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«Je ne crois pas à l'existence des lignes rouges, mais il faut aborder les choses avec délicatesse»
AHMED RACHEDI. Cinéaste, réalisateur des films Krim Belkacem et Benboulaïd
Publié dans El Watan le 11 - 02 - 2015

Ahmed Rachedi revient au grand écran avec un film sur le parcours militant de Krim Belkacem, l'homme qui avait rejoint l'action armée avant le déclenchement de la guerre de Libération nationale en 1954. L'histoire du film s'arrête en 1962. Krim Belkacem fut victime d'un assassinat politique en 1970 en Allemagne. Krim, l'opposant au régime du colonel Boumediène, n'apparaît pas dans le long métrage d'Ahmed Rachedi.
Dans cet entretien, le cinéaste s'explique sur ce choix, évoque la relation toujours compliquée, surtout dans le contexte algérien, entre le cinéma et l'Histoire. Ahmed Rachedi a, à son actif, une douzaine de films, dont L'opium et le bâton (1969), Le doigt dans l'engrenage (1973), Le moulin de monsieur Fabre (1986) et Mostefa Benboulaïd (2009). Colonel Lotfi, son dernier film, est en post-production. Krim Belkacem et Colonel Lotfi sont des films produits par le ministère des Moudjahidine.
- Après Mostefa Benboulaïd, votre choix s'est porté sur Krim Belkacem. Question simple : pourquoi le choix de cette personnalité ?
Krim Belkacem m'apparaissait légitimement comme le deuxième personnage historique qui a le plus participé à toutes les étapes de la guerre de Libération nationale. Il était membre de l'OS, du PPA/MTLD... Sept ans avant 1954, il avait pris le maquis, était condamné à mort et recherché par les services de sécurité français. Il nous permettait donc d'explorer cette période sans aller en profondeur, sinon on ferait un film de dix heures.
Krim fut parmi ceux qui avaient décidé de créer le FLN et de fixer la date du 1er Novembre. Il était aussi de toutes les étapes ayant suivi le déclenchement de la guerre. La Révolution algérienne n'avait pas de chef, pas de zaïm. Comme pour l'Egypte et le Viêtnam, elle avait une direction collégiale. Certains avaient dit que c'était là un inconvénient en ce sens qu'il était préférable d'avoir une tête. Les Six avaient pensé à cela en contactant Messali El Hadj, lequel avait refusé. Pour moi, Messali n'était pas un traître. Il reste le père spirituel du mouvement nationaliste algérien. Il y a eu une mésentente. Ce point de l'Histoire de l'Algérie pourrait faire l'objet d'un film exceptionnel.
- Sur Messali El Hadj ?
Sur Messali et la Révolution algérienne à la fois. Il faut qu'on essaie de savoir pourquoi ce monsieur, qui avait milité depuis les années 1920, n'avait pas pris de décision au moment où il fallait prendre les armes. Il n'aurait pas accepté que cela se fasse sans lui, la décision ayant été prise par un groupe d'hommes. Maintenant, il faut explorer les raisons qui avaient amené Messali à créer le MNA, lequel a été à l'origine de la mort de 3 à 4000 militants du FLN. Je n'ai pas suffisamment d'éléments, donc j'arrête mes interrogations sur Messali El Hadj à cette cassure apparue quelques jours avant le déclenchement de la guerre de libération…
- Dans le film Krim Belkacem, Messali El Hadj n'apparaît qu'une fois…
Il apparaît parce qu'il fallait une proximité avec le personnage central du film. En 1950, il était là pour «la crise berbère». Krim demandait à Messali, qui était proche de lui, pourquoi les principaux chefs du PPA/MTLD en Kabylie avaient été éloignés. Messali revenait de Genève où il avait rencontré Arslane Chakib (politicien et historien libanais parmi les théoriciens du nationalisme arabe). Il l'avait convaincu de l'idée que tout combat libérateur dans le monde arabe devait être inséré dans le projet de la libération de la oumma arabia.
