Un nouveau round de négociations entre les autorités de Bamako et les mouvements armés du nord du Mali doit reprendre demain à Alger. Sur le terrain, les affrontements qui ont fait des dizaines de morts décrédibilisent le travail des Casques bleus et accentuent la fracture entre les acteurs. «Pour l'instant, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir lancer les négociations.» Hier, dans les couloirs de l'hôtel El Aurassi à Alger, des représentants de la communauté internationale, médiateurs des négociations de paix intermaliennes, se saluaient, préoccupés. Dans la nuit, un avion en provenance de Ouagadougou avait atterri à Alger avec, à son bord, les membres du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), du Mouvement arabe de l'Azawad (MAA) et du Haut-Conseil pour l'unité de l'Azawad (HCUA), réunis dans une Coordination. Le ministre des Affaires étrangères malien, Abdoulaye Diop, et les autres mouvements armés réunis au sein de la Plateforme, considérés comme proches des autorités maliennes, devaient arriver hier soir. La dernière session officielle de négociations avait eu lieu dans la capitale à la fin du mois de novembre. Mais depuis, les événements sur le terrain ont compliqué la situation. Violences Premier acte, le 20 janvier dernier. Les soldats de la Mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) bombardent un véhicule de la Coordination à Tabankort, tuant 11 personnes, selon les mouvements armés. Dans un communiqué, la Minusma assure avoir tiré «en réponse à des tirs directs à l'arme lourde sur ses Casques bleus». Faux, réplique la Coordination des mouvements armés. «La Minusma sait où sont nos éléments et nos véhicules sont reconnaissables grâce à notre drapeau, affirme Moussa Ag Acharatoumane, chargé de communication. L'ordre de tirer sur notre véhicule ne vient pas d'en haut, mais du commandement local, et nous estimons que les soldats de la Minusma à Gao et Tabankort ne sont pas neutres, ils ont tissé des relations avec les milices (les mouvements armés regroupés au sein de la Plateforme).» Le lendemain de cet affrontement, les habitants de Kidal manifestent et encerclent l'aéroport. Il faut l'intervention des leaders locaux pour éviter que les manifestants ne s'en prennent à la caserne des Casques bleus. Des rassemblements ont lieu dans la commune de Ber. Deuxième acte, le 22 janvier. La Minusma publie un document qui prévoit la sécurisation de la ville de Tabankort grâce à la création d'une nouvelle zone temporaire sécurisée. La Minusma proposait d'en prendre le contrôle, ce qui impliquait de désarmer tous les personnes s'y trouvant. Mais ce texte provoque la colère de certains membres de la Plateforme : «Ce communiqué nous demandait de quitter nos positions militaires. C'est un coup d'Etat au processus de paix», s'exclame Fahd Ag Almahmoud, leader du groupe Gatia. Mardi 27 janvier, pour protester, un millier de manifestants se dirigent vers le bâtiment de la Minusma à Gao, armés de pierres et de cocktails Molotov. Alors qu'ils tentent de pénétrer dans l'enceinte, les Casques bleus répliquent avec des tirs de sommation et des gaz lacrymogènes. Trois personnes sont tuées, mais l'ONU assure n'avoir jamais tiré. Une enquête est en cours. Dans la nuit suivante, les hommes du groupe Gatia, membre de la Plateforme, lancent une attaque contre des hommes de la Coordination à Tabankort. «Nos éléments sont arrivés à pied, de nuit, ils ont mis le feu à deux véhicules qui ont explosé, il y a eu des échanges de coups de feu», raconte Fahd Ag Almahmoud. Une dizaine de personnes sont tuées, dont 6 militaires de la Coordination. Mais certains estiment que parmi le groupe d'assaillants de Gatia, il y avait trois kamikazes. Le lendemain, la Minusma retire son texte : «Ce document a malheureusement été manipulé dans la forme, puis diffusé par certains médias, entraînant une confusion dans l'opinion publique. A ce titre, le projet, ayant été mal compris et détourné de son objectif principal, n'a plus sa raison d'être.» Consternation du côté des observateurs. «Ces milices, qui sont des groupes très proches des autorités maliennes, n'ont fait que tenter de reprendre la main, alors qu'on voulait les exclure d'une décision. La Minusma est désormais très fragilisée», explique l'un d'entre eux. «Les manifestations de Gao sont une manipulation, dénonce un autre. De l'argent a circulé pour pousser des gens à s'en prendre à la Minusma. Car les mouvements armés de la Plateforme avaient été consultés sur ce texte. Le but est de faire partir la Minusma de Gao». Méfiance Résultat, ceux qui sont proches des mouvements de la Coordination à Kidal, comme ceux qui sont proches de la Plateforme à Gao, estiment que la Minusma «ne joue pas son rôle». Ce qui fragilise sa mission de médiateur : «La Minusma est devenue un acteur du conflit. Elle est en mésentente avec les populations, avec les milices, avec les mouvements, mais aussi avec les autorités de Bamako, qui ne veulent pas que la Minusma traite avec nous, car ils considèrent que cela nous légitime», estime Moussa Ag Acharatoumane. Parallèlement à l'affaiblissement de la force onusienne, c'est le pouvoir malien qui est fragilisé. «Les différents scandales, les différentes milices, la pression des djihadistes, tout cela ne renforce pas IBK. C'est ce qui avait fait tomber ATT», souligne un observateur à Bamako. L'opposition a d'ailleurs dénoncé, la semaine dernière, «l'absence de l'Etat au nord». Depuis la dernière session de négociations, Modibo Keïta, jusqu'ici envoyé spécial du président malien pour les négociations, est devenu Premier ministre. Mais certains spécialistes estiment qu'une «aile dure», qui prônerait «le recours à la force comme seule solution au problème politique du Nord», aurait gagné en influence au sein des responsables du pays. -- Urgence Consciente des difficultés, l'Algérie a convoqué une réunion informelle au mois de janvier, pour faire le point sur les avancées des positions des participants aux négociations. «Nous avons été invités par le ministre des Affaires étrangères pour discuter de ce round. Tout le monde veut qu'il y ait un accord. Les médiateurs voulaient savoir si nos revendications ont évoluées, mais même si les diplomates répètent que les choses avancent bien, Bamako et nous ne parlons pas le même langage. On nous demande encore de faire des concessions. La solution pour nous est que le Mali devienne un Etat fédéral», explique un membre de la Coordination. Dans un communiqué commun, Ramtane Lamamra et le chef de la Minusma, Hamdi Mongi, ont appelé les différentes parties à «favoriser la création d'un climat de sérénité et de confiance, nécessaire à la reprise du processus de paix en cours, en vue de parvenir dans les meilleurs délais à un accord global et définitif». De son côté, l'ONU a convoqué une réunion urgente du Comité de suivi et d'évaluation des négociations qui doit se tenir aujourd'hui. Ce n'est que demain, lors d'une réunion rassemblant les ministres des Affaires étrangères des pays médiateurs (Algérie, Tchad, Niger, Mauritanie) ainsi que les organisations internationales, que la décision de lancer une session de négociations sera prise. Ramtane Lamamra, lui, estime qu'un accord peut être obtenu d'ici 6 mois. En décembre, Abdoulaye Diop déclarait : «C'est le dernier 100 mètres.»