Cet éminent théologien a voué sa carrière à l'accomplissement de l'identité musulmane et le nécessaire retour vers l'islam des premiers musulmans. El Watan Week-end a rencontré Kamel Chekkat qui démystifie le rôle des gourous autoproclamés. - Entre islam wahhabite importé et islam soufi hérité, on a l'impression, aujourd'hui en Algérie, qu'on ne sait plus quel est notre islam… Je n'irai pas jusqu'à parler d'islam wahhabite, car ce n'est qu'un courant de pensée qui a servi une doctrine et une politique expansionniste européenne, essentiellement britannique. Actuellement, il y a trop d'amalgames entre wahhabites et salafistes. Le salafisme nous appartient à tous. Notre manière d'aborder le culte, notre manière d'être musulman ne peut être puisé que des premiers musulmans : le prophète Mohammed QSSSL et ses compagnons ainsi que la générations des successeurs. Nous sommes censés être salafistes, car le salafisme n'a rien avoir avec un état vestimentaire ou une vision archaïque du monde. On peut dire que le meilleur des islams est un islam réfléchi et équilibré, Ibn Badis (une figure emblématique du mouvement réformiste musulman en Algérie) parlait d'un islam personnel et d'un islam héréditaire. Nous sommes supposés favoriser cet islam que nous avons choisi. Finalement, malgré que l'école malékite soit dominante dans notre pays ainsi que l'école doctrinale d'Abou Al Hassan Al Achâari, la meilleure manière d'être musulman est de faire dans la simplicité. C'est-à-dire sans essayer de s'affubler d'une appellation, parce que dans le Coran, Dieu nous a appelés musulmans. - Pour éviter toutes les dérives, a-t-on besoin d'un référent religieux clair ? Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas d'un clergé qui va formater les gens et unifier les visions. Nous avons besoin d'une autorité religieuse qui jouisse d'une bonne crédibilité qui permettra d'orienter la société. Nous avons également besoin que ces personnalités soient honnêtes, altruistes et dotés d'une bonne vision du monde. - Pensez-vous que des personnalités comme Hamadache et Chemsou sont les mieux indiquées pour une telle mission ? Je suis également une personnalité médiatique, je ne pense pas avoir le droit de porter un jugement sur les autres. Je peux vous affirmer que tout ce que dit Hamadache ne me plaît pas. J'ai un discours fondamentalement opposé à celui de Hamadache, mais sur les grandes lignes, nous arrivons à être d'accord. Je pense que si les médias sont ouverts à tout le monde et que ça profite à certains pour devenir des gourous qui s'autoproclament conscience du peuple algérien ou des musulmans, c'est purement de la bêtise. A mon niveau, j'essaie de produire sur les ondes de la Chaîne III ou la chaîne TV Coran une forme de prestation de services, dont le but est de doter le musulman lambda d'une information sûre, vérifiée et complète, pour lui permettre de faire le tri par la suite. La question de la dérive peut être réglée par une décision politique, mais plus l'étau se resserre autour de ces groupuscules, plus vous les prédisposez à s'épanouir. - Populisme et religion font-ils bon ménage ? Le populisme n'a jamais été bénéfique à aucun domaine. Dans l'émission de TV Coran, on traite de sujets d'actualité et on répond à des questionnements. Il y a des sujets qu'on ne traite pas parce que certains peuvent aider un millier de personnes mais en dérouter des milliers d'autres. De nombreux versets coraniques explicitent la spécialisation : au temps du prophète Mohamed QSSSL, des gens sont venus à Médine pour participer avec lui, dans l'une de ses campagnes de guerre, et il les a exhortés à aller étudier, au lieu d'aller faire la guerre. Malheureusement, le populisme engendre beaucoup de dérives. - Beaucoup d'islamologues algériens jugent que certaines fatwas non contrôlées sont dues à l'inexistence de dar al ifta… En Algérie, nous avons d'éminentes personnalités universitaires et académiciens qui font un très bon travail, nous pouvons les voir sur les télévisions et entendre sur les ondes radio. Cependant, cela n'a pas empêché la prolifération de certaines idées qui vont l'encontre de ce qui a été admis et reconnu par la classe théologienne musulmane. Ce qui veut dire que nous ne manquons pas de spécialistes pour prodiguer des fatwas, ce dont on a besoin, c'est d'un système éducatif fiable et d'une bonne politique de déradicalisation. Cette dernière dépend de plusieurs domaines qui s'élaborent en mettant à contribution beaucoup de compétences, pas uniquement le pôle religieux. Il faut des psychologues, des profilers, des anthropologues et une charte suivie d'une politique, sinon ça ne marchera jamais. - Comment on est passé d'un islam du «socialisme spécifique» dans années 1970, à l'islam débridé des années 2000 ? Le radicalisme religieux, tout comme le radicalisme politique, a ses causes endogènes et exogènes. En Algérie, il faut chercher les causes dans le vécu des Algériens, mais aussi à l'étranger. La radicalisation, elle-même, obéit aux mêmes règles que l'endoctrinement. Les cibles, ce sont toujours de jeunes gens qui n'ont pas d'expérience, sans connaissance même de la vie, isolés d'une vie citoyenne, souvent en situation d'échec scolaire. Des cibles potentielles à qui on balance des vérités générales sans qu'ils soient capables de la fractionner et l'étudier. Cette vérité, on ne la donne pas à un seul individu mais à un groupe : l'individu s'efface au profit du groupe, on tombe dans la sclérose mentale. A partir de là, tous ces jeunes vont faire n'importe quoi sans état d'âme. Quand vous êtes une vingtaine de personnes et que l'on vous donne l'ordre de commettre un attentat au nom de Dieu, il n'y a pas de remords par la suite, parce que l'individu n'a pas agi seul. - Quelles solutions pour une déradicalisation ? Les gens qui sont dans cet engrenage ne viendront pas écouter des personnes dont le discours est modéré. J'ai remarqué dans certains cas, qu'ils sont conscients, que vous les dépassez en science, d'ailleurs ils ont pour instruction de ne discuter avec personne. Tous ces criminels en herbe sont des victimes, finalement, même si ça n'excusera jamais ce qu'ils ont fait. Plutôt que d'avoir un bon discours, il faut avoir une bonne politique pour stopper le processus.