Une enfance en Guinée et une adolescence à Anjou, le « père » de Kirikou est venu à Alger présenter son dernier-né, Azur et Asmar, lors de la 4e édition des Journées internationales du film d'animation. Il nous raconte son parcours et nous révèle des séquences croustillantes de son dernier film. Comment êtes-vous venu au cinéma d'animation ? Je crois que ma passion a commencé très tôt. J'ai agrippé un crayon et j'ai gribouillé et depuis, je ne me suis jamais arrêté. Enfant, j'ai beaucoup joué et j'ai fait jouer les autres. J'ai bricolé et dessiné sans arrêt. J'ai décoré la maison pour les fêtes. J'ai découpé, scié, collé et cloué. Outre le dessin, j'ai fait de la peinture, de la sculpture, de la gravure. J'ai également fait du théâtre et de la danse. J'ai lu, dessiné et écrit. A un certain moment, les grandes personnes me disaient : « Tu sais, il faudra bien que tu choisisses un jour. » Eh bien ! j'ai continué à tout faire. Mon parcours a été d'abord une très belle enfance, ensuite une halte au lycée, suivie d'une inscription aux Beaux-Arts où je suis devenu un tant soit peu spécialiste.J'ai basculé dans la vie professionnelle et j'ai eu quelques difficultés parce que j'étais perfectionniste. Et ce qui me plaît dans le cinéma d'animation, c'est que j'utilise des histoires que j'invente en général, qui viennent à droite et à gauche. J'invente les histoires et je saisis l'historique qui me plaît dont les civilisations du monde et les costumes. Je continue encore à me déguiser, à exercer la danse, la peinture, les décors, la musique... Tous les ingrédients y sont, mais je n'ai pas encore l'odeur. Mais j'ai choisi le cinéma d'animation, parce que c'est là qu'en démarrant de rien, on invente tout. C'est de la fiction pure. Ce que l'on voit n'existe pas, ce sont des dessins que j'ai faits et qui se sont, petit à petit, développés. Pour moi, c'est la liberté absolue. Mais ça n'a pas toujours été ainsi. J'ai eu beaucoup de mal à percer et à trouver le budget pour réaliser des films. Mais dès que j'ai un peu d'argent, je suis totalement libre. Mon premier court-métrage est venu tardivement dans ma vie professionnelle, parce que je me suis bêtement obstiné à faire des courts-métrages. En tant qu'artiste, je ne ressentais pas le besoin de faire de longs-métrages. L'animation, c'est l'art du bijoutier... Vous n'avez pas besoin qu'un bijou pèse trois tonnes pour qu'il soit magnifique. Justement, avec Kirikou, vous avez fait ce bijou de trois tonnes... Tout à fait (rires). Kirikou est sorti il y a dix ans. J'avais toute une vie professionnelle derrière moi. Auparavant, je n'avais pas une vraie vie d'artiste, mais j'ai réussi à faire de Kirikou le bijou en question, qui s'est assez bien vendu d'ailleurs. J'ai pu toucher les gens avec cette histoire. Ces dix ans m'ont permis de faire d'autres choses : sortir un film Princes et princesses dont personne n'en voulait mais qui a fini par avoir du succès. Ce film était une suite assez humble de petits contes dans un théâtre d'ombre que je vais reprendre maintenant que j'ai du succès. Je vais revenir à cette période où j'ai aimé raconter ce genre de contes. C'est agréable et simple à faire. Ce sont des images stylisées que les gens comprennent très bien. Vous vous êtes fait connaître à travers les circuits des festivals... Je me suis fait connaître à travers les circuits des festivals en faisant des petits films que les gens appréciaient. J'ai un petit peu fait le tour du monde avec tous ces petits films. Tout a changé avec Kirikou et la sorcière. J'ai pu donc sortir Princes et princesses. J'ai pu faire des livres en adaptant mes films. J'ai réalisé un deuxième Kirikou qui n'était pas programmé au départ. Mais voilà, la demande était vraiment énorme aussi bien du côté du public que celui des commerçants. J'ai également produit Azur et Asmar. C'était un projet ambitieux avec un budget important, 10 millions d'euros. J'ai mis six ans pour le réaliser. J'ai fait quelque chose de nouveau dans la mesure où j'ai travaillé sur le système 3 D. J'ai également fait une vidéo pour la chanteuse Björk qui m'avait demandé d'illustrer sa chanson. En outre, j'ai fait une comédie musicale sur scène au casino de Paris. A travers vos deux œuvres Kirikou, Azur et Asmar, vous avez réussi à cibler les petits et les grands. Avec le talent qu'on vous reconnaît, vous avez abordé dans le second les thèmes de la tolérance et les chocs des civilisations avec talent... Mes