Un air de début des années 1990 a régné, dans l'après-midi d'hier, dans les rues de la capitale. Des dizaines, voire des centaines de citoyens, très jeunes pour la plupart, sont sortis pour manifester contre la publication, par la presse occidentale, de nouvelles caricatures du Prophète Mohamed. Si la majorité des manifestants ont scandé des slogans favorables au Prophète, d'autres nervis, dont certains portaient la tenue afghane, ont fait dans l'apologie du terrorisme. Et la manifestation a tourné à l'émeute. A la mosquée El Mouminine de la rue Bouchenafa, au quartier Belouidzad (ex-Belcourt), la tension commençait à monter au milieu de la journée. Bien avant le début de la prière du vendredi, la police antiémeute était déployée dans tout le quartier. Signe de tension, le chef de la sûreté de wilaya, Noureddine Berrachedi, est arrivé sur les lieux pour instruire ses hommes. Ces derniers ont fermé tous les accès menant vers la place du 1er Mai. Pendant ce temps, l'imam de la mosquée poursuit son prêche. «Les croisés portent atteinte à notre Prophète sous le couvert de la liberté d'expression» ou encore «celui qui ose représenter le Prophète doit être tué», dit-il. Les fidèles écoutent, des journalistes affluent. Des informations annoncent l'arrivée sur les lieux de Ali Benhadj, le n°2 du FIS dissous. L'homme est finalement arrêté dans une ruelle lointaine. Le même sort est réservé à Abdelfettah Hamadache. Image surréaliste : alors que la prière du vendredi n'est pas encore terminée, un groupe de jeunes, venus du quartier Laâqiba, arrive sur les lieux. Déchaînés et chauffés à blanc, ils scandent «Ahlyha nahya, ahlyha namout, wa alayha nalqa Allah» (pour - l'Etat islamique - nous vivons, pour lui nous allons mourir et rencontrer Dieu). Le slogan est celui que scandaient au milieu des années 1990 les adeptes de l'ancien parti dissous. Le barrage de police est forcé. Les fidèles poursuivent leur prière. Mais une fois terminée, c'est un tremblement de terre. Les dizaines de citoyens brandissent des pancartes où on peut lire «Je suis avec Mohamed», «Pour la défense de Mohamed», ou encore «Oui pour la liberté d'expression, non pour l'insulte au Prophète». Ce slogan est le seul qui soit écrit en français. «Kouachi chouhada» Déchaînés, les manifestants, dont des femmes et des enfants, forcent le barrage de police. Ils convergent vers la rue Hassiba Ben Bouali. Les mêmes slogans fusent. Un deuxième barrage de police, dressé devant la passerelle du 1er Mai, est forcé. Les policiers laissent faire. Même scène sur la place du 1er Mai. Les forces de l'ordre n'ont pas réussi à contenir les protestataires, qui affluent de plusieurs endroits. Arrivés devant le commissariat du boulevard Amirouche, ces derniers se heurtent à un barrage de policiers plus déterminés. «C'est tout ce que la police sait faire», commente un badaud, qui regarde la scène du haut de la trémie. Les slogans restent les mêmes. Avec «Palestine martyre», en plus. La procession faiblit. Mais certains, plus déterminés, arpentent les ruelles voisines pour se retrouver à la Grande-Poste. L'objectif étant de rejoindre un autre groupe de manifestants venus de Bab El Oued. Des policiers se positionnent rue Ben Boulaïd, non loin de l'APN. «Vous avez vu le terroriste Netanyahou marcher au côté de Lamamra ou pas ?», interpelle un homme barbu, la cinquantaine. Il montre du sang. Le policier ne bronche pas. Emeutes Devant des policiers déterminés, les «défenseurs du Prophète» remontent vers la rue Ben M'hidi. Parmi eux, Mohamed Douibi, secrétaire général d'Ennahda. «C'est une manifestation pacifique», dit-il. Interrogé sur les slogans qui font l'apologie du terrorisme, l'homme se démarque et justifie par le caractère populaire de la manifestation. Il est plus de 15h. Alors que la manifestation est calme jusque-là, des jeunes, certains en tenue afghane, tentent de forcer un barrage de police dressé devant le Conseil de la nation. Des slogans fusent. «Kouachi chouhada» (les frères Kouachi martyrs) ou encore «Djeïch, chaâb, maâk ya Daech» (armée et peuple avec toi Daech). Les policiers tentent de résister. Des pierres et des bouteilles en verre sont lancées. Des coups de matraque aussi. Mais le barrage est percé et les marcheurs, quelques dizaines, parviennent à l'APN. Ils scandent leurs slogans et hissent, sur un porte-drapeau situé sur le trottoir d'en face, un emblème noir qui ressemble à celui des groupes terroristes. Les policiers, impatients, chargent. Des jeunes accourent. Ils brisent des vitres de l'hôtel Es Safir, mitoyen du siège de la représentation parlementaire. C'est la course-poursuite. La foule perd en épaisseur. Mais certains radicaux saccagent des édifices, dont le siège d'Air Algérie, situé sur le boulevard Zirout Youcef. Le soleil est déjà couché. «Cela rappelle les scènes du début des années 1990», résume un journaliste.