cas de jeunes, comme Maxime Auchard, qui apparaît dans une vidéo en Syrie, qui ont grandi dans les campagnes françaises. Ils n'ont pas tous fait de la prison non plus. Du côté des femmes, elles sont plus issues de milieux non musulmans, et moins de milieux défavorisés.» Un travailleur social d'une grande ville du sud de la France nuance : «La banlieue française est un lieu où un islam radical, comme toute autre dérive sectaire ou phénomène de délinquance, peut trouver ses sources. Ce sont des zones où l'on met les gens au ban de la société. Au centre, il y a la ville, qui vit. Quand quelqu'un n'a aucune perspective et qu'il passe sa journée à errer sur un trottoir, il se rapprochera de celui qui lui offrira une opportunité, quel qu'il soit». - Comment rejoignent-ils les filières ? Depuis le début de la guerre syrienne, les caractéristiques des réseaux djihadistes ont changé. Aujourd'hui, le recrutement se fait via internet, les réseaux sociaux, celui-ci est moins bien structuré que dans les années 1990 ou les années 2000. «Il n'y a plus de recrutement physique, dans les mosquées, comme il y a 20 ans», lance David Thomson. La menace a évolué depuis que la France est intervenue en Irak en août 2014. Au mois de septembre, Aboubaker Baghdadi, le leader de l'organisation Etat islamique, a ordonné en conséquence aux membres de l'organisation de tuer des citoyens français. - Doit-on estimer que les services de renseignement français ont failli ? Selon les spécialistes, il est beaucoup trop tôt pour le savoir. «J'estime qu'il y a un effet de loupe, explique Pierre Alonso. Seuls les échecs des services de renseignement sont connus. On ne sait pas tout ce qu'ils réussissent.» Selon lui, les services de renseignements ont réussi à s'adapter aux nouvelles stratégies des groupes terroristes et le nombre d'outils à leur disposition s'accumule. «J'ai souvent entendu qu'il y avait des problèmes de coordination entre les différentes structures chargées du renseignement sur qui devait suivre les phénomènes de radicalisation, mais cela s'est amélioré avec la réforme récente du renseignement». - Pourquoi la France ne semble pas parvenir à lutter contre le terrorisme sur son territoire ? Le Fonds interministériel de prévention contre la délinquance a prévu une «priorité inédite» à la lutte contre la radicalisation pour 2015 : 52 millions d'euros. Pour autant, pas sûr que cela soit efficace. Cette employée d'un service de prévention de l'une des 20 plus grandes villes de France est acerbe : «D'abord, avant les attaques contre Charlie Hebdo, les gouvernants utilisaient la peur comme stratégie de communication. Cela divise les gens. Maintenant qu'il y a eu un drame, on cherche à rassembler, on aurait dû faire ça depuis le début. D'un point de vue technique, les institutions françaises ne s'occupent pas des jeunes qui restent sur le carreau, ce sont ces jeunes-là qui réagissent de façon violente, par des dérives sectaires de la délinquance ou une radicalisation religieuse. Enfin, il faut que les institutions tiennent leur rôle. La justice doit sanctionner quand c'est nécessaire, et la police doit entrer dans les quartiers, autrement qu'en jouant à Zorro. Certains membres des forces de l'ordre ont tendance à laisser les gens dans la m..., entre eux.»