Le monde littéraire francophone, particulièrement maghrébin, rend hommage depuis vendredi dernier à la mémoire d'Assia Djebar, qui s'est éteinte à l'âge de 78 ans. En marge du Maghreb des livres, qui s'est ouvert au lendemain de la disparition de l'icône, des femmes et des hommes de lettres -qui l'ont connue- ont accepté de nous livrer quelques témoignages. Les mots simples des uns et des autres résument parfaitement sa longue et riche carrière. «Les souvenirs que j'ai d'Assia remontent à mes années d'enseignement à l'université d'Alger où elle occupait le poste de chef de département de français durant les années 1970, même si elle était historienne de formation. Je retiens d'elle sa ferveur féministe. Son travail a été précurseur dans la littérature féminine algérienne. Elle a réussi à donner de la voix aux femmes qui n'avaient pas le droit à la parole. Son verbe plaidait la cause de la femme algérienne», a estimé Afifa Bererhi, écrivaine et universitaire. C'est un avis que partage le poète tunisien Tahar Bekri, qui rajoute : «Le rayonnement d'Assia Djebar dépasse les cadres algérien et francophone. Il est universel. Elle a même enseigné aux Etats-Unis.» Pour lui, sa carrière en soi est «une révolte contre tout ce qui est obscur dans nos sociétés maghrébines». Notre interlocuteur retient d'elle «un style très marqué par l'image, le visuel et le son». Et d'affirmer : «Elle méritait pleinement sa place à l'Académie française. Comme Mohammed Dib, elle avait une exigence dure dans ses thèmes et dans son écriture. C'est un modèle dans l'exigence littéraire.» Durant les années 1980, comme le rapporte le directeur des éditions INAS, Boussad Ouadi, Assia Djebar a pesé de tout son poids pour soutenir l'édition privée dans notre pays. «J'ai participé avec d'autres amis à la création d'une petite maison d'édition. Elle a tout fait pour nous aider et nous encourager. Je me souviens qu'elle nous a rapidement suggéré de lancer une collection de livres féminins», témoigne M. Ouadi. «C'était une femme très intelligente et très cultivée. Une spéléologue de l'imaginaire.» D'une autre génération et d'un autre style, l'écrivain Amine Zaoui se souvient de sa première rencontre avec l'auteure de L'Amour, la fantasia (1985) : «Nous avons animé ensemble une conférence à Strasbourg. Je garde de cette grande dame sa culture vaste en littéraire mais aussi en histoire. Elle avait une grande sensibilité envers l'Algérie. Je crois que ses romans reflètent tous les paysages de l'histoire de notre pays depuis les années 1950 jusqu'à aujourd'hui.» Dans une célèbre phrase, Assia Djebar disait : «J'écris en français, tandis que je continue à aimer en arabe et en berbère.» Amine Zaoui regrette que l'œuvre d'Assia Djebar ne soit pas traduite en arabe. «Nos jeunes générations la connaissent par son nom mais pas en tant que textes littéraires. Elle est connue en Europe et en Amérique, mais est complètement ignorée dans le monde arabe. Il y a Mohamed Yahiatène qui a traduit son roman Nulle part dans la maison de mon père (2007), en attendant plus. Il ne suffit pas de traduire un seul texte de tout un patrimoine littéraire riche d'une cinquantaine d'ouvrages. Il est demandé aux éditeurs et aux institutions culturelles de prendre en charge ce travail», espère-t-il. Assia Djebar est aussi une cinéaste reconnue. Son producteur Ahmed Bedjaoui, affecté d'apprendre la nouvelle alors qu'il venait d'arriver au Maghreb des livres, salue en elle «une grande cinéaste, très professionnelle». Il a tenu également à rappeler l'engagement d'Assia Djebar en faveur de la cause algérienne, elle qui était la première élève de l'Ecole normale supérieure de Sèvres (Paris). «C'était une grande moudjahida, une militante infatigable depuis son jeune âge. Son rôle dans la Révolution est souvent négligé, alors qu'elle a influencé énormément de femmes intellectuelles qui sont rentrées dans les réseaux de soutien au FLN, en Algérie et en France», a-t-il souligné. Assia Djebar nous a quittés avec une seule -peut être- frustration. Elle n'a pas pu décrocher le prestigieux prix Nobel. «Elle le méritait largement. Dommage ! Je pense qu'elle ne l'a pas eu, car elle n'avait pas de lobbies derrière elle, et encore moins le soutien de son pays», a jugé M. Bedjaoui.