films sont des choses que j'ai envie de dire. Ce sont des cadeaux que j'ai envie d'offrir aux gens. Mes films plaisent, en effet, aussi bien aux enfants qu'aux adultes. Certaines personnes pleurent devant les sentiments que j'exprime. Les enfants, de leur côté, ont besoin d'apprendre des choses. Le métier d'un enfant, c'est d'apprendre, en 18 ans, 50 000 ans de civilisation. Ils n'ont plus de temps à perdre. Il faut qu'ils soient bombardés de nouvelles choses. Le thème abordé dans Azur et Asmar est brûlant. Je pose la problématique suivante : « Est-ce qu'on peut s'entendre entre riches et pauvres, entre Occident et Orient, entre chrétiens et musulmans, entre citoyens installés et émigrés ? » A travers mon film, j'ai démontré qu'on pouvait y arriver. J'ai également voulu célébrer le Maghreb et la civilisation islamique au Moyen-Âge. L'histoire se passe au Maghreb (l'Algérie, le Maroc et la Tunisie). Pour une réalisation parfaite de ce film, je me suis beaucoup documenté, notamment au musée du Bardo d'Alger. D'ailleurs, certains costumes traditionnels et bijoux berbères ont été remis au parfum du jour dans le film, grâce à ces sublimes illustrations. Dans Azur et Asmar, on retrouve l'architecture de La Casbah d'Alger, les ruines romaines de Timgad. J'ai essayé de faire quelque chose du Magrébin mais sans jamais nommer les pays. étant de nationalité française, j'estime que je devais traiter d'abord du Maghreb. C'est, en effet, le plus gros des décors et costumes que j'ai joué avec une panoplie d'éléments qui me plaisaient, de l'Andalousie à la Turquie, sans oublier un détour par la Perse. Je suis un humain qui parle des humains et si je fais des films, c'est que j'ai des choses à dire. Je fais des contes de fées qui me plaisent. Mais derrière ces contes de fées, il y a toujours une chose très solide qu'on veut transmettre. Pourriez-vous revenir sur les différentes étapes qui ont ponctué les six années de Azur et Asmar ? Après avoir défini le sujet à traiter, à savoir Azur et Asmar, j'ai pensé, pour mettre en exergue les relations franco-maghrébines, raconter l'histoire de deux frères de lait. En cours de route, j'ai échangé les rôles. J'ai écrit le premier scénario en deux semaines. Je me suis ensuite consacré à un travail de documentation et de dessin. J'ai élaboré le film sous la forme d'une bande dessinée, un story-board, qui définit ce qui se passera à l'écran. Cela a pris une année. Les 1300 plans du film ont été définis chacun dans un dossier, cadrage de l'image, où l'on trouve, entre autres, les principales positions des personnages dans l'image, l'esquisse des images... Ce travail avec une équipe réduite a duré deux années. La création des décors et l'animation se sont étalées sur un an et demi. La post-graduation s'est soldée quelques mois plus tard. Après une défection l'année dernière lors de la sortie de votre dernier-né, vous êtes invité officiellement à Alger pour présenter au public algérois Azur et Asmar. Quelles en sont vos impressions ? Cela me semblait une bonne idée de venir à Alger pour continuer à dire aux gens : « Venez voir mon film. Il est fait pour vous. » Je viens pour parler avec mon public. Il est vrai que l'année dernière, je devais venir mais j'étais en pleine répétition de ma comédie musicale. Il était hors de question que je quitte mon équipe. Ceci étant, je n'ai plus de congés, ni de week-ends. Je suis invité de partout. C'est très difficile, de nos jours, de faire fonctionner le cinéma. Un peu partout dans le monde, en dehors de Spiderman, il est très difficile de faire venir les gens dans les salles. Avez-vous d'autres projets en perspectives ? Je vais faire quelque chose de relativement humble, bien que maintenant le cinéma m'aime bien. Je vais faire une scène pour la télévision. Il s'agira de contes dans un théâtre d'ombre que j'ai déjà entamé il y a longtemps. J'ai plein de jolies histoires à raconter. J'ai trouvé la manière de le faire avec de remarquables animateurs. A la télévision, je suis libre de faire ce que je veux. En outre, la télévision a atteint un autre public que celui du cinéma. Par la suite, il est clair que je reviendrai vers quelque chose de plus ambitieux. Je considère que ce que je vais faire est aussi bien que Azur et Asmar, sauf que c'est plus humble avec un profil bas mais avec la même qualité. Tout ce que je fais est justifié. Tout ce que je montre est la résultante de mes tripes, de mes vibrations... et de mon cœur.