Depuis, tout militant algérien devait, selon Messali, adhérer à cette idée. C'était le début de la dislocation, de la fracture. La Révolution algérienne avait été déclenchée et faite par des Algériens de tous bords. Le FLN était à l'époque le parti des partis. Chaque Algérien était invité à se joindre au FLN à titre individuel pour un seul objectif : l'indépendance nationale
- Vous n'avez pas beaucoup insisté sur «la crise berbère» dans le film. Pourquoi ?
Krim Belkacem n'était pas très impliqué dans la crise berbère. Il n'y a qu'à voir les témoignes vidéo de Hocine Aït Ahmed et de Mabrouk Belhocine expliquant les causes de la crise berbère. Crise éclatée en raison de l'exclusion du PPA/ MTLD de certains militants.
- Qu'avez-vous enlevé du parcours militant de Krim Belkacem ?
On pourrait reprocher au film d'avoir évacué la partie de la vie de Krim Belkacem lorsqu'il avait été nommé ministre des Affaires étrangères du GPRA. Son rôle dans la diplomatie ne nous paraissait pas essentiel, d'autant plus qu'il n'était pas content de son éloignement du ministère des Forces armées. Un autre problème qu'il faudra approfondir. Il fallait choisir entre les étapes pour le film. Dans le feuilleton télé, nous avons gardé beaucoup de choses. J'ai dû faire des choix douloureux lors de la finalisation du long métrage.
- Qu'en est-il du rapport entre Krim Belkacem et Abane Ramdane ? Cela provoque déjà un débat à partir de ce qui a été vu dans votre film...
Krim a tout de suite contacté Abane après sa sortie de prison en février 1955. Krim considérait qu'il fallait faire appel à tous les jeunes pouvant contribuer à la Révolution algérienne, à commencer par Abane qui a passé cinq ans en détention, dont deux en cellule isolée. Il constituait déjà un danger potentiel pour l'adversaire. Krim voyait un danger : la Révolution se faisait dans des fiefs qui n'étaient pas liés.
Il n'y avait pas de contact. Il fallait organiser tout cela pour structurer l'ALN. Il était venu avec l'idée de réunir les chefs de la Révolution dans un congrès pour déclencher l'action armée. L'organisation s'est faite dans la précipitation (…). Abane Ramdane s'était retrouvé confronté à ceux qui se réclamaient de la légitimité du «déclenchement de la guerre».
- Les chefs de guerre en somme...
Oui, ce n'est pas joli comme titre. Abane voulait une direction politique à la Révolution qui pouvait amener les Français à reconsidérer l'idée coloniale elle-même. Pendant ce temps, les chefs de guerre travaillaient pour ramener le plus d'Algériens vers l'action armée. Abane devait faire face à une autre logique, une autre idée de l'organisation de la guerre. Cela avait créé des frictions avec les chefs historiques de la Révolution, mais pas tous… Krim avait chargé Abane de s'occuper de la région d'Alger.
La capitale devait, selon lui, montrer son adhésion totale à la Révolution. Dans le Congrès de la Soummam, Abane avait joué un grand rôle, réussi à faire accepter ses idées : la primauté de l'intérieur sur l'extérieur, la primauté du civil sur le militaire. Abane théorisait la guerre, analysait les faits, était arrivé à la conclusion qu'il fallait un fondement idéologique à la guerre de libération. Il voulait convaincre les chefs que c'était là la meilleure direction pour la Révolution algérienne (…).
Ces frictions sont évoquées dans le film à travers le personnage de Ouamrane qui dit à Krim que Abane va se faire beaucoup d'ennemis, et à travers celui de Ben M'hidi qui avertit Abane. Ben M'hidi était un homme pondéré. D'aucuns avaient pensé que Abane et Ben M'hidi avaient fait alliance au Congrès de la Soummam pour faire passer leurs projets…
- Qu'en est-il de l'assassinat de Abane Ramdane ? Vous n'avez pas montré le voyage de Krim au Maroc dans le film avec Abane...
