Plus de 15 000 manifestants à In Salah, 4000 à Tamanrasset, 5000 à Ouargla... Pari tenu pour le front anti-gaz de schiste. Pour la première fois, le sud de l'Algérie apparaît sous son vrai jour, loin de l'image purement industrielle ou touristique, il offre au pays sa diversité ethnique et culturelle colorée dans un paysage de citoyenneté dynamique, mobilisée, fusionnée et qui regarde dans la même direction. Le gouvernement est sommé par les manifestants de répondre sous huitaine et le mouvement menace de se radicaliser dans les jours qui viennent. D'ailleurs, les contestataires ont d'ores et déjà annoncé de nouvelles manifestations pour jeudi prochain. Berceau Que ce soit à In Salah, berceau de la contestation écologique citoyenne, à Tamanrasset, son chef-lieu de wilaya qui a pris à bras-le-corps le combat de la périphérie de l'Ahaggar mais aussi à Ouargla, la capitale de la fronde des chômeurs, ou Aoulef, Brezina, Djanet, les citoyens ont été encore plus nombreux, plus déterminés, plus expressifs, dépassant les espérances les plus folles des organisateurs. Plus de 15 000 à In Salah, 4000 à Tamanrasset, 5000 à Ouargla et autant ou un peu moins ailleurs, mais on compte des dizaines, voire des centaines de personnes qui se sont donné le mot, le slogan, la cause. Ilamen à Tamanrasset, Tin Khatma à Djanet, à Aoulef ont un message unique : «Les habitants sont contre l'extraction du gaz de schiste au Sahara, un débat national s'impose.» Les estimations sont positives, la présence sur le terrain permet aujourd'hui de confirmer, sans risque de se tromper, que le sursaut citoyen est là, réel et définitif et que la cause écologique a uni le Sud sur une position commune, celle du refus de l'exploitation du gaz de schiste. «Merci aux héros d'In Salah», un slogan qui est revenu dans toutes les manifestations où l'opposition au gaz de schiste a fédéré les collectifs et donné un nom et un statut à la préoccupation première des wilayas sahariennes, un avenir différent, plus équitable, plus humain. Trois générations In Salah. Un petit garçon courait au niveau de la place de la Résistance. «H'nini, h'nini, assanani», «grand-père, attends-moi». Ils étaient 5000, 10 000, 15 000 puis 20 000 à se mobiliser. C'est comme le jour de Arafa, un grand pèlerinage, nettement plus que lors de la fameuse «ziara» de Moulay Reggani qui brasse pourtant un monde fou de toutes les villes du Tidikelt et du Touat. Trois générations se sont côtoyées hier à In Salah, forte de l'arrivée de renforts d'Iguestene et In Ghar après ceux de Foggaret Ezzoua mardi dernier. L'heure est grave. «On ne parle plus de mobilisation des troupes, les faits sont là, tout le monde a compris qu'un rendez-vous avec l'histoire se jouait à In Salah», c'est justement le propos à In Salah. Les manifestants maintiennent la pression, leur résistance exemplaire depuis voilà deux semaines a fait de 2015 un tournant, une fracture. «Assoumoud, la résistance», un slogan mis en pratique, crié dans les rues d'In Salah, dans la salle de l'hôtel du Tidikelt, une semaine plus tôt. «C'est comme si le 31 décembre dernier représentait le déclic de quelque chose d'inavouable, d'incompréhensible, c'est la découverte que nous pouvions nous entendre sur quelque chose, parler d'autre choses que de nos malheurs, dépasser tout et être maîtres de notre destin», déclare un jeune manifestant rencontré à Ouargla. «Mylionia» A Ouargla, le regroupement a commencé à 9h30 près du monument de la Rose des sables dans l'avenue de la République. Une vingtaine d'encadreurs, une cinquantaine de jeunes. Ce carrefour giratoire, un mini Hoggar dressé entre Gharbouz, Beni Thour, le Ksar et Bahmid, est sur la route du marché populaire de Gazarna. Il ne pouvait que brasser une foule qui grossissait à vue d'œil en cette matinée brumeuse. «Le désert n'est pas à vendre», «Nous ne sommes pas des cobayes», «Gaz de schiste, désastre sanitaire», «Des projets d'extermination, un pays sans souveraineté», etc. : des banderoles blanc et rouge et affiches «Non au gaz de schiste» de couleur jaune et surtout des slogans politiques. Lors de sa prise de parole, Tahar Belabès, figure du mouvement des chômeurs, a fustigé un gouvernement «en deçà des aspirations et du combat de cette population qui lui donne une leçon de civisme et de citoyenneté». «Ils se trompent sur notre compte, ils méprisent notre intelligence, notre pudeur mais ils savent maintenant qu'ils sont dans le collimateur, hier l'emploi, l'environnement aujourd'hui, on demande leur départ», répétera le leader de la CNDDC. «Ouargla Horra (libre), Sellal dégage, houkouma barra (gouvernement dehors)», criait l'assistance. «On veut préserver le Sahara des substances chimiques et on veut sauver le pays de ces incapables qui n'ont pas notre niveau, ni notre conscience.» La mobilisation, celle des beaux jours de la CNDDC, celle de la «Milyonia» du 14 mars 2013 devenue la référence de toutes celles qui ont suivi. «C'est le peuple qui a financé cette marche, nous avons recueilli plus de 20 000 DA en deux jours», affirme Aibek Ag Sahli, autre figure du mouvement des chômeurs. A propos de la désobéissance civile annoncée à la fin du rassemblement au cas où aucune solution n'est proposée par les autorités, Aibek préfère plutôt parler de «paralysie générale de tous les secteurs, qui n'épargnera ni les établissements scolaires ni l'administration. Nous y travaillerons toute la semaine dans l'attente de la réponse du gouvernement».