Cette rue qui fut longtemps celle des jardins domestiques jalousement entretenus contre les vagues de dépravation urbanistique et la descente en spirale des mœurs citadines, n'est plus ce qu'elle était il ya deux décennies. Les familles qui y habitaient sortaient la nuit, le temps d'échanger quelques propos, de saluer un voisin, ou simplement flâner aux alentours des rues et ruelles annexes. Elles sont devenues des plus claustrophobes – du moins celles qui n'ont pas déménagé – et des moins causantes. Les chaises longues et les bancs traditionnels en bois n'y sont plus visibles. On y a installé des pierres et des cageots sur lesquels s'assoient des vendeurs à la criée et une myriade de jeunes oisifs qui scrutent femmes et hommes au passage. Au lieu de la voix des canaris et des chardonnerets, des cris juvéniles des écoliers à peine audibles lors de leur sortie récréative, ses habitants subissent quotidiennement vrombissement assourdissant des moteurs des véhicules qui desservent cette rue à la cité Ghellouci et le brouhaha des adeptes de Bacchus. L'endroit idéal où aimaient s'entretenir les tourtereaux en conquête est aujourd'hui une zone record en vol à l'arrachée. Façades crasseuses, carrelages flottants, chaussée poussiéreuse l'été et marécageuse l'hiver, des immondices qui jonchent le sol à longueur d'année, absence totale de l'éclairage public, prolifération des vendeurs de psychotropes et vendeuses de charme…et ce n'est que peu dire d'une rue repère, vouée malgré elle aux humeurs des faiseurs d'un autre destin.