Ce n'était pas important qu'on le montre voyageant au Maroc. Dans le film, on voit bien Abane dire à Frantz Fanon qu'il avait été convoqué pour accompagner les 3 B (Boussouf, Bentobal et Krim Belkacem) au Maroc aux fins de rencontrer le roi Mohammed V. Abane ne connaissait pas le souverain marocain, mais les trois B insistaient pour qu'il les accompagne. Décision avait-elle été prise de l'éloigner, je ne dis pas de l'assassiner ? Il existe un PV d'une réunion des trois B écrit de leur main où il était décidé l'éloignement de Abane aux fins d'éviter des problèmes à la Révolution. Krim évoquait cette question dans une interview.
A Tétouan, au Maroc, je suis allé à la mairie, à la police et au gouvernorat pour chercher des traces sur la mort de Abane Ramdane. Je voulais savoir si une tombe existait quelque part dans cette région. Ils n'ont aucune trace, ne savent même pas qui était Abane. Il n'y a rien d'écrit. Ce qui est sûr, c'est que Krim, Bentobal, Mahmoud Chérif, Boussouf et Abane avaient pris l'avion, étaient arrivés à Casablanca.
A l'aéroport, Abane avait été pris en charge. On ne sait toujours pas par qui. Depuis, on ne l'a plus jamais revu. Les trois B ont-ils assisté à son assassinat ? Je ne le crois pas. Quatre mois plus tard, El Moudjahid publiait en Une (en mai 1958) que Abane était tombé au champ d'honneur.
- L'itinéraire de Abane pendant la guerre de Libération nationale peut-il faire l'objet un jour d'un film en Algérie ?
Abane Ramdane, qui représente un autre aspect de la guerre de libération, mérite un grand film. Il n'était pas un combattant avec un fusil à la main, mais un combattant avec des idées. Il était d'une sincérité absolue. Il était peut-être excessif, avait écrit des lettres aux chefs de la Révolution les traitant de tous les noms d'oiseaux. Sa sincérité le poussait à heurter quelque peu les gens.
- Peut-on réaliser librement un film en Algérie sur Abane Ramdane évoquant son assassinat ?
Je ne sais pas si on peut le faire, mais on voudrait bien le faire. Il existe des sujets liés à la guerre de Libération nationale qui n'ont jamais été abordés. Le complot des colonels, le rôle des services secrets, les grandes batailles, la bataille d'El Djorf. Pourquoi nous avons perdu 639 moudjahidine dans la bataille de Souk Ahras (avril 1958) ? Si l'on continue à réaliser des films sur les hommes qui ont fait la guerre incluant des petites pistes, on peut retirer quelque chose de l'ensemble une fois les histoires colées les unes aux autres.
On saura peut-être ce que chacun a apporté à la Révolution. Il n'existe pas d'archives accessibles. Peu de livres ont été écrits sur la guerre de libération, peu de témoignages. Il y a aussi des films à faire sur le GPRA, sur le CCE, sur les raisons ayant conduit aux manifestations de 1960 : manifestations spontanées ? Résultat d'un mûrissement de l'organisation FLN ? Rien n'a été fait sur la Fédération de France du FLN, sur les événements du 17 octobre 1961.Peut-on se contenter du film Hors-la-loi de Rachid Boucherab à propos de la Fédération de France ?
Pourquoi le cinéma algérien n'a pas abordé tous ces aspects 53 ans après l'indépendance du pays ?
- Une question : quelles sont les sources de financement du cinéma algérien ? Existe-t-il des financements qui peuvent permettre la liberté d'expression ? Peut-on disposer de moyens hors de ceux de l'Etat pour pouvoir faire des films ?
L'Etat choisit ce qu'on doit faire et ce qu'on ne doit pas faire à propos des moments de la guerre de Libération nationale et des personnages ayant fait cette guerre. Le ministère des Moudjahidine a programmé un certain nombre de films. Au cinéaste d'être convaincu ou pas de s'engager. On parle beaucoup de censure, alors qu'il existe beaucoup d'autocensure.
- Justement, vous êtes-vous autocensuré dans la réalisation du film Krim Belkacem ?
Quelque peu. Enfin, je me suis retenu, pas autocensuré. En se lâchant, on va aborder des questions délicates qui vont empêcher le film de sortir. Qui peut, par exemple, aborder le complot des colonels. Pourquoi plusieurs colonels s'étaient révoltés contre la direction de la
Révolution ? Quel était le contenu des débats de la réunion des cent jours des dix colonels à Tunis ? Le CNRA (Conseil national révolutionnaire algérien) n'a jamais été montré dans nos films.
- Alors, existe-t-il des lignes rouges ?
Je ne crois pas à l'existence des lignes rouges, mais il faut aborder les choses avec délicatesse. Il ne faut pas trop heurter les familles, les survivants. Après le film Mostefa Benboulaïd, certains sont venus nous dire que Mostefa Benboulaïd n'avait pas été tué par l'ennemi. Qui a tué alors Benboulaïd ? Les services français disent : «C'est nous». Pourrais-je dire que non, ce ne sont pas les services français qui ont tué Benboulaïd mais ses frères ? C'est à ce niveau-là où l'on se retient.
Cela dit, on peut s'interroger : qui a tué Benboulaïd ? On ne peut pas trancher. C'était une Révolution faite par des humains, qui n'étaient pas des anges, qui pouvaient bien se tromper, hésiter, reculer… D'où l'importance de la dimension humaine dans le film sur Krim Belkacem. Je ne veux pas aller vers des choses qui ne sont pas prouvées, écrites. Je pars de l'idée simple qu'il faut glorifier pour le moment. Glorifier pour pouvoir exposer déjà au public. Après, on peut dans chaque film approfondir les choses
- En glorifiant, n'y a-t-il pas le risque de tomber dans la propagande ?
Oui, mais quelle est la limite entre la glorification et la propagande ? L'Histoire, telle qu'elle été écrite partout dans le monde, n'est-elle reproduite sous la dictée du vainqueur ? Je n'accuse pas les historiens.
Les historiens s'en tiennent aux faits. Et les faits sont quelquefois têtus. Où est la vraie Histoire ? Nous devons interroger cette Histoire, amorcer des petits sujets qui peuvent introduire un approfondissement. C'est la mission du cinéma. Le cinéma ne peut pas faire l'Histoire.
- Avez-vous travaillé librement sur le film de Krim Belkacem ?
La commission de lecture du ministère des Moudjahidine a fait deux remarques. La première est qu'il fallait changer le titre du film qui, à l'origine, s'appelait Dhargaz (homme). La deuxième est qu'il fallait réduire la place, qualifiée de trop grande, accordée à Abane Ramdane dans le scénario. Je ne peux pas dire qu'on n'en a pas tenu compte d'autant plus que le neveu de Abane, qui est un homme charmant et gentil, m'a envoyé un courrier me disant qu'il fallait mettre ceci ou cela sur le martyr. J'étais face à deux incursions dans le travail créatif. Des incursions qui ne prennent pas en considération le fait que le cinéma c'est de la fiction !
- Quelle est justement la part de la fiction dans le film Krim Belkacem ?
Il y a des choses qu'on est obligé d'ajouter. Le fond du film est à 90% inspiré d'événements qui ont eu lieu. Il n'existe aucun moment dans le film que Krim n'a pas vécu réellement. Les moments d'avant le déclenchement de la guerre de libération ont été traités légèrement. Ce n'était pas le sujet principal du film. Au début, je voulais commencer le film en 1954 avec l'engagement de Krim dans l'action armée.
Plusieurs personnalités n'ont pas eu une grande place dans le films malgré leur importance, comme Ferhat Abbas, Benyoucef Benkhedda,
Lakhdar Bentobal…
Chaque personnalité de la Révolution mérite un traitement à part. On ne peut pas les traiter tous dans un même film. Je ne pouvais pas donner plus d'espace pour Amirouche, par exemple. La famille de Mohammedi Saïd m'a contacté pour me dire qu'il n'avait pas eu toute sa place dans le film. Nous n'avons pas pu montrer suffisamment les personnalités qui étaient dans les négociations d'Evian comme Boussouf, Benyahia, Réda Malek, Tayeb Boulahrouf.
Si on leur avait «donné» la parole à tous, la séquence sur les négociations d'Evian aurait duré 80 minutes. Le document des accords d'Evian est composé de 93 pages. Ce n'était pas le sujet du film. Nous n'avons pas assez d'éléments sur ceux qui étaient dans les coulisses des négociations d'Evian, plus d'une quarantaine de personnes.
Comment avaient-ils travaillé ? Comment étaient-ils en contact avec la direction de la Révolution, le CNRA, le FLN, l'état-major… ? On ne le sait pas. C'est une thématique à creuser. Là aussi il y a peu d'archives côté algérien.
Vous avez travaillé avec un acteur de la guerre de Libération nationale, à savoir le commandant Azzedine pour l'écriture du scénario…
L'apport du commandant Azzedine est considérable. Il a connu des acteurs de la guerre, travaillé avec eux. Lorsque Krim était chef des Forces armées, Azzedine était adjoint de Boumediène.
Ils avaient un rapport presque hiérarchique, se voyaient, se parlaient. Le commandant Azzedine a apporté un témoignage vivant nous aidant à élaborer le fond psychologique de Krim. L'acteur (Samy Allam) s'en est inspiré pour se rapprocher du vrai personnage. Contrairement à l'idée répandue, Krim était un homme posé, n'était pas colérique, était tranquille mais ferme dans ses décisions, nourri par la longue période de clandestinité. Il a appris à mesurer des choses pour équilibrer ses rapports avec les gens…
- Avez-vous pris suffisamment de détachement par rapport au personnage que vous avez filmé ?
On ne peut pas prendre de détachement. Ou on aime le personnage qu'on filme, ou on ne l'aime pas. Dans ce dernier cas, cela se verra à l'écran. La distance entre le réalisateur et le comédien sera visible.

- Qu'en est-il du tournage des scènes de bataille ?
Il était compliqué de filmer des scènes de bataille en Kabylie. Nous étions dans un environnement pas très sécurisé. Les personnes chargées de la sécurité nous recommandaient de ne pas trop utiliser le baroud ou recourir aux bombardements. Nous ne pouvions pas tourner des scènes de nuit dans les zones difficiles. Nous étions escortés à chaque déplacement, changions souvent d'itinéraire. Il était difficile également de tourner avec l'aviation (…). Krim Belkacem est le dernier film que je tourne en 35 mm.
La pellicule n'existe plus. Colonel Lotfi, mon dernier film, a été tourné en numérique. Le numérique permet l'utilisation de certains effets spéciaux plus facilement, on peut tourner autant qu'on veut. On enregistre dans des disques durs pour le numérique. C'est une approche nouvelle, déstabilisante pour moi. Tu tournes beaucoup, après tu te retrouves avec 93 heures de rush, comme c'est le cas pour Colonel Lotfi. Ce n'est pas facile d'extraire 2h30 de tout cela ! Il faut couper. Il y a des choses à sacrifier. L'inconvénient avec le numérique est qu'on ne se retient pas, on filme ce qu'on veut.

- L'utilisation des archives dans le film est apparu parfois non justifié ou à peine…
J'ai recouru aux archives pour rendre hommage aux vrais personnages. Ma peur est qu'on ne les identifie pas. Peu de gens connaissent physiquement les personnages de la guerre. A Evian, j'ai montré les images des vrais négociateurs devant le bâtiment transformé depuis en salle de spectacles. Je tenais à montrer ces personnes arrivant par hélicoptère pour entamer les pourparlers. C'est pour dire aux gens : voilà les personnages historiques, nous nous ne faisons qu'imiter la réalité. Cela dit, les archives existantes sont en mauvais état. A l'INA (France), il est difficile d'accéder aux archives. Il y a trop de conditions…

- Comment avez-vous fait le casting ? Certains comédiens n'ont pas réellement
convaincu… Samy Allam a trop théâtralisé son jeu, par exemple…
Nous avons beaucoup rogné pour que ce jeu soit moins théâtralisé. La plupart des comédiens viennent du théâtre. Le théâtre, à mon avis, gâche beaucoup les acteurs de cinéma. La télévision, elle, fait dans le jetable. J'ai essayé pour le rôle principal 200 acteurs. Nous avons fait le tour de l'Algérie. Il me fallait un comédien qui ne soit pas un clone physique de Krim, mais qui allait rendre plus ou moins ce qu'était Krim. Il fallait quelqu'un qui s'exprime comme lui en arabe, en kabyle et en français. Samy Allam a un certain nombre d'éléments qui pouvaient permettre l'identification de Krim.
La difficulté dans un film est de donner à des personnages historiques une présence humaine. On n'est plus dans l'abstrait. Dans la rue, Hacen Kechache, qui a interprété le rôle de Benboulaid, est appelé Si Mostefa. Il est devenu Benboulaïd aux yeux du public. J'espère seulement que Samy Allam sera accepté comme Krim. Krim passait d'un chef de guerre à un chef politique.
Le comédien devait être les deux dans le jeu : courir pour faire une embuscade et se mettre derrière un bureau pour être ministre des Forces armées. Krim n'était pas à l'aise à ce poste, préférant l'action sur le terrain. Il a passé dix ans au maquis. Nous ne pouvions pas développer plus la présence de Krim dans l'ensemble constitué par d'autres chefs.
Dans le film sur le colonel Lotif, Ferhat Abbas sera plus présent. Dans ce film, le colonel Lotfi sera montré rencontrant Ferhat Abbas au CNRA en 1960. La rencontre du CNRA devait confirmer les décisions prises par les colonels réunis à Tunis. Lotfi, 26 ans, plus jeune colonel de la Révolution algérienne, avait constaté que les deux tiers des présents étaient des militaires alors que le Congrès de la Soummam avait consacré la primauté du politique sur le militaire ! Il s'est interrogé s'il n'y avait pas eu de déviation. C'est également une manière au cinéaste de poser des questions auxquelles il n'a pas de réponses.
- Le film sur le colonel Lotfi est-il pour bientôt ?
Le film est prêt. Je crois que le ministère des Moudjahidine, qui a financé le film, a prévu de le programmer à l'occasion de la date anniversaire de sa mort, le 23 mars prochain. Le film est de 3 heures, et là je suis en train de couper pour l'amener à 2h30. Chaque coupe est une douleur pour moi. Le rôle de Lotfi sera interprété par le jeune Youcef Sehaïri
- Quel commentaire faites-vous à propos de la polémique soulevée par El Wahrani, le film de Lyès Salem ?
Lyès Salem a le droit d'avoir un regard sur la guerre de Libération nationale. C'est un regard de jeunes qui n'ont pas vécu cette période. Ils ont donc cette distance. Je dis seulement qu'il faut faire attention lorsqu'on aborde ce genre de sujet. Il faut toujours compter avec la réaction du public. Certains vont aimer, d'autres non. J'accorde à Lyès Salem le préjugé favorable.
Il a encore une fois le droit d'aborder les choses de cette façon-là. Lui n'est pas obligé d'avoir la distance aussi réduite que j'ai moi avec la guerre. J'ai beaucoup aimé le film de Lotfi Bouchouchi, Le puits. Il y a dans ce long métrage cette distance avec la guerre de Libération nationale. Il traite d'un sujet court avec finesse. Il y a donc différents abords à la question de la guerre de Libération nationale. Maintenant, je ne sais pas si tout le monde se lâche ou s'autocensure lorsque certains sujets sont traités. Je peux poser la question au journaliste que vous êtes…


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