Les avions venant de Bougie et d'Alger ont atterri presque au même moment. A la sortie, on se bouscule pour être le premier à voir sa famille. Une jeune femme lance un youyou strident. « C'est une Algéroise, son youyou est hystérique », tranche une dame d'une quarantaine d'années qui attend son mari et ses deux enfants. « Je reconnais tous les youyous. L'algérois est arrogant et aigu, le constantinois est prétentieux et l'oranais carrément vulgaire. Il ne faut pas écorcher l'oreille mais la caresser », professe l'énigmatique quadragénaire. Elle arrête son cours sur les youyous et se lance contre les retards à répétition des avions algériens. Elle est démentie quelques minutes plus tard par les tableaux d'affichage. Les horaires sont respectés. « Pour une fois ! », s'exclame-t-elle. Une vaingtaine de personnes qui attendent patiemment leurs proches se déplacent vers l'extrémité gauche de l'aéroport. C'est de là que sortiront les passagers. Les langues se délient. « Je me rends un été sur deux en Algérie, mais je fais tout pour envoyer ma famille tous les étés. C'est très cher. Cela me revient 1500 euros le voyage. Comme ma femme n'arrive pas à s'adapter en France et surtout y passer l'été, elle me met la pression tout le temps. Je cède toujours. Je me dis qu'au moins les enfants apprendront leur langue maternelle. Qu'ils parleront la langue de leurs parents au lieu du français. C'est une catastrophe ici, personne ne parle l'arabe. Ils le comprennent mais sont incapables d'aligner plus de deux mots », se désole Rachid, père de trois enfants. Mounir embrasse sa famille avec beaucoup d'effusion. Sa femme, Nadia, rigole. « Arrête, tu les as vus il y a juste une semaine. » Mounir sourit mais continue d'étouffer sa fille de tendresse. « Dans le Val-de-Marne, c'est la semaine des quatre jours pour les écoliers. Donc, ils reprennent les cours très tôt, presque deux semaines plus tôt que certaines zones. Du coup, nous étions obligés d'écourter nos vacances et de rentrer avant tout le monde. J'aurai aimé rester une semaine de plus », se languit déjà Nadia. « Nos vacances se chevauchent. Presque jamais au même moment. La première année, ma mère croyait que je me suis disputé avec ma femme car elle a été obligée de rentrer avant moi. Mes congés sont fixes, 15 j uillet, 15 août. Nadia, elle, a presque deux mois. C'est le privilège des enseignants. On essaie toujours de passer le plus souvent de temps ensemble en Algérie mais ce n'est pas toujours possible », explique Mounir. L'école, le travail et les mariages Mohand est plus qu'impatient. Pas d'enfant, marié depuis un an, le jeune cadre en informatique va voir son désir se réaliser dans quelques minutes. Il n'a pas vu son épouse depuis longtemps. « Mon histoire est à la fois banale et particulière. J'ai connu ma femme lors d'un séjour en Kabylie, dans le mariage d'un cousin. Nous nous sommes plu tout de suite. Seulement, voilà, c'est difficile de sortir avec une femme en Algérie, hors mariage. Or pour connaître cette fille et donc peut-être l'épouser, il faut bien la voir et discuter avec elle. Notre première rencontre était assez rigolote. Elle était accompagnée de son jeune frère de 10 ans. Elle était sous la surveillance d'un homme, donc l'honneur était sauf », pouffe Mohand. Moins d'un an plus tard, salle des fêtes et tout le tralala. « Près de 400 cousins et cousines à la cérémonie. La plupart, je ne les connaissais pas ». Pour le regroupement familial, il a fallu attendre une année. Quand son épouse a eu l'autorisation de venir le rejoindre en France, Mohand a insisté pour qu'elle prenne l'avion dans la semaine. « Ma situation était ubuesque. Légalement marié mais toujours célibataire dans les faits. J'avais l'impression de vivre le même drame que les immigrés de la première génération qui vivaient seuls en France et laissaient leur famille au bled. Moralement, ce n'était pas le top. » C'est une famille nombreuse qui débarque de Béjaïa. La famille Slimani s'est agrandie d'une personne. Le cadet s'est marié à Akbou avec sa fiancée originaire d'Alfortville. « Le mariage civil a été établi en France. Ici, c'est pour fêter l'événement avec nos familles respectives. Nos parents ont tenu à ce que la cérémonie ait lieu en Kabylie. Pour eux, c'était très important. Ils voulaient que tous les Slimani soient présents ce jour-là. Nous avons donc célébré deux fois notre mariage. Ce n'était pas pour me déplaire si toutes mes économies se sont envolées », plaisante Nordine. Son épouse est plus sceptique : « J'ai l'impression de revenir dans mon pays, c'est d'ailleurs le cas. J'ai compris quand j'étais en Algérie que mon pays demeure la France. Ici, c'est chez moi. L'Algérie, c'est les vacances, ici le quotidien », explique-t-elle. Le retour sur terre se fait dans la grisaille. L'Algérie est déjà un souvenir. L'atterrissage s'est fait en douceur mais les estivants savent que la reprise sera forcément un petit moment dur à